Florent Forestier, Docteur en philosophie, a rencontré Henri Pigeat, l’ancien patron de l’AFP et Président du CFJ (Centre de Formation des Journalistes). L’entretien est publié en trois parties.
Florent Forestier : Comment expliquer la fin de cet âge d’or ?
Henri Pigeat : D’abord, le développement des techniques numériques met à mal cet équilibre. D’une part, les meilleurs photographes méprisent le numérique et continuent de privilégier l’argentique. D’autre part, le développement du numérique nécessite de gros moyens qui ne sont pas à la portée de toutes les agences, qui se montrent souvent réticentes, par principe, à cette évolution. Les grandes agences filaires investissent de leur côté massivement : par exemple, l’AFP crée un laboratoire pour le traitement du numérique, et Sony met au point des prototypes de prise de vue numérique dès le début des années 80. Ces grandes agences prennent ainsi peu à peu le contrôle du marché. Les petites agences qui survivent mettent en avant leur histoire, leur souci artistique, mais se trouvent progressivement en position de conservatoire du photojournalisme. À présent, l’agence Magnum reste la dernière agence élitiste véritablement active.
FF : Comment l’évolution s’est-elle faite à l’AFP ?
HP : À l’AFP, au début des années 70, la place de la photographie reste limitée. Elle ne porte que sur des sujets français, pour des photos d’actualité de deux secteurs principaux: le sport et les personnalités politiques. Pour l’étranger elle ne fait que revendre des photos de l’agence américaine UPI. L’exemple caricatural est la répétition des scènes de sortie du conseil des ministres dans la cour de l’Elysée, chaque mercredi. Les grandes agences américaines, Associated Press et UPI, règnent sans conteste sur le marché international. L’agence Reuters ne crée un département de photo qu’en 1985, peu de mois après que l’AFP s’y soit elle même engagée. En fait, dès 1983, elle avait créé une équipe de recherche technique sur la numérisation de la photographie, la conversion automatique des messages et photos analogiques en signaux numérisés, le couplage texte-image et une des premières « chambre noire électronique ». Le nouveau département AFP Image créé en 1985 reposait ainsi sur des bases techniques très novatrices. Il bénéficiait aussi du recrutement d’excellents photographes anciens de UPI que les propriétaires s ‘apprêtaient à vendre. Ce tournant stratégique fut décisif pour l’AFP. Son dynamisme dans ce domaine ne s’est pas ralenti. Elle a créé en 1996 une des « banques d’images » les plus reconnues. La photo se rapproche aujourd’hui de 50% de son chiffre d’affaire et de ses résultats ; elle progresse plus vite que les autres secteurs d’activité et a ouvert la voie à la vidéo.
FF : Ces années marquent alors vraiment l’entrée de la photo de presse dans une autre phase ?
HP : Oui, c’est une phase assez différente, tirée désormais par l’image animée, la vidéo, dont l’expansion est facilitée par le satellite et la diffusion numérique qui supprime la rareté des canaux. Une partie de la photo d’actualité tend alors à se replier sur une approche plus artistique, mais toutes les photos progressent en qualité et peuvent avoir un impact décisif sur l’opinion, en marquant des moments exceptionnels. La photo de la petite fille blessée par le bombardement au napalm du village de Trang Bang, au Vietnam en 1972 , joue un rôle réel dans le changement de la politique américaine en Asie. Ce document, qui fait le tour du monde, exprime un « œil photographique » de très grande qualité, plus puissant qu’un éditorial écrit. On peut aussi évoquer la Madone de Bentalha, photo de 1997 de Hocine Zaourar de l’AFP, exprimant avec à la fois émotion et raison l’horreur et l’absurdité de la guerre civile qui ensanglantait alors l’Algérie.
Cette période de la photo d’actualité va durer pratiquement jusqu’à l’an 2000.
A venir :
Troisième partie: La photographie aujourd’hui
