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Martina Bacigalupo/Walther

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Martina Bacigalupo est une photojournaliste. Depuis 2009, ses enquêtes l’ont menée en Afrique orientale et centrale, qu’elle a parcouru du Burundi à la Somalie, en passant par l’Ouganda. Son reportage sur les conséquences des massacres perpétrés par la Lord Resistance Army de Joseph Kony pendant plus de vingt-cinq ans dans le Nord du pays lui ont valu le Prix Canon de la femme photojournaliste en 2010 et c’est en allant développer les premières images de cette douloureuse enquête dans un studio local qu’elle découvre comment rendre compte de la complexité du drame : avec une collection de portraits 10×15 aux visages minutieusement découpés qu’elle trouve dans la poubelle du photographe.
Un parcours rapide de ces documents d’identité troués évoque les portraits de studio explosant de motifs de Malick Sidibé, au Mali, ou d’Oumar Ly, au Sénégal. Il y a de cela, de l’inventaire traditionnel, dans cette galerie de tenues colorées, de fonds uniformément rouges et de corps affaissant jusqu’à le craqueler un petit banc vert en Skaï molletonné. Les expressions faciales manquent, pourtant, et les postures timides ou fermes, sages et anxieuses, suggèrent que les visages, fussent-ils visibles, seraient ici plus graves. Les rares qui ont échappé à la coupe sont muets, comme celui d’un enfant enfoui dans les genoux de sa mère, droite dans sa veste à carreaux et robe à cercles. Par indice, la galerie anonyme se transforme en étude d’une identité perforée par les balles qui ont cinglé l’air et les corps pendant des années de guerre civile, forçant à l’exode une population rurale traditionnelle. Au-delà de la métaphore, ces photographies sont le fruit des insurrections, qui ont indirectement déterminé leur format. Les innombrables réfugiés internes ont alarmé les ONG, le rythme urbain a créé de nouvelles activités nécessitant des demandes de micro-crédits, les nouveaux paradigmes démographiques imposent des projets d’infrastructure détruisant les propriétés actuelles, l’instabilité politique réclame une armée professionnelle, meme si certains jeunes recommencent a étudier au lieu de mourir. Toutes ces institutions réclament une photographie d’identité dont le format passeport, avec ses quatre poses, est un onéreux gâchis dans cette région principalement démunie par les incessants conflits. Pour réduire les couts, Raymond Okot et son fils Obal Denis ont donc commencé à extraire les visages des portraits traditionnels à prise de vue unique – lui qui, confie-t-il en fin d’ouvrage, n’aime pas recadrer les photographies. Au fil des témoignages des clients du studio compilés par Martina Bacigalupo en même temps qu’elle entassaient ces drôles de portraits, la boutique devient le théâtre de la scène locale, agora ou chacun parle ouvertement de son expérience de la guerre, de ses positions et de ses projets. Plus encore que le coiffeur du quartier, le « mzée » (le vieux, le sage en swahili) et son fils réunissent la population du Nord Ouganda dans toute sa diversité, politique et sociale, tous déterminés, que ce soit en choisissant la voie de la tradition ou celle de la modernité, à construire l’avenir. C’est ce que symbolise le père venant faire photographier son fils, chaque année depuis sa naissance, le 9 octobre – le jour de la Libération de 1962. Cela étend de 25 ans la chronologie événementielle de fin d’ouvrage et inscrit clairement le projet dans une histoire de l’Ouganda, et de la photographie ougandaise. Ce n’est pas étonnant qu’il ait attiré l’attention d’Artur Walther, qui vient juste de publier une histoire en trois tomes de la photographie africaine.

« Gulu Real Art Studio »
Martina Bacigalupo
Coédition The Walther Collection / Steidl
192 pages
38 euros

Gulu Real Art Studio
The Walther Collection Project Space
Jusqu’au 8 février 2014
508-526 West 26th Street, Suite 718
NY 10001 New York
USA

http://www.steidl.de/flycms/en/Books/Gulu-Real-Art-Studio/0829405056.html
http://www.walthercollection.com
http://www.agencevu.com/photographers/index_photographer.php?id=255

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