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Le in et le off: Tiane–Doan na Champassak

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Le in et le off, Tiane Doan na Champassak

Il est off avec ses drôles de livres autopubliés mis sur orbite et épuisés en un clin d’oeil, il est in avec une folle rentrée qui compte trois livres de photographie publiés par Mörel Books, Post, Dienacht Publishing, et un quatrième qui mijote chez Steidl. Ses images, présentées par la galerie East Wing, ont été sélectionnées par David Lynch dans son « Paris Photo vu par… », Clément Kauter exposera vingt-cinq « ciba » en octobre dans son Plac’Art, et il vient de co-fonder le groupe AM Projects dont le premier livre sera lancé à Unseen Photo Fair en septembre…

C’est au Bal, en août, mois off par excellence, que je lui ai demandé de dédicacer The Father of Pop Dance. J’avais planifié une question sur la genèse de cet objet photographique non identifié, une autre sur The King of Photography dont je venais de dénicher le dernier exemplaire, puis une sur Looters que Martin Parr a propulsé sur sa Planète…. Mais c’était sans compter sur Showroom, Spleen and Ideal… et sa  photographie, baudelairienne, qui voudrait extraire la beauté du Mal, sur ses rencontres quasi romanesques avec les acteurs de la photographie et une vision rafraîchissante de l’édition. What else ?

ELSE*, justement, sa revue favorite, qui, comme lui, « du vernaculaire à l’artistique, embrasse tout, mélange tout ». C’est dans ELSE 2 (numéro consacré aux séries de photos trouvées) que sont publiées les photographies de The King of photography, petit livre de 64 pages 13×18, autoédité en 2011 à 250 exemplaires. L’histoire de ce livre est curieuse : alors qu’il travaille à Bangkok sur Spleen and Ideal, il est hospitalisé pour une infection oculaire. Avec un seul œil, la vision des objets change et en réglant sa note d’hôpital, il s’arrête sur une image familière « qui fait tilt » : le roi de Thaïlande, Canon en bandoulière, au dos d’un billet de 1000 baths. Le temps de sa guérison, il squatte l’écran d’un ordinateur et trouve des centaines de photos faisant apparaître Bhumibol Adulyadej, armé d’un boîtier, rarement le même, dans toutes les circonstances de sa vie. « Un fou de photo ». L’accumulation donne son sens à cette réappropriation d’images trouvées, le choix de la « riso » (graphie) homogénéise l’ensemble et lui donne un charme fou. On hésite entre le tirage Fresson et l’impression Xérox. Lancé à Arles la même année au Plac’Art, Martin Parr s’en empare et « c’est le début de l’émeute ! »

Le charme de l’imperfection

Looters, autopublié lui aussi, dont le format, le tirage, le prix et la genèse s’apparentent à ceux du King, subit le même sort. La source cette fois, la diffusion par la police londonienne des images de looters (pilleurs) captées par les caméras de surveillance ou fournies par les passants pendant les soulèvements d’août 2011. Imperfection des images prises dans la panique et récupérées sur le Net, choix de la « riso » encore, pour l’accentuer, qui donne cette impression de news en noir et blanc, l’ovni éditorial séduit cette fois l’éditeur Aron Mörel et Martin Parr et Gerry Badger le sélectionnent pour leur Photobook III. « En ce moment, je ne sais pas pourquoi, c’est la vague Tantra (2012), j’espère qu’il va m’en rester quelques-uns pour Paris Photo ! » Encore un self-published-book, plus personnel, « plus osé » cette fois, fait de yantras dessinés autrefois par son père et de photographies prises par Tiane dans un bordel de Calcutta. « Il existait 7 dessins, et je n’avais que 7 bonnes photos ».

« concept © Tiane Doan na Champassak »

SH : Devant cette débauche de succès et cette facilité apparente, quelques questions me démangent : est-ce si simple de cueillir sur le net des images anonymes pour en faire un livre, si petit et autopublié soit-il ? Quelles qualités cela requiert-il ? Est-ce rentable ? Pourquoi nommer ces objets « livres d’artiste » ? Pourquoi ne pas avoir proposé ces idées à un éditeur ?

Tiane Doan na Champassak : Ce sont des photos pauvres, anonymes, la source est numérique mais je ne pouvais pas me limiter à un blog, j’ai imaginé un projet conceptuel qui ne pouvait passer que par l’objet imprimé. Ce type de photos vernaculaires me passionne et se prête à l’exercice. Mais quel livre ? Comment créer le sens ? Dès que j’ai une idée, j’ai besoin de visualiser la forme qu’elle peut prendre. Un éditeur ? Je crois que ces objets sont des ovnis, trop particuliers, trop petits. Est-ce facile ? Dans le cas du King et de Looters, j’ai affaire à des matériaux divers, de qualité et de cadrages inégaux, il faut imaginer un moyen d’impression pour uniformiser l’ensemble, rapprocher tous les fichiers pour ne plus donner à voir que l’essentiel. Il faut tout maîtriser, de A à Z. On fait ni plus ni moins le boulot d’un éditeur. Choix du papier, de l’imprimeur, de la typo, du format, du titre, mise en pages, réseau de distribution… La qualité doit être là, sinon qui pourra l’acheter ? La seule « facilité », dans les cas de King, Looters et Tantra, c’est le procédé bon marché. Le risque est faible, ce qui n’a pas été le cas pour The Father of Pop Dance, à cause du choix de l’offset, d’une fabrication beaucoup plus complexe et d’un nombre de copies supérieur (700). Jusqu’ici tous mes livres sont rentables, les petits sont épuisés et The Father est vendu à moitié. Celui-là aurait pu être proposé à un éditeur, mais si j’appelle ces livres autoédités « livres d’artiste », c’est tout simplement parce que j’ai le contrôle sur eux, et pour ce sujet, c’était rêvé.

Dad in LA © Tiane Doan na Champassak

SH : The Father of Pop Dance… J’ai eu un choc en découvrant ce cahier à spirales en papier glossy, au Plac’Art photo. La trouvaille du siècle ? Un objet de collection ? C’était en fait une réédition que Tiane avait signée et que Clément Kauter venait de lancer sur son stand à Arles. The Father of Pop Dance, c’est Tiane, le père. Pas le père de la pop dance, non, mais ce « Dad in LA », aujourd’hui absent, qui danse devant l’objectif d’un photographe de mode en 1967. C’est une mystérieuse enveloppe jaunie retrouvée au grenier de la maison familiale, et dedans un album jamais ouvert qui ressemble à une maquette de livre…

TDNC : Avec des doubles pages qui s’étaient collées en sandwich au fil du temps, seules la couverture et la 4e de couverture étaient intactes. Mon père y est assis sur un tabouret. La surprise m’attendait à l’intérieur. L’excitation m’a fait arracher les doubles pages et j’étais conscient d’avoir gâché l’album de famille le plus dingue de cette époque. L’idée d’en faire un livre vient très vite, c’est un cadeau du ciel, un projet anonyme qui dépasse toutes mes espérances. Le titre original  de l’album : « LA, pop dance, Tiane 1967 ». La prise de vue est celle d’un photographe de studio à Hollywood, Eric Skipsey, dont je n’ai pas de traces. La production de ce livre fabriqué en Hollande a été lourde et compliquée, car je voulais la réplique de l’album original. Les tirages avaient été contrecollés sur un carton épais, j’ai retiré les trois vis immenses qui les reliaient avec une clé à mollette, dur pour les scans ! Les spirales ont été montées à la main, les bords arrondis…

SH : Tu as le rendu de vrais tirages photographiques, avec les traces blanches laissées par ton arrachage, comme si la marque du passé était venue s’inscrire à contretemps. Cet objet venu de loin tient certainement une place à part dans ta création. As-tu l’intention d’en faire d’autres ou ta photographie va-t-elle passer au devant de la scène ?

TDNC : The Father est probablement le dernier. Et pourtant j’aime cette richesse, la possibilité de jouer, varier, développer d’autres choses que MA photographie à travers le livre. En fait je ne fais aucune différence entre un livre autopublié et un livre d’éditeur. L’un me rend plus léger que l’autre. L’un m’engage moins que l’autre. L’un se fait plus vite. Deux des livres qui vont sortir à la rentrée résultent d’années de travail sur un thème qui est une obsession depuis longtemps, qui se situe à la frontière, floue, du masculin et du féminin. Le sexe des anges, paru en 2003 chez La Martinière, traitait déjà de cette ambiguïté sexuelle. (…)

De King et Looter à Mörel et Spleen

« (…) Au sujet de ces deux nouveaux livres, je dois dire pour l’anecdote que King et Looters ont provoqué des rencontres inattendues. Pendant Nofound Photo Fair l’année dernière, alors que je venais de chez Roland Dufau avec ma boîte de tirages sur Spleen and Ideal, je suis tombé sur Aron Mörel qui voulait à tout prix me rencontrer pour m’acheter les livres. Il y avait une super ambiance, j’étais avec Angström et quelques autres… Salut !, Salut ! Qu’est-ce qu’il y a dans ta boîte ? demande Mörel. Montre-moi ! Pendant ce temps, on était en train de voler des livres sur son stand mais il s’en foutait. Il est incroyable ce type, complètement off, c’est sa manière d’être in ! J’ai enfilé mes gants blancs et lui ai présenté les tirages, qui n’étaient pas encore destinés à l’édition. Il a trouvé ça « Din-gue », il a flashé sur le titre. « Mais ça c’est un livre !, tu me proposes une maquette et je le fais. » Mörel sans l’avoir demandé…

SH : A quoi étaient destinés ces tirages ?

TDNC : Je préparais l’exposition que Clément Kauter a programmée en octobre au Plac’Art photo, et dont il est partie prenante. Il expose 25 tirages sur une série de 35. Cinq séries sont en route. C’est aujourd’hui qu’il faut se serrer la ceinture, parce que c’est la retraite du Cibachrome et de Roland Dufau. Chez Dufau, c’est « the place to be » en ce moment, il faut compter trois mois pour un tirage et il a investi 50 000 euros pour acheter les derniers papiers qu’il pouvait trouver. Mörel n’était pas au programme mais du coup, on fera le lancement du livre avec l’expo.

Showroom

SH : Tu dévoiles par ton travail qui semble parfois être fait au pinceau le mystère qui entoure ces corps, partagés entre spleen et aspiration vers l’idéal. Le titre baudelairien aurait pu être le titre générique de ta recherche. Dans Showroom, tu imposes l’éclair éphémère du flash à tes sujets, qui profitent aussi de la lumière d’une fête avant d’être rejetés. Comment cet événement que tu côtoies depuis des années fait-il un livre aujourd’hui ?

TDNC : Tout d’abord, ce que je fais est on ne peut plus intime et je ne pourrais pas le faire dans un pays que je ne connais pas. L’Asie est l’endroit où je suis bien, j’ai grandi avec elle, et je suis près des gens. Cette fête des Hijras (eunuques), qui a lieu chaque année à Koovaagam, au sud de l’Inde, je l’ai photographiée dix fois mais je n’en trouvais pas la justesse. Pendant ces fêtes religieuses, la sexualité, pour la seule fois de l’année, n’est plus taboue et la ville se transforme en un bordel géant. Il m’a fallu cinq jours l’année dernière pour obtenir la matière d’un livre. Je dis en plaisantant que j’ai fait un livre en cinq jours, mais c’est plutôt en dix ans ! A mon retour, j’ai rencontré Nina Post (éditrice à Rotterdam) à Offprint, à la même époque que Mörel, et comme pour Spleen, ça a été « at the first shot ». Elle a voulu faire le livre tout de suite. Elle est présente sur les foires depuis 25 ans et connaissait mes deux « ovnis ». Elle sait ce qu’est un livre, elle en fait peu, chaque fois un livre unique avec des papiers très spéciaux. Il y aura, en supplément à Showroom, une édition limitée à 100 exemplaires, lancée en souscription, avec une couverture brodée à la main…

After Midnight, des livres collectifs

SH : Comme ce n’est jamais fini, tu entraînes depuis quelques mois dans ton sillage des amis photographes, « collègues » de VU. Les collectifs de photographes se sont souvent formés pour des raisons économiques, avec l’idée de AM Projects, tu as plutôt voulu sortir de l’ombre quelques photographes proches, pas assez vus à ton goût, avec pour objectif, on l’aurait deviné à ce stade de l’interview, de faire des livres…

TDNC : After Midnight Project est parti d’une frustration, celle de ne jamais être tout à fait bien représentés par une agence ou une galerie. Il est vrai qu’il est parfois difficile de spéculer sur nos sujets. Nous ne sommes ni agence ni collectif, nous nous réunirons (à six ou dix) autour d’un même thème une fois par an pour en faire un livre. Notre premier titre « Nocturnes », six visions de la nuit, a mis 23h pour trouver un éditeur ! Dienacht Publishing en Allemagne nous a répondu qu’il voulait faire le livre tout de suite. C’est un éditeur qui prend des risques en fabriquant lui-même des objets précieux en éditions limitées. Il a imprimé six livres sur six papiers différents qu’il a reliés entre eux, le tout présenté dans un coffret phosphorescent qui sera lancé à Unseen Photo Fair, une version plus contemporaine de Paris Photo, en septembre.

SH : Else, le magazine du musée de l’Elysée qui a publié Looters se définit comme un laboratoire visuel, une tentative de faire parler les images. On dirait que cette définition colle à ton travail.

TDNC : Laboratoire si on sait que j’expérimente toutes les formes de la prise de vue, du tirage et de l’édition, que je n’utilise jamais le même matériel deux fois. Ma photographie est personnelle, c’est la seule définition que je trouve. Je me suis éloigné du reportage document et de l’assignment des débuts (avec Stern) pour m’approcher de l’esthétisme et de la poésie, dans la lenteur.

Sylvie Huet

Tiane Doan na Champassak
Né en 1973, représenté par : agence VU, Kahmann Gallery, Eastwing.

Actualités :

UNSEEN Photo Fair, Amsterdam, 12-23 septembre
exposition Spleen and Ideal à la galerie East Wing (Dubaï) & signature du livre Nocturnes au stand Dienacht Publishing :
http://www.unseenamsterdam.com
http://east-wing.org
http://www.dienacht-magazine.com/publishing

AM projects :
http://www.amprojects.org

Plac’Art photo, 5 rue de l’ancienne comédie : expo Spleen and ideal et lancement du livre (oct.) :
http://placartphoto.com
http://www.morelbooks.com

Paris Photo :
Spleen and Ideal à la galerie East Wing
Signature de The Father of Pop Dance

Showroom, sortie en janvier 2013
souscriptions :
http://www.post-editions.com/showroom

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