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« Combien vaut-elle cette Photographie ? »

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Chronique Mensuelle de Thierry Maindrault

Au début de ma courte carrière de photographe professionnel, dans les années 1960, à chaque première rencontre avec un directeur artistique de cette époque et après son coup d’œil rapide dans mon « book », la même question surgissait : combien pour la prise de cette photographie ? Devant une telle interrogation, le vrai créateur reste toujours très hésitant. En effet, si le temps de travail, la transpiration et les à côtés s’évaluent assez facilement, ce n’est pas la même musique pour les élucubrations de ses petites cellules grises. A ce stade, l’aiguille du cadran de l’évaluation doit se positionner entre la timidité et l’orgueil. Sauf que pour trouver du travail, j’avais négligé amplement le regard du tiers et son appétit pour mes travaux. Mes recherches de clients se sont naturellement débloquées lorsqu’un des « papes » de la publicité déclarât à propos de mon devis, « … tu multiplies tout de suite ton prix par dix … sinon pas de commandes … tu n’es pas crédible … ». Je venais de prendre conscience de ce fameux prix dit psychologique. Ensuite, mon carnet de commandes est resté surchargé jusqu’à mon abandon de la photographie professionnelle pour me consacrer à la création sous toutes ses formes, dans le domaine professionnel.

Nous nagions dans la fin des trente glorieuses des économies occidentales.

Quelques-uns d’entre vous ont vécu cette époque et s’efforcent d’en témoigner. Nombre d’entre vous ont été formés et éduqués par ceux qui étaient acteurs de cette période. Beaucoup d’entre vous n’entendent que des bribes, souvent limitées à des anecdotes, évoquées par ceux qu’ils classent dans les anciens combattants, dépassés et radoteurs. Tous vivent avec une vérité qui construit l’histoire de la Photographie.

Le Monde évolue, il trace son chemin pour sa propre histoire. Par contre, du côté de l’évolution, il serait grotesque d’affirmer que les humains accèdent à la moindre progression dans leur comportement. Les évolutions technologiques, l’oisiveté, la mondialisation, la dématérialisation et maintes autres facettes de notre environnement ont changé les règles et les rapports en société de façon drastique. Aujourd’hui, le moindre jeune bourré de talents mais, sans piston lui offrant un nom, n’a quasiment aucune chance de vivre de son intelligence et de son travail photographiques. Pour survivre, elle, ou lui, se doit de prendre protection sous le joug d’un proxénète virtuel qui distribue chichement du travail sur le réseau internet à des conditions de soumission absolue. Les mêmes souteneurs se parent des vertus de sauveurs de la gent photographique : un comble n’est-il pas ? Tous les droits sont spoliés, toutes les œuvres sont piratées, tous les engagements volent en éclats irréparables. Sans oublier les égocentriques, à la tête de baudruche, qui sont capables d’accepter une prostitution à perte, dans l’espoir de graver leur nom dans une Histoire immédiate (inconscients de l’antinomie). Nous avons tous rencontré ces créateurs flamboyants qui vous cèdent leur chef-d’œuvre absolu pour un prix inférieur au prix d’acquisition du papier ou du tirage. Tout cela détruit irrémédiablement l’invention et le savoir-faire indispensables à toutes les activités photographiques. C’est très loin d’être un réconfort ; mais, ce phénomène se retrouve chez nos amis musiciens, graphistes, architectes, etc.

Avant d’évoquer la valeur intrinsèque d’une photographie qui peut vous plaire, il nous faut rappeler certaines règles de base que beaucoup semblent avoir oublié. C’est surtout le cas des marchands de soupe (avec ou sans crème fraîche). Il est admis qu’une œuvre photographique à la prétention artistique (ce qualificatif pompeux restera à vérifier dans un petit siècle !) ne doit pas générer plus de trente exemplaires tous formats, toutes couleurs, tous supports confondus. Chacun de ces tirages individuels définitifs doit avoir été réalisé obligatoirement par l’auteur de son vivant, ou éventuellement sous son contrôle direct. Pour en attester l’auteur aura signé de son vivant chacun des tirages sur lesquels figurent le numéro de ce tirage et le nombre total de toute la série. Un certificat, rattaché à l’œuvre par un lien sécurisé, signé de l’auteur, est facultatif, mais très souhaitable. En dehors de cette règle, légalisée dans certains pays, nous ne faisons l’acquisition que d’une image décorative (éventuellement très belle) ou d’une épreuve photographique (au passé parfois anecdotique) qui n’ont aucune valeur créative au sens strict. Ce qui n’empêche pas nombre de nouvelles galeries photographiques et d’hypermarchés culturels de vous affirmer que vous faites l’acquisition d’une œuvre d’Art avec un tirage n°1254 sur trois mille de la prise de vue galvaudée d’un photographe académicien. Même si cette image est toujours séduisante et jolie, c’est une image décorative qui vaut le prix du cadre s’il existe et rien de plus.

Il est amusant de voir des ventes irréalistes de tirages réalisés des dizaines d’années après une prise de vues (parfois après le décès de l’auteur) et sans aucune garantie d’origine ou de nombre, se négocier à des prix astronomiques sans aucune autre caractéristique qui puisse le justifier. Il est encore plus amusant de trouver des gogos qui paient des sommes obligatoirement extravagantes pour ces pseudo vintages, sans aucun intérêt.

Comment acquérir et encourager un authentique travail de création, de conception et de réalisation photographique ?

Sauf si vous êtes un caïd des marchés boursiers et financiers, il faut s’intéresser, se passionner pour une œuvre qui plaît. Elle s’avère primordiale cette petite vibration dans la poitrine devant une image. Il est également important de savoir si le prix demandé est compatible avec vos propres moyens (personnellement j’aimerai bien une toile de Van Gogh dans ma maison, … j’ai oublié depuis longtemps). Il est judicieux de vérifier que le nombre de tirages ne s’égare pas au-delà d’une dizaine (moins est toujours mieux) de numéros et qu’il est réellement et définitivement limité. Il s’avère souvent intéressant de connaître l’auteur pour échanger sur tout et sur rien, il est rarement utile de connaître sa vie et le pourquoi, dans le détail, de l’œuvre que vous convoitez. Si vous avez besoin d’une explication avant votre acquisition, je ne suis pas vraiment certain que cette œuvre soit pour vous. Le lien avec l’auteur permet généralement de trouver un juste prix entre les parties. Il est inutile de tirer le prix vers un minimum. Si vous partez avec votre photographie en criant sur les toits que vous avez réalisé l’affaire du siècle, je ne suis pas convaincu que cette œuvre était pour vous. Il est bien évident qu’il n’y a pas d’obligation de payer votre choix trois fois son prix, même après avoir vérifié que la qualité pérenne de votre acquisition est bien irréprochable.

Par ailleurs, vous pouvez faire une grande confiance aux vrais galeristes qui ne vous conteront pas de bobards et vous montreront votre acquisition avant la sortie de votre carte de crédit. Ce n’est absolument pas le cas pour ce qui concerne la myriade de sites virtuels et envahissants qui vous promettent l’investissement absolu. Et puis, qu’elle soit à 50 euros ou à 50 000 euros, qui peut acheter une œuvre de création sur un écran d’ordinateur aussi fantastique soit-il ?

La valeur fondamentale est celle de votre expertise personnelle (philosophique, émotionnelle, intellectuelle, patrimoniale, etc.) et celle de votre adhésion, sans retenues, au discours de l’image. Cela n’a pas de prix !

Thierry Maindrault, 11 mars 2022

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