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Paris : Joana Hadjithomas & Khalil Joreige, Se souvenir de la lumière

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Le couple de plasticiens et cinéastes Joana Hadjithomas & Khalil Joreige (nés en 1969 à Beyrouth) interroge depuis les guerres civiles libanaises le régime d’apparition et de suggestion des images à partir de pratiques fictionnelles narratives que le Jeu de Paume met en scène dans une exposition rétrospective magistrale. Ensembles photographiques, films, vidéos, installations, textes, performances sonores, nous plongent dans les turpitudes d’une traversée, celle de la mémoire oubliée en marge de l’histoire officielle. Une archéologie de la rémanence et du pouvoir de la soustraction dans le Liban contemporain en proie à la violence et aux ravages du temps. Des tourments qu’ils parent de nostalgie et d’imaginaire en ayant recours à des expérimentations extrêmement novatrices à partir d’enquêtes et d’investigations poussées. Dès la première salle nous sommes invités à entrer dans ce « Cercle de confusion », vue aérienne de Beyrouth découpée en 3000 fragments dont le visiteur est appelé à s’emparer, jouant alors sur son reflet dans l’image d’un miroir tendu. Une mise en abîme qui en annonce d’autres. Dans la vidéo « Toujours avec toi » des affiches de campagne électorale défilent dans un flux continu jusqu’à saturation et possible effacement. Avec « Khiam » et « Objets de Khiam » il s’agit du récit de six détenus de ce camp et la série photographique d’objets de leur fabrication. L’on quitte cette première salle avec des « Cartes postales de guerre » offertes, des vues idéalisées de la Riviera de Beyrouth dans les années 60 que le photographe fictif, Abdellah Farah a brûlées, soulignant le décalage entre le « Wonder Beirut » et les dévastations subies.

Dans « Images latentes » 3e volet de « Wonder Beirut » l’on retrouve Abdellah Farah et ses archives de pellicules conservées dans des tiroirs et soigneusement annotées. À chacun alors d’en dessiner les images. L’invisible et le latent, comme dans ce film Super 8 de l’oncle de Khalil officiellement porté disparu depuis 1985 aux côtés de nombreux compatriotes kidnappés. Une mosaïque de 4500 photogrammes pour autant d’images rémanentes. Fragilité de l’empreinte à l’oeuvre dans « Faces », ces martyrs morts au combat ou pour des raisons politiques qu’ils font resurgir avec nuance et inachèvement. Autre volet avec « The Libanese Rocket Society » programme spatial du début des années 60 très médiatisé à l’époque mais dont il ne reste aucune trace tangible, l’album de photographies du lancement de la fusée Cedar IV offert par l’association spatiale au président de la République ayant été tenu secret. L’installation « L’album du président » tend à réparer cela, reconstituant à partir de 32 tirages photographiques de 8 mètres de long et pliés en 32 parties, une vue fragmentée de la fusée.
Nous basculons dans une partie plus onirique où l’espace et le temps s’entremêlent, comme un désir d’échapper par la poésie à la noirceur et faillite des utopies. Ainsi la vidéo « En attendant les barbares » dont le titre résonne étrangement à nos oreilles, n’est autre qu’une surimpression de plus de 50 panoramas de Beyrouth. Le diptyque « Se souvenir de la lumière » qui donne son nom à l’exposition, tourné dans des fonds sous-marins envahis de plongeurs vêtus de couleurs différentes qui laissent couler une écharpe vive, se veut comme la plongée en apnée dans l’infra monde, ces cités imaginaires peuplées de fantômes. Enfin, à travers les paroles de la poétesse et artiste Etel Adnan qui dialogue avec Joana à propos du lien de sa famille avec la ville de Smyrne avant la chute de l’Empire ottoman, l’on sent cet attachement viscéral aux lieux et objets dans une existence marquée par l’exil.
Puis retour à la « rumeur du monde » avec cette installation autour de la crédulité et du mensonge, se basant sur ces milliers de scams collectés, ces courriels frauduleux très efficaces visant à réclamer le plus d’argent possible à un interlocuteur à partir d’une narration savamment construite où les faits réels et supposés alimentent une cartographie mondiale de la corruption. Cette « géométrie de l’espace » qui matérialise les flux de circulation de telles pratiques dans des sculptures en acier devient alors encore plus troublante. Notre perception de dérouté s’en trouve piégée et c’est là toute la force des artistes d’osciller en permanence dans ces registres contraires, ces dynamiques contemporaines sous-jacentes pour esquisser de nouveaux territoires et suggérer sans jamais dénoncer un présent sur lequel il devient « urgent de réagir ».

Joana Hadjithomas & Khalil Joreige sont représentés en France par la galerie InSitu -fabienne leclerc.

EXPOSITION
Joana Hadjithomas & Khalil Joreige
Jusqu’au 25 septembre 2016
Jeu de Paume
1, place de la Concorde
75008 Paris
France
http://www.jeudepaume.org

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