En 2006, le Prix HSBC pour la photographie a nommé Gilles Mora, directeur de la collection « l’oeuvre photographique » aux Editions du Seuil, comme conseiller artistique. Les deux lauréats de cette onzième édition sont Marina Gadonneix et le duo d’artistes Clark & Pougnaud. Pour ce nouvel épisode, nous sommes partis à la rencontre de la photographe française Marina Gadonneix, qui n’avait alors que 30 ans lorsqu’elle remporta le prix. Retour sur son travail primé « Remote control » et sur ce qu’elle est devenue depuis sa nomination.
L’Œil de la Photographie : Le prix HSBC pour la photographie fête ses 20 ans. Il est remis chaque année à deux artistes pour les aider à développer un projet et fait l’objet d’une exposition et d’une monographie, souvent la première. Comment avez-vous vécu cette expérience ?
Marina Gadonneix : J’étais très heureuse lorsque l’équipe du Prix HSBC m’a téléphoné pour m’annoncer que j’étais lauréate, c’était une grande nouvelle ! J’étais sortie de l’école d’Arles peu de temps auparavant et j’étais très enthousiaste à l’idée de publier mon premier livre et de produire une exposition qui allait circuler dans des lieux prestigieux.
C’est une aventure passionnante qui est très enrichissante en tant que jeune artiste.
LODLP : Pouvez-vous nous parler du projet qui a été récompensé ? Le prix a-t-il eu une influence sur votre création depuis ?
M. G. : En 2006 ma série Remote control a été primée par le prix HSBC, il s’agissait d’une série de photographies qui s’intéressait à la mise en scène et au décor médiatique à travers une série d’images de plateaux de télévisions photographiés dans l’obscurité et vidés de leur occupants, des voix et des lumières trop fortes, pour pouvoir mieux le regarder et se concentrer sur le dispositif de mise en scène médiatique plutôt que sur le spectacle lui-même. Ce que sous-tend ce travail, c’est la question du lieu, et son pouvoir de narration. Et puis très vite, au-delà de la scénographie du lieu, j’ai été attirée par l’omniprésence de l’écran dans ces décors de plateaux, jusqu’à ce qu’il devienne le motif récurrent des images, celui sur lequel je me focalisais, d’une photographie à l’autre. La présence des mires de calibration dans ces écrans matérialise le temps mort du spectacle et vient rappeler que ces espaces sont le réceptacle d’une multitude d’images.
Ce projet s’inscrit dans un projet plus vaste, mes photographies depuis une dizaines d’années s’intéressent aux espaces et aux lieux à travers leurs dispositifs d’installations et leur facultés à faire appel aux images et à l’imaginaire. Je m’intéresse avant tout au pouvoir de narration des lieux que nous fabriquons pour nous approprier le réel. Je m’intéresse aux formes de reconstruction du monde, à la mise en scène du simulacre, et à la réalité de la simulation. Le point de départ des photographies est presque toujours une volonté de documenter le réel à travers une idée, un lieu et son histoire. Puis, j’ai la sensation de quitter la rigueur documentaire pour emmener la série vers quelque chose de plus incertain.
Remote control est en quelque sorte un maillon de ces préoccupations plus vastes.
Dans mes propositions récentes j’ai accentué davantage ce rapport à la fabrications des images, et aux dispositifs de représentations, notamment à travers les série Landscapes et Après l’image.
Landscapes est une série de photographies de fond d’incrustations vert et bleus utilisés en cinéma et à la télévision, surfaces monochromes l’unique fonction de ces lieux est de disparaître au profit d’une autre image, dans ce vide, on calque tout ce dont on a envie, comme par exemple un forêt tropicale.
Après l’image s’intéresse aux outils du studio de photographie et dévoile les dispositifs de prises de vue et de mise en scène d’œuvres d’art, œuvres absentes des images, tout en interrogeant leur aura. Elle nous donne ainsi à voir un objet invisible, hors champs (nommé par la légende) qu’il nous faut reconstruire mentalement. Scénographie vide du moment de l’exposition et de la prise de vue. La série montre ce qui va disparaître au profit de l’image tout autant que le dispositif installé pour faire image.
Ces deux séries tentent de questionner la faculté du lieux à faire en quelque sorte apparaitre les images.
A présent je travaille sur un grand projet, dans la continuité de mes série Playground disorder, ou encore la maison qui brûle tous les jours qui questionnait la mise en scène de la catastrophe, mais cette fois-ci à travers l’espace du laboratoire. « The theatre of proof » est réalisée dans divers laboratoires de recherches et d’expérimentation empiriques. le projet s’intéresse à l’exercice de la connaissance à travers diverses reconstitutions de phénomènes énigmatiques ou l’ailleurs est à l’intérieur.
LODLP : Outre la publication d’une première monographie, quel impact le prix a-t-il eu sur votre carrière ? Aujourd’hui encore quels sont vos rapports avec HSBC ?
M. G. : La monographie publiée par Actes Sud et la communication qui accompagne le prix sont des aides et des outils très précieux en tant que jeunes artistes, il sont une promotion importante du travail et le prix a un fort impact, car il est doté d’une très grande visibilité. L’équipe est par ailleurs très fidèle à ses anciens lauréats et continue de suivre les artistes primés et de promouvoir leurs actualités, ce qui est très agréable.
« Le projet de Marina Gadonneix s’inscrit, selon ses propres termes, dans « l’observation du monde quotidien dans sa construction et sa mise en scène, faire du monde familier dans lequel on vit le lieu de l’artifice, avec sa part d’inquiétude, d’étrangeté et de mélancolie. » Une des qualités de ce projet, outre sa réussite plastique, est également à trouver dans le degré d’explicitation qu’il se donne, et que l’on vient d’énoncer plus haut. Marina Gadonneix s’intéresse au monde des médias de cette façon biaisée, en photographiant les plateaux de télévision vides, hors des heures d’émission, c’est une idée brillante. Encore fallait-il la mener à bien. Ce qui est largement fait ici. À l’artificialité construite du studio, répond celle de l’image, qui en souligne les caractéristiques. Or ce monde superficiel du plateau de télévision est à l’image -si l’on peut dire- du monde intellectuel vide de la scène médiatique aliénante, souvent dénoncée par le sociologue Pierre Bourdieu. Derrière la séduction, le décor et sa surface, s’invite, hélas, le vide des contenus qu’ils encadrent. Ce travail est achevé, remarquable.. »
Gilles Mora – Conseiller artistique 2006
LIVRE
Paysages sur commande
Monographie Marina Gadonneix
Editions Actes Sud
ISBN : 2-7427-6140-3
25€