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Dans l’atelier, l’artiste photographié d’Ingres à Jeff Koons

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Au studio, le naturel, mais c’est le comble de l’artifice ! (Man Ray)

Depuis toujours, pénétrer dans l’intimité de l’acte créateur fascine et c’est ce qui va devenir une obsession des photographes, ce que tente de mettre à jour le Petit Palais dans une exposition fleuve captivante de 431 œuvres à partir de 3 collections majeures de la Ville de Paris : le fonds Roger-Viollet, le fonds Carnavalet et le fonds du Petit Palais.

Qu’est-ce que regarder un artiste au travail ? Quelle est la part de la réalité sublimée ? En quoi la fétichisation du corps de l’artiste passe au premier plan avant la quête du moment décisif. Autant de questionnements soulevés par ce télescopage inédit d’époques et de mediums ( peintres, sculpteurs et photographes). Dès le début du parcours les plasticiens contemporains Gautier Deblonde et Catherine Leutenegger sont placés en dignes héritiers d’Edmond Bérard, actif pendant le second Empire. Ainsi d’ Alexandre Cabanel dans son atelier à Paris dans les années 1880 aux studios cliniques de Ron Mueck, d’Anish Kapoor ou d’Ellsworth Kelly les enjeux seraient-ils les mêmes ? L’artiste grand manipulateur de l’image semble une constante quand on regarde notamment les stratégies de Jeff Koons dans le Vanity Fair, pas si éloigné de la démarche d’Ingres saisi par Nadar « L’homme qui ne riait jamais » (1856-1858) ou des cartes postales de Disdéri puis de Foujita, objets de convoitise de nombreux collectionneurs. Si la technique change (daguerréotypes au départ) la mise en scène de soi parmi tout un bric à brac sympathique reste la même comme avec Francis Bacon et son atelier d’un désordre innommable, encapsulé dans la boîte de Charles Matton. Décors bourgeois du XIXè siècle ou bohèmes au siècle suivant parsemés d’accessoires, ces intérieurs d’atelier font partie d’un imaginaire collectif savamment relayé par la photographie ou le film documentaire. Des premiers stéréoscopes au véritable story-board certains deviennent des spécialistes du genre, Lucien Hervé photographe attitré de Le Corbusier ou Hélène Adant qui scrute le « mystère Picassien » dans ses années à Vence, Picasso qui en joue véritablement tout en ne lâchant rien sur la genèse de l’œuvre, Brassaï s’y étant essayé également. La vie de l’ogre dans ses ateliers, ses spectacles à ses enfants, ses pas de danse, ses amis, ses amours, le monde entier s’invite sur les lieux selon des rituels bien précis. L’image de l’artiste s’incarne véritablement alors quand ce sont des proches qui le photographient.

Autres volets de cette histoire de la vie des ateliers, la question du modèle qui cache souvent des fins érotiques et de l’amitié entre les artistes au travail et les photographes tels de Gérard Rondeau et Reyberolle qui dure jusqu’à la mort de l’artiste ou Jesse Fernandez et Marcel Duchamp qu’il rencontre au Painter’s Club de New York dans les années 50.  Certains artistes deviennent même photographes eux-mêmes, comme Brancusi (initié par Man Ray à Montparnasse) et Bourdelle, dépassant le cadre strictement documentaire.

Mais arrive un moment où la photographie tient l’occasion de sa revanche quand elle prend le pouvoir dans un atelier vidé de l’artiste. Dès lors se dessine un portrait en creux de l’habitant des lieux à partir d’indices qui ouvrent la voie à des démarches plus conceptuelles. Ainsi de Joel-Peter Witkin et sa réinterprétation sublimée des classiques à partir de Courbet ou Rubens ou d’Illés Sarkantyu qui créé comme une grille formelle colorée à partir des couvertures des dossiers d’archives de Lucien Hervé ou Joel Meyerowitz et sa fresque des objets personnels de l’atelier de Cézanne. Traquer les fantômes, faire parler les absents, dessiner un paysage mental pour interroger le medium et ses limites. La question de la performance dans l’atelier est enfin abordée à travers Bruce Nauman et ses gestes quotidiens répétés jusqu’à épuisement de sens. Une implication du corps au cœur du processus même de création que l’on retrouve chez d’autres artistes comme Helena Almeida malheureusement absente de ce panorama comme le regrette les 3 commissaires : Delphine Desveaux, directrice des Collections Roger-Viollet, Susana Gállego Cuesta, conservatrice de la collection photographique du Petit Palais et Françoise Reynaud, conservatrice en charge des collections photographiques du musée Carnavalet.

Saluons leur mérite dans cette entreprise qui reste non exhaustive mais tout à fait novatrice dans sa forme plurielle. Une histoire de l’illusion où chacun donne ce qu’il a envie de donner à un moment donné. Mettre en doute les apparences pour déjouer une fois de plus les réflexes de notre regard…

EXPOSITION
Dans l’atelier, l’artiste photographié d’Ingres à Jeff Koons
Commissariat : Delphine Desveaux, directrice des Collections Roger-Viollet, Susana Gállego Cuesta, conservatrice de la collection photographique du Petit Palais et Françoise Reynaud, conservatrice en charge des collections photographiques du musée Carnavalet
Du 5 avril au 17 juillet 2016
Petit Palais
Avenue Winston Churchill
75008 Paris
France
Du mardi au dimanche de 10h à 18h
Nocturne le vendredi jusqu’à 21h
http://www.petitpalais.paris.fr

Par un dispositif numérique innovant, il est possible d’explorer les 100 images manquantes de l’exposition et d’en choisir 5. Les 25 photographies les plus plébiscitées seront réunies dans une exposition virtuelle sur le site : danslatelier.paris.fr

LIVRE
Dans l’atelier, l’artiste photographié d’Ingres à Jeff Koons
Catalogue de l’exposition, 304 pages, 24 x 30 cm, relié,
300 illustrations couleur
Editions Paris Musées
49,90 euros

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