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Archives Municipales de Lyon : Entretien avec Philippe Schuller

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Jusqu’au 01 octobre 2022, les Archives Municipales de Lyon accueillent la troisième exposition du photographe Philippe Schuller. Membre fondateur de l’agence lyonnaise Editing, Son œuvre protéïforme aborde tour à tour la société française, les transformations urbaines, notamment à Lyon, l’art du portrait ou témoigne des beautés du monde. Son œuvre protéïforme semble à la croisée du documentaire et de la poésie, et marque également les transformations de la photographie, entre projets personnels et commandes de presse. 

 

Arthur Dayras (A.D.) : Philippe Schuller, ce n’est pas votre première exposition aux Archives municipales de Lyon. Il y eut notamment celle sur la Cité Mignot (Longue vie à la Cité Mignot !, 2018) et celle consacrée aux commerces et artisans lyonnais d’autrefois (2014). 
Vous avec porté par ces deux expositions un regard au long cours sur Lyon.  

Philippe Schuller (P.S.) : Je ne suis pourtant pas un vrai Lyonnais, mais je connais ma ville, si je peux dire. La première exposition en 2014 témoigne d’un changement. L’arrivée du métro à Lyon avec l’ouverture de la ligne A en 1978, fut un bouleversement. Par exemple avant, on pouvait faire le tour de la place des Terreaux en voiture. C’était le règne de la voiture. Aujourd’hui elle est piétonne et à moitié fermée à la circulation et c’est beaucoup mieux.

Pour les 30 ans de Géo, j’avais pu documenter la transformation de cette ville, en photographiant 30 ans après, divers endroits de Lyon. Par exemple, les quais du Rhône qui à l’époque étaient bourrés de voitures.

A.D. : Le début de l’exposition actuelle commence avec un ensemble de brochures, titres de presse et reportages journalistiques qui vous ont été confiés. Vous avez travaillé pour des supports lyonnais, des quotidiens nationaux et des journaux spécialisés comme L’Équipe. Comment cela fonctionnait-il ?

P.S. : La plupart de mes reportages se sont fait grâce à l’agence Editing, dont j’étais l’un des membres fondateurs, créée et dirigée par Serge Challon en 1988. Serge avait rassemblé les photographes lyonnais dans un même cadre et j’ai pu m’y rattacher. L’idée géniale de Serge fut d’aller voir les magazines parisiens avec cette proposition simple : si une agence photo lyonnaise se créé, cela vous intéresse-t-il ? Nous avons reçu des commandes assez rapidement, principalement parce nous offrions à ces magazines une autre vision que celle parisienne. L’agence faisait le lien. Mais cela ne m’a pas empêché de faire des reportages indépendants, plus personnels.

A.D. : Pour L’Équipe, vous aviez notamment suivi de jeunes rugbymen depuis le bord des terrains, un reportage finalement anodin où se dégage une grande tension, une émotion immense.  

P. S. : Ce reportage était une idée, là aussi, de Serge Challon. Son fils jouait avec l’équipe du collège Victor Grignard à Lyon. Son équipe jouait la finale du Championnat de France Scolaire Rugby Elite contre un Lycée de Montauban. Je ne connaissais rien au rugby, mais je les ai suivis pendant plusieurs mois pour avoir un travail complet. C’est certainement ce qui donne à la série, cette profondeur.

A.D. : On pourrait vous qualifier de photographe « au long cours ». L’exemple de votre série sur les hippodromes lyonnais en est un bon exemple. Vous avez photographié les dimanches, pendant de longues années, chevaux et palefreniers, courses et paris, tout cet univers méconnu. Ces projets s’opposent au temps court des commandes, aux impératifs de la presse.

P.S. : La commande concerne toujours un sujet unique. On ne sait jamais son résultat. J’ai fait bon nombre de petits sujets qui ont très bien marché. L’un et l’autre s’alimentent. Le premier sujet hors-commande que j’ai pu faire était justement celui des commerces de quartier (exposé aux Archives municipales de Lyon). Un autre sujet marquant fut la Clinique du Champ Fleuri à Décines, dans la banlieue Lyonnaise, une institution alors en avance sur son temps qui défendait les accouchements sans douleur. J’ai pu documenter pour la première fois ces accouchements, directement dans les salles d’opération. J’ai adoré photographier l’univers hospitalier.

A.D. : Ce sont pourtant des lieux assez complexes à photographier, avec une lumière blanche uniforme et crue, omniprésente, presque aseptisée.

P.S. : Oh, le problème de la lumière c’est quand il n’y en a pas. La clinique nous appelait à 1 h du matin parce qu’une femme accouchait.

A.D. : Ces femmes étaient d’accord ? C’est pourtant un sujet assez sensible, très intime.

P.S.. : C’étaient des gens un peu écolos, elles se foutaient de cette question. Et cela a donné de très belles photographies, sans flash, avec une lumière indirecte. Une autre de mes séries personnelles fut celle consacrée à une association d’insertion par le logement. Cette série a disparu et je n’ai plus que les diapositives. Je suis allé voir ces gens qui vivaient, pour beaucoup, dans des logements insalubres. Un jour, nous sommes allés dans un immeuble où des immigrés algériens vivaient sans eau ni électricité, parce que le propriétaire qui les hébergeait souhaitait les expulser. Je me souviens du cliché d’un homme dans son lit. C’était triste à mourir. Je lui ai apporté sa photo, comme j’ai l’habitude de le faire et il l’a regardée. Il a tourné la tête et je l’ai vu pleurer.

A.D. : Vous n’avez plus jamais donné de photos ?

P.S.. : Non, non, non, j’ai continué à donner des photos, mais en faisant attention à ce que l’image ne blesse pas les gens. Il y a quinze ans j’ai réalisé un reportage sur l’obésité. On avait constaté qu’en France l’obésité augmentait de façon constante, raison pour laquelle j’ai décidé de réaliser ce reportage. C’est aujourd’hui un sujet moins clivant. L’obésité est désormais mieux appréhendée, mieux connue. J’ai accompagné un routier obèse, dans son camion, depuis Paris à Auxerre. Je l’ai suivi dans son camion, on est descendu à Auxerre, il déchargé sa marchandise, en dépit de ces 196 kilos. Super sympa pour lui qu’il soit capable de le faire. Et puis on est remonté à Paris, nous sommes arrivés à 5 h du matin. Je l’ai photographié conduisant sa grosse Citroën SM pour rentrer chez lui. Il s’était essayé aux premiers anneaux gastriques, une technologie médicale encore balbutiante, pour maigrir. Quelques mois après, sa femme me téléphone. Elle me dit, « il est mort. Est-ce que je peux avoir les photos ? ».

A.D. : Parlez-nous de la Cité Mignot à Lyon. Celle-ci s’avère assez similaire, dans son esprit, à la série photographiée par Ito Josué sur les ensembles architectures de Firminy, dans la Loire, construit par Le Corbusier. On retrouve dans l’une et l’autre cette volonté de photographier l’habitat au plus près, de montrer le cadre imposant de ces habitats, et les arrangements, par l’intérieur, par la décoration de ses habitants, avec ce même cadre contraignant.

P.S.. : J’étais très content de ce travail. Je me suis énormément  investi. Je trouve que j’ai réussi à faire ce que je souhaitais et pourtant je regrette que si peu de gens aient participé. Il y avait 150 logements et j’ai dû rencontrer et photographier 25 personnes. J’aurais pu en faire cent autres, mais Il y a cette réticence lyonnaise, ou une volonté de discrétion. Mais Malgré tout, la série montre des profils étonnants — comme ce chanteur d’opéra en couverture de l’ouvrage ou cette Sud-Américaine qui avait une magnifique complicité avec son fils. Au début, cette jeune femme avait refusé la photo, mais à force de la croiser, au bout d’un moment, après réflexion elle s’est prise au jeu.

Je vous raconte mon tout premier portrait. C’était le fils d’une dame que ma femme connaissait, un jeune marin. La séance se déroule dans sa chambre, j’y arrange un fond et j’essaie de bricoler un flash avec des calques pour adoucir la lumière. Je ne suis pas vraiment à l’aise. Lui s’agite avec son sac. Il n’arrête pas de me poser des questions. Il recommence avec son sac. C’est là que je me suis dit « mais ce n’est pas que technique la photographie ! ». Il faut aussi parler, répondre aux questions, je n’y avais pas pensé.

Je pense qu’un bon portraitiste est le photographe qui arrive à montrer la vraie personnalité d’une femme ou d’un homme, au-delà de la façade qu’elle ou qu’il présente au moment de la prise de vue.

Une autre anecdote. Je vais à Genève photographier un banquier. Pour une séance de portrait, j’ai besoin de beaucoup de temps dans la préparation. Idéalement le mieux est de repérer son lieu, de bien choisir sa place, d’essayer des angles. Mais lui était très pressé et il a fallu s’adapter. J’ai passé 3 fois plus de temps dans les repères que dans les shoots. Ça a duré la matinée mais je ne lui ai pris qu’un minimum de son temps.

Le portrait est un peu un enjeu. On ne sait pas où l’on va arriver. On peut rencontrer des types géniaux, avec qui on a un formidable contact et ne pas faire une bonne photographie et inversement. En définitive, je fais de la photographie pour aller voir derrière la montagne, pour aller de l’autre coté du mur, derrière la porte, là ou on ne doit pas aller.

 

Suite de notre entretien avec Philippe Schuller sur l’Ukraine, le mois prochain.
Philippe Schuller est distribué et représenté par La Maison de Photographes Signatures.

Plus d’informations

Philippe Schuller, Photographies
Une exposition pensée par l’artiste, Marie Maniga et Mourad Laangry
Aux Archives municipales de Lyon
Du 04 mars au 1er octobre 2022
Site internet des Archives Municipales de Lyon

ENTRÉE LIBRE

lundi : 13h-17h
mardi – vendredi : 9h-12h / 13h-18h samedi : 13h- 18h
sauf jours fériés
fermeture 26 au 29mai
et du 1er au 15 août

1, place des Archives – 69002 Lyon

 

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