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Archives Municipales de Lyon : Philippe Schuller et l’Ukraine

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Jusqu’au 01 octobre 2022, les Archives Municipales de Lyon accueillent la troisième exposition du photographe Philippe Schuller. Membre fondateur de l’agence lyonnaise Editing, Son œuvre protéïforme aborde tour à tour la société française, les transformations urbaines, notamment à Lyon, l’art du portrait ou témoigne des beautés du monde. Son œuvre protéïforme semble à la croisée du documentaire et de la poésie, et marque également les transformations de la photographie, entre projets personnels et commandes de presse. Suite et fin de notre entretien avec le photographe, sur l’Ukraine post-soviétique. 

 

Arthur Dayras (A.D.) : La première partie de l’exposition aux Archives municipales de Lyon est consacrée à l’Ukraine, que vous avez arpenté deux fois en 1991 puis en 1993, après la chute de l’URSS. Quels souvenirs en gardez-vous ?

Philippe Schuller (P.S.) : C’est un souvenir extraordinaire, un reportage tout aussi extraordinaire. Quand trente ans après, ces photographies réapparaissent, le contexte actuel les rendent très fortes… C’est Mourad Laangry, co-commissaire de l’exposition qui est à l’origine de cette exposition dans l’exposition. Quand il a vu mes archives, et toutes ces photos en Ukraine, il s’est dit « ce serait bien de faire l’Ukraine à part ». Les événements du mars 2022 sont arrivés après cette décision. C’est en 1991 que nous sommes partis avec Muriel Pernin (écrivaine, journaliste et voyageuse). C’est une femme formidable, qui est encore aujourd’hui en relation avec des associations ukrainiennes, notamment à Villeurbanne. Muriel travaillait déjà sur cette tragédie, la famine de 1932/33 qui a fait entre 4 et 5 millions de morts (l’Holodomor en 1932) un événement non reconnu par l’ONU à l’époque. Qui n’existait pas ou à la marge. Nous avons commencé à faire des photographies d’Ukrainiens ici à Villeurbanne, des portraits de la diaspora. Mais nous nous sommes vite rendu compte que pour réaliser un travail sérieux, il fallait aller sur les lieux de la tragédie. Sur place, une jeune étudiante Ania, est devenue notre guide et notre amie. Quand nous sommes arrivés à l’aéroport, c’était l’atmosphère soviétique… des types en uniforme militaire la mitraillette en bandoulière. Les bâtiments sont d’une architecture typique certains décorés de l’étoile rouge. J’ai eu l’impression que ces gens-là étaient bloqués par un plafond de verre. Ils ne savaient rien de ce qui se passait ailleurs. Ils n’avaient pas encore le désir de l’Ouest. La propagande marchait à fond. Après pas mal d’investigations grâce à des circuits parallèles, nous avons réussi à rencontrer des témoins de la famine. Leur témoignage était terrible. Je les ai photographié chez eux dans leur milieu familial.

Je suis retourné en Ukraine en 1993, J’ai pu notamment visiter les chantiers navals à Odessa, ce qui était impensable en Occident. On se baladait où on voulait. L’envie me prend de monter à bord d’un vieux rafiot. Youri, Capitaine du vieux tanker en réparation nous accueille avec sympathie. Il nous sert la vodka, On mange, on discute tandis qu’Ania fait la traduction. La discussion à l’air sympathique. Il était plutôt bienveillant. Ania finit par discuter avec lui, en russe. Je lui demande ce qu’ils se disent et elle me racontera plus tard, que le commandant l’a questionné : pourquoi avoir fait venir ces gens ? Ils ne devraient pas venir. Ils devraient rester entre eux, il avait une haine véritable contre nous… Il y avait toujours cette méfiance, qui disparut peu à peu après 1993.

Nous avons pu rencontrer des hommes politiques, des résistants à l’emprise soviétique, qui étaient nationalistes dans un autre sens que celui entendu par l’extrême droite, qui depuis des années, cherchait à faire reconnaître l’Ukraine comme une nation indépendante. Ce sentiment national était encore très étouffé. L’Holodomor de 1932, voulu par Staline, était d’ailleurs entre autres, pensé pour étouffer cette forme de nationalisme.

 

A.D. : Sur place, vous m’avez confié un problème de taille, qu’on a peine à imaginer aujourd’hui à l’ère du numérique : l’envoi des pellicules.

P.S. : Ce qui est tout aussi fascinant aujourd’hui, c’est de savoir qu’on pouvait passer trois semaines à faire cinquante films sans rien voir. Si on se plante d’un diaphragme, les photos sont foutues. À cette époque, nous étions hyper précis. Il y avait très peu de déchets. Les pellicules étaient quelque chose de sacré. Si on les perdait tout était foutu. Dans la poche gauche les films vierges et dans la droite les films utilisés. Muriel m’a rappelé une anecdote, à Kiyv par un incroyable hasard elle a rencontré un ami Villeurbannais qui rentrait en France le lendemain. Ni une ni deux je lui ai remis mes films et l’agence a pu les récupérer 2 jours après.

(Lorsque nous traitions de l’actualité à Lyon, nous déposions les films le soir au labo pour récupérer les diapos le matin à 6h 30. Un rapide éditing, une courte légende et aussitôt foncer à la gare pour faire un envoi TGV. À 10h les films étaient à Paris. Nous étions concurrentiels)

 

A.D. : Quels souvenirs avez-vous de l’Ukraine postsoviétique ?

P.S. : Quelques anecdotes… Un jour nous étions à Yalta et il y avait de l’autre côté de la « frontière » Sébastopol, ville interdite. On cherche quelqu’un pour passer en fraude et nous trouvons un taxi prêt à le faire. « Pas de problème, je vous emmène ». On passe par les petites routes, un petit chemin qui contourne le poste de garde par les collines. Puis nous retournons sur la route principale une fois le poste passé et paf, nous tombons nez à nez avec la milice. Et là, ça ne rigole plus. La voiture est arrêtée, les flics arrivent, nous ouvrent la porte, sortent le chauffeur et lui tape dessus. J’étais dans mes petits souliers. Je me dis, « bon là on va se retrouver au poste… ». L’interprète commence une discussion, revient et me dit « ça coûte 25 $ ». D’accord. Il fallait encore à cette époque graisser la patte à chaque étape…

En 1993 à Lviv, très belle ville située à l’extrême ouest, berceau des nationalistes, j’ai rencontré et photographié des milices qui faisaient une retraite aux flambeaux dans les rues. Ils se présentent à nous et nous disent avec chaleur « Le Pen, Le Pen ». Ils parlent de Jean-Marie Le Pen. J’étais sidéré. Il y a eu un rassemblement avec des participants en uniformes de tous âges, de l’adolescent au vieillard faisant le salut fasciste. Ils se rendent au cimetière pour rendre hommage à un mort. Ce mort, nous explique un participant,  était parti combattre en Géorgie, combattre les Russes parce que leurs ennemis, c’étaient les Russes. Ils combattaient pour l’indépendance de l’Ukraine. Le lendemain j’ai photographié leur chef dans son bureau, entouré de symboles, les loups, les chiens, tout une imagerie fascisante. Il était jeune et se donnait une allure de grand chef. Il m’a remis le magazine de leur mouvement, je l’ai toujours dans un classeur.`

 

Philippe Schuller est distribué et représenté par La Maison de Photographes Signatures.

Plus d’informations

Philippe Schuller, Photographies
Une exposition pensée par l’artiste, Marie Maniga et Mourad Laangry
Aux Archives municipales de Lyon
Du 04 mars au 1er octobre 2022
Site internet des Archives Municipales de Lyon

ENTRÉE LIBRE

lundi : 13h-17h
mardi – vendredi : 9h-12h / 13h-18h samedi : 13h- 18h
sauf jours fériés
fermeture 26 au 29mai
et du 1er au 15 août

1, place des Archives – 69002 Lyon

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