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Valérie Belin à la galerie Nathalie Obadia

Rencontre avec Valérie Belin qui présente sa dernière série All Star à la galerie Nathalie Obadia à Paris jusqu’au 29 octobre 2016. L’occasion d’aborder avec elle les coulisses de la réalisation de ses images. Entretien.

Dès 2009, le numérique a pris une place importante dans le processus de fabrication de vos images…

En effet, mon travail s’est progressivement modifié. Je ne pouvais pas ignorer un nouvel outil comme Photoshop : il fallait que je me l’approprie. Mon travail s’est ainsi décalé d’une photographie analogique qui faisait référence à l’empreinte et au vivant vers le virtuel. On peut presque dire que j’ai opéré un déplacement de la photographie vers l’image. Il ne s’agit jamais de faire des retouches correctives, mais plutôt de travailler avec ce que l’outil Photoshop a de spécifique.

Comme vos séries précédentes Still Life (2014) et Super Models (2015), les photographies de All Star sont le résultat d’une surimpression. Comment sont élaborées les images ?

La surimpression est un phénomène que je travaille depuis 2009. J’ai commencé avec la série Têtes couronnées, dont chaque image est composée de 5 à 7 vues superposées du même modèle. En revanche, les 11 images qui composent la série All Star résultent de la rencontre de 3 éléments : la couverture d’un comics américain, un portrait de jeune fille à la beauté extrêmement classique réalisé en studio et des images vectorielles.

Si d’une série à l’autre le principe de la surimpression est répété, les ingrédients, eux, sont différents. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Dans la série All Star, j’associe différents éléments contradictoires. Il y a d’abord les jeunes femmes, qui sont des mannequins d’agences, à qui j’ai demandé de poser dans un style que j’appelle « dépressif ». Elles sont volontairement sombres et tourmentées. Pour renforcer cet effet, j’ai utilisé un éclairage semblable à celui du film noir dans lequel la lumière provoque des ombres si fortes qu’elle occulte le regard des acteurs. Il y a ensuite les couvertures des comics, non recadrées, qui présentent quant à elles un univers très dense avec des images de combats, de guerre ou de fin du monde, des bulles de dialogue, etc. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’images dans lesquelles la notion de tourment est évidente, mais elle n’est pas de même nature dans les deux cas. Il y a une dichotomie entre l’aspect intériorisé du personnage et une espèce de naïveté des comics. Les jeunes femmes sont comme pétrifiées par la photographie alors que les comics débordent de mouvement. Il y a donc mystère et silence d’un côté, chaos et abondance de l’autre. A cela s’ajoutent les images vectorielles constituées de formes géométriques, à la fois traces et empreintes, qui font écho aux vêtements des jeunes femmes et qui opèrent comme un liant.

Avec les images de Still Life, qui montraient une sorte de chaos d’objets, vous nous parliez de la société de consommation et de ses excès. Qu’en est-il pour la série All Star ?

Dans les Still Life, je montre un entrelac d’objets, alors que dans All Star, il s’agit de vraies personnes. Dans cette série, je mets l’accent sur le mental et le psychisme des personnages. Comment ? En laissant volontairement les titres des comics sur le front du modèle. Au contraire, le regard est dégagé pour mieux interpeller le spectateur. Je signifie ainsi le trop-plein d’informations qui caractérise le monde d’aujourd’hui et dont, finalement, nous sommes tous victimes. Une surabondance qui peut créer une confusion mentale.

Tout cela est rendu perceptible grâce à un travail minutieux et complexe…

Oui, le travail est très important, car s’il y a entremêlement, il n’y a pas cacophonie. J’effectue cette tâche fondamentale de postproduction en étroite collaboration avec Pascal Brunel de chez Picto avec qui je travaille exclusivement depuis 2006 pour ce type de travaux. Il est pour moi l’équivalent d’un chef opérateur pour un réalisateur de cinéma. C’est un peu comme mon double, car avec le temps, une vraie relation de confiance s’est instaurée. Il y a une osmose entre nous.

Cette collaboration est-elle du même ordre que celle qui lie le photographe et le tireur ?

La comparaison est bonne : de la même manière qu’un tireur interprète un négatif, là, ce virtuose de Photoshop traduit mes intentions. C’est un travail quotidien et de longue haleine. Par exemple, au départ de la série All Star, il y avait plus de 200 couvertures de comics… Et à l’arrivée, la série fait 11 images. Ensemble, nous avançons d’abord à tâtons parce qu’on est dans l’inconnu. Il y a beaucoup de ratés avant de parvenir au résultat souhaité…

Ce travail de recherche s’est poursuivi, toujours chez Picto, pour la réalisation des tirages…

Une fois les images réalisées, il faut trouver le bon processus d’impression et le support adéquat, ce qui nécessite d’autres compétences. J’ai donc travaillé avec le pôle tirage de chez Picto. Pour cette série, nous avons opté, après avoir fait des essais, bien sûr, pour des tirages pigmentaires. Et j’ai choisi un papier habituellement peu utilisé par les photographes, car il n’a pas de profondeur, mais c’est précisément ce que je cherchais pour cette série.

L’époque où l’artiste créait seul dans son atelier est donc définitivement révolue…

En effet, un artiste ne travaille pas seul, mais en équipe. Chaque membre apporte des compétences spécifiques. En ce qui me concerne, je travaille comme un réalisateur de court-métrage. Cela commence avec mon assistant, les agences de mannequins, un coiffeur-maquilleur et cela continue avec la post-production, le tireur, l’encadreur…

Propos recueillis par Sophie Bernard

Valérie Belin est représentée par la Galerie Nathalie Obadia depuis 2013.

Exposition
Valérie Belin, série All Star
Jusqu’au 29 octobre 2016
Galerie Nathalie Obadia, 18 rue Bourg-Tibourg, Paris 4e

Livre
À l’occasion de l’exposition All Star, les éditions Damiani publient la seconde grande monographie consacrée à Valérie Belin et portant sur son travail de 2007 à 2016. Textes de Quentin Bajac, Dork Zabunyan et Étienne Hatt. Actuellement disponible à la galerie et en librairie à partir de janvier 2017. Prix : 50 euros

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