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Talking Pictures : Conversations entre artistes via l’objectif des téléphones portables

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Si l’ère Instagram a confirmé un adage vieux de plusieurs siècles, c’est bien celui selon lequel une image vaudrait plus que mille mots. Dans son récent compte-rendu pour le New York Times à propos de l’exposition en cours au Metropolitan Museum, Talking Pictures (Images parlantes), la critique photographique Roberta Smith semble d’accord. Dans ce labyrinthe d’images qu’est le Met, il est en effet parfois difficile de se souvenir vraiment de la charge communicative de chaque sculpture grecque, portrait flamand ou nymphéa de Monet. Le musée forme un paysage saturé d’artistes et des messages qu’ils transmettent.

Une exposition indépendante, dont l’existence même répond à la question de la capacité de l’artiste à raconter ou transmettre un message, s’avère donc pour les visiteurs de musée un bon moyen de se souvenir que les images qui n’atteignent pas les livres d’histoire de l’art (ou, aujourd’hui, les comptes Facebook et Instagram institutionnels – où les pièces excitantes et qui attirent la publicité sont les plus susceptibles d’envahir l’écran) sont sans doute de l’art si elles ont été créées avec un message en tête.

Talking Pictures dévoile non seulement le procédé par lequel un artiste amène une image à transmettre un message – puisqu’on a demandé aux artistes invités de communiquer pendant plusieurs mois avec un autre artiste uniquement par images ou vidéo – mais aussi le potentiel de l’image à devenir message. Observer l’ordre dans lequel chaque couple d’artiste s’est envoyé des images offre un meilleur aperçu de leur raisonnement – mais aussi de leurs interprétations et réinterprétations des images qu’ils ont reçues.

Les conversations sont présentées sous forme de diaporamas, de mosaïques murales séquentielles et même de journaux de bord personnels. La forme qu’a pris chaque échange en dit long sur les vies des interlocuteurs : l’artiste américain Sanford Biggers, par exemple, a attendu plusieurs mois avant de répondre aux mises à jour visuelles régulières de son partenaire, Shawn Peters. Sa réponse, tombée du ciel à la mi-décembre, indique que les mois précédents avaient été pour lui très occupés (c’était peut-être la raison pour laquelle Biggers était pendant un temps réticent à l’idée de participer, ou apparemment indisponible).

L’amas de photos qui en résulte est une méditation vague sur cette période de calme. Ses images en noir et blanc de rues mal famées et de lumière à travers les fenêtres sont mystérieuses. En un sens, elles dialoguent entre elles plus qu’avec les clichés de jogging matinal prises par Peters dans son quartier. Elles racontent leur propre histoire, la version film noir – celle de Biggers, en fait – de la décision de Peters de photographier son quartier comme un simple citadin, un flâneur.

L’une des conversations les plus frappantes visuellement est sans doute celle entre Manjari Sharma et Irina Rozovsky, dont les clichés pris avec l’appareil photo de leurs téléphones ont été imprimés sur des feuilles en 21 x 29,7 puis agencées comme une grille Instagram continue, sur toute la longueur de l’un des murs de la salle. Non seulement leurs photos adhèrent à ce qui semble un schéma organisé de couleurs douces et chaudes, mais elles témoignent également des grossesses parallèles des artistes, chacune ayant découvert qu’elle attendait un enfant juste avant ou juste après qu’elles aient accepté de participer au projet Met.

Il est intéressant de noter qu’une portion vers le milieu de leur mur de dialogues comporte des photos qui s’inspirent les unes des autres, prises dans la lumière sombre du coucher de soleil et qui semblent l’expression (possiblement non intentionnelle) de la fin d’une époque – celle du corps unique, de la pré-maternité. Elle se poursuit par une section de photos prises le matin et dans la lumière du jour, qui nous rappellent que deux paires de yeux tout frais verront bientôt le jour, offrant une réflexion lente et tranquille sur le passage du temps.

Certaines discussions tirent vers le politique plus que le personnel – ou les mêle, nous rappelant à quel point la politique peut devenir personnelle, notamment dans le climat actuel particulièrement tendu. C’est le ton qu’a pris l’échange entre les auteurs américains Teju Cole et Laura Poitras, qui ont partagé des captures d’écran des derniers gros titres sur l’administration Trump et des clips vidéo de ce qui semble des cours sur la cyber sécurité, la photographie et autres sujets pouvant facilement intégrer un récit politique.

Cole et Poitras, tous les deux connus pour leur activité dans le discours progressiste, n’étaient pas les seuls artistes invités à faire entrer leur conversation (par ailleurs directe) dans un contexte contemporain spécifique : la plasticienne Nicole Eisenman et l’artiste A. L. Steiner se sont tournés vers un aspect plus radical de l’activisme. Steiner a partagé (à un rythme presque constant) des captures d’écran de leur réflexion sur la résistance féminine, qui ont fini par devenir des panneaux en carton et des slogans – comme le spectateur peut le voir grâce à la capture d’écran plus tardive d’un rassemblement anti-Trump. L’évolution des idées, depuis les expressions à la mode jusqu’aux photos prises avec les téléphones, en passant par l’action de rue, n’est que l’une des magnifiques progressions humaines dont nous faisons l’expérience – à laquelle nous avons en fait presque participé – dans Talking Pictures.

L’un des principes uniques sous-jacents de l’exposition est l’authenticité en marche : le fait que les artistes, qui tendent par ailleurs à se faire un chemin vers l’œil du public via les commissaires et les communiqués de presse, partagent ici une vision plus intime et inédite de leurs pensées. Bien sûr, on peut se demander si quoi que ce soit peut être « authentique », au sens traditionnel du terme, avec un iPhone. Une conversation par textos ou un post Instagram ne sont jamais aussi instantanés – et les participants jamais aussi vulnérables – qu’une conversation en direct et ses participants. Il y a toujours un délai, une préméditation qui permettent aux auteurs – ou plutôt aux envoyeurs d’images – d’« organiser » leur expérience ; d’où la cohérence esthétique fréquente, le schéma en « appel et réponse » de nombreux dialogues présentés.

Lorsqu’on feuillète les albums des captures d’écrans ou que l’on observe le panorama des souvenirs de Rozovsky et Sharma – parmi les autres mosaïques numériques présentées – il ne semble toutefois pas importer que les thèmes et les incitations se soient infiltrés dans des dialogues autrement libres de formes. De toute façon, s’il n’y avait pas de sujet, ce ne serait pas vraiment une conversation ; ce sont les interprétations par les artistes de sujets même les plus banaux qui rendent cette expérience de communication unique.

 

Madeleine Leddy

Madeleine Leddy est auteure, spécialiste des arts. Elle vit et travaille à New York, aux Etats-Unis.

 

Talking Pictures :Camera-Phone Conversations Between Artists
Du 27 juin au 17 décembre 2017
Metropolitan Museum
1000 5th Avenue
New York, NY 10028
USA

http://www.metmuseum.org/

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