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Sarah Moon : Orient Express – Éditions Louis Vuitton

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Synonyme d’art de voyager depuis 1854, Louis Vuitton continue d’ajouter des titres à sa collection Fashion Eye. Chaque livre évoque une ville, une région ou un pays, vu à travers les yeux d’un photographe de mode.

L’Orient-Express est, parmi tous les trains de voyage, ou trains de luxe, le plus fameux. Depuis sa création en 1883, son vagabondage a nourri des passions et des crimes et unit deux continents. Il vivote aujourd’hui d’étape en étape, de souvenirs en romances. Avec Orient-Express, nouvel ouvrage de la collection Fashion Eye, la photographe française Sarah Moon s’éloigne des villes, pays et lieux investis par les ouvrages différents pour proposer un roman photographique sur le temps.

Voyager en train marque une expérience du temps délicate, évasive. À l’opposé de la marche, de son pas régulier, de sa mesure cadencée et de ses errements, le voyage en train façonne une autre forme de vagabondage. Comme la marche, la pensée s’y dissout et s’envole, mais elle n’est rappelée ni par le sentier à suivre ni par la nécessité d’un pas assuré. La pensée sautille d’un instant l’autre, se concentre puis oublie un paysage souvent ennuyeux, devenant parfois sujet à l’imaginaire. Peu importe sa vitesse, le train offre aux visions l’impossible réconciliation entre la proximité — les talus, les gares vite franchies, les voitures dépassées — et l’inatteignable, cet immuable paysage qui lentement défile son film et son folklore. Celui qui voyage en train s’offre à ce dilemme. Il ne franchit pas une distance, il ne l’avale pas non plus, il ne voyage pas davantage. Il flotte plutôt, entre plusieurs plans, entre plusieurs mondes, en un témoin silencieux, filant droit sur le rebond solitaire des imaginaires.

Chaque fois, cette impossible réconciliation donne l’avantage au lointain. À travers la vitre, ce qui est proche, là aux pieds ronds et fumants du train, file trop vite pour être vite perçu. Mais surtout, proche et lointain se combinent en une même seconde, en un potentiel instant. L’esprit rebondit de l’un à l’autre, il « se laisse aller à ses rêveries, à ses pensées, dans le mouvement répétitif et lancinant des essieux ». Sarah Moon a saisi cette particularité propre aux voyages de vitesse. « Le train en lui-même est une parenthèse hors du temps, d’un point à un autre » observe-t-elle dans un entretien avec Anne Maurel.

Son Orient-Express construit image par image un véritable roman, où photographes et textes se construisent par bribes, imaginaires et fragments. Il est toutefois commun de définir la photographie comme un art de l’instant. Cette définition rétractée, succincte, évasive du temps s’adapte pourtant à merveille au projet de Sarah Moon. Ses intérieurs de l’Orient-Express ont la même fugacité que les paysages évanescents perçus au dehors du train. Ce qui se passe à l’intérieur a la même poésie brève et puissante qu’au-dehors. En découlent des images graineuses et souvent flous, où l’histoire disparaît dans des contours vifs et noirs. La vitesse donne aux intérieurs du train des allures sentimentales. Les fauteuils Cardamone semblent fragiles. La voiture-lit respire le parfum d’un amour perdu. Au restaurant traînent quelques fantômes. Et puis soudain, des paysages fixes, un peu convenus, comme si une histoire imaginée prenait fin la page suivante. L’artiste brode un voyage solitaire, pris entre le flou immédiat et le magistral, où l’Orient Express devient le train par excellence d’un roman sans colonne, à péripéties multiples.

Ce train-là voyage tout autour d’histoires fugaces et puissantes. L’Orient-Express nourrit bien sûr un imaginaire puissant, mais Sarah Moon le charge de ses fantômes d’élégance, d’injonctions amoureuses, d’une solitude également. Départ et arrivée s’effacent. Le train n’est plus un trajet, mais une matière à roman. Avec habileté, ses clichés et son texte inventent de possibles histoires à partir d’un rien. Il ne se dégage aucun récit commun, sinon le vagabondage des souvenirs et l’imagination de récits à déployer. Toute la force des images réside dans leur faiblesse ; images aussi fragiles qu’immuables, aussi fugitives que puissantes. Ces histoires esquissent tout juste.

« Le roulement lent et régulier du train, les lumières changeantes des paysages, le passage des heures et des saisons, la rumeur des distances traversées ramènent à sa mémoire de fugitives images. L’air autour d’elle est plein d’échos, de ressemblances lointaines et d’histoires passagères. De coïncidences ».

Arthur Dayras

 

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