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Moi … Artiste Photographe !

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Chronique Mensuelle de Thierry Maindrault

Combien de fois, ai-je entendu cette phrase qui m’horripile particulièrement : « je suis artiste photographe » ? Que ce soit dans un festival photographique plus ou moins connu, dans une réunion de famille, dans une exposition d’art contemporain (sic), dans une réunion professionnelle mondaine, le refrain reste toujours le même. Je viens de rencontrer l’artiste photographe. Je ne discuterai pas de leur auto-proclamation d’artiste, la notion étant totalement subjective, je n’ai pas l’intention de m’opposer à une autosuffisance si catégoriquement affirmée. Il n’en est pas de même pour la revendication du terme « photographe » qui fait l’objet d’une définition très objective et très compréhensible. Le photographe est, à ce jour, une personne physique qui maîtrise les techniques et qui sait appliquer de nombreuses technologies susceptibles d’utiliser la lumière pour figer une image dans l’espace-temps.

J’ajouterai que la personnalité (parfois assez difficile) des photographes incluait, très souvent, l’humour et l’humilité (le fameux double H). Ces caractéristiques se sont évaporées avec l’insertion de la personnalisation des auteurs au détriment de la valeur et du mérite de leurs œuvres.

Tous les photographes d’hier avaient en commun une excellente maîtrise de l’ensemble des outils (de temps en temps un peu compliqués) utiles et indispensables à la réalisation d’une image aussi pérenne que possible. La distinction entre tous ces créateurs se faisait en fonction de leur sujet de prédilection qui étaient aussi variés que les potentialités offertes par notre planète et son espace. Ces auteurs n’étaient pas, et, surtout, ne revendiquaient pas la dénomination d’artistes. Pourtant, qu’ils soient photographes portraitistes, photographes publicitaires, photographes astronomes, photographes de mode, photographes ethnographiques, photographes de rue, photographes archéologiques, photographes scolaires, etc. ils nous ont tous laissé des images incroyables. Cette qualité -souvent irréprochable- a été le socle indispensable pour l’entrée des images photographiques dans le monde de l’Art.

Malheureusement, alors que ce chemin devenait une des voies royales de l’imagination, une dérive humanitaire globale (les techniques photographiques ne sont malheureusement pas les seules concernées) a engendré un chant du cygne. Une démultiplication des utilisateurs issue de la mise sur le marché d’outils de plus en plus perfectionnés a sonné le glas. Si j’ajoute une auto-valorisation (trop fréquemment entretenue par la thèse qui impose que tout un chacun est un artiste génial insuffisamment connu), la messe est dite. Tous ces nouveaux prodiges de la création photographique se trouvent incapables de se trouver la moindre place dans la sectorisation ci-avant évoquée. Leur incompétence totale en matière de réalisation technique d’une photographie leur interdit l’accès à tous ces potentiels. Ainsi, la connaissance technique est devenue incapable de valoriser la grande pauvreté des nouveaux réservoirs créatifs. Je ne peux vous proposer qu’une nouvelle classification mieux adaptée aux nouveaux chevaliers serveurs de l’univers photographique.

Pour commencer, à tous seigneurs tous honneurs, je vous propose les frais « r-émoulus » de la multitude d’écoles, d’académies, d’ateliers, d’associations qui prétendent faire de chaque impétrant le génie de l’art photographique de demain. L’ambition est tout à fait louable (et presque toujours très très rémunératrice pour l’organisateur) ; mais encore, faudrait-il que dans la quasi-unanimité de ces organismes, on enseigne, a minima, quelques rudiments techniques de la photographie aux futurs diplômés. Ils sont très touchants, lorsqu’ils ne sont pas excessivement arrogants, tous ces jeunes adultes qui sortent avec des batteries de diplômes en étages/années post baccalauréat. Prenez le temps de les écouter juger, avec condescendance, les travaux de figures photographiques, connues et reconnues, affichant plus de trente ans d’expérience. Tout cela n’est pas pour eux, leur objectif premier consiste à accumuler un nombre considérable de concours plus ou moins bidons, d’exposer à tort et à travers tout et n’importe quoi et de s’assurer qu’un mécène distrait ou artistiquement ignare peut leur servir de pompe à fric.

Mon deuxième groupe est formé par les photographes qui fréquentent les photos clubs. Tout comme pour les formations, nous sommes passés en quelques années de l’excellence au pire. La très grande majorité des membres de ces institutions était constituée de passionnés absolus. Ces femmes et ces hommes n’avaient d’autres ambitions que de faire évoluer les recherches tant techniques que créatives. L’objectif était de porter leur club au sommet de la hiérarchie photographique, au même niveau que les très grands professionnels. Cette ambition collective et individuelle a suscité de nombreuses vocations, elle a laissé des œuvres remarquables et elle a validé la reconnaissance de leurs auteurs. Il n’en est plus rien, les photos clubs d’aujourd’hui sont devenus un refuge social pour le troisième âge et des appels permanents à une reconnaissance personnelle (… mon ego que je t’aime …). C’est ainsi que les membres de ces associations sont plus attirés par les sorties – dites photographiques – en commun et par l’étalage de leurs productions sur les grilles du hall des services sociaux de la ville que par un apprentissage et une confrontation d’idées, entre eux.

Pour les photographes professionnels, catégorie encore existante mais aux frontières très indéfinies, le monde s’est totalement effondré. L’évolution technologique porte incontestablement une part de responsabilité dans ce désastre intellectuel et économique. Les appareils qui envahissent le marché prétendent tout faire, il va donc de soi que le propriétaire de l’un de ces engins miraculeux est également un prodige de la photographie. Pourquoi faire venir, et surtout pourquoi payer, un photographe professionnel ? Alors que l’entraîneur des activités sportives, l’agent immobilier, le dentiste ou tout autre chef d’atelier peut appuyer sur le bouton et obtenir ce qui ressemble à une image instantanément (ou presque) sur son écran. Il en est de même pour les photo-reporters puisque dorénavant ce sont les témoins et les victimes des actes de guerre qui assurent eux-mêmes le « choc des photos » sur tous les canaux d’information susceptibles de diffuser sur la planète et au-delà. Le comble de la situation, avec le peu de ressources financières encore dédiées à ces photographes, nous assistons impuissants à la naissance d’un proxénétisme outrancier (du style ubérisation) qui devient le passage obligé pour les survivants du marasme.

Ma liste n’a pas vocation à être exhaustive, c’est pourquoi je me sens obligé d’abréger ce panégyrique sans toutefois oublier la dernière catégorie à la mode. Je ne vais donc pas oublier le photographe d’art. Une petite mise au point préalable me semble nécessaire. Dans les deux siècles qui précédèrent l’actuel, la mention « photographie d’art » figurait très souvent sur les fameuses chemises ivoires à cristal dans lesquelles le client découvrait le portrait de son gamin, le groupe de son personnel devant sa boutique, la première communiante ou son atelier en travail statufié. L’utilisation du mot « art » entendait que l’ensemble des procédures photographiques était réalisé dans les règles de l’art par un professionnel qualifié. Ce qui était toujours le cas puisque comme pour tous les autres métiers, les photographes étaient formés au cours d’un long apprentissage justifié. Ces fameuses règles de l’art étant respectées, le photographe pouvait revendiquer son appartenance au sérail de la photographie et la confraternelle reconnaissance de ses pairs. Il en est tout autrement depuis deux décennies pendant lesquelles l’art du savoir-faire et de la maîtrise s’est trouvée substituée par un art sans évolution et sans transmission créative. Forts de la place légitime prise par quelques œuvres rares, mais incontournables dans le panthéon de nos patrimoines, quelques stupides, se sont égarés. A l’heure où la poire libératrice de l’oiseau a été remplacée par le bouton déclic, ces innovateurs se sont imaginés que le simple fait d’appuyer sur un bouton les transformerait en Praxitèle, Vinci, Mozart ou autres de la photographie. Ils n’ont de cesse d’accumuler les m’as-tu-vu de leur ego et de se plaindre comme de pauvres artistes en mal d’une reconnaissance qui tarde à venir. Toutefois, je dois reconnaître que dans ce marais, un peu insipide, émerge de temps en temps quelques exceptions, à fort potentiel, qui sont dans l’obligation de « ramer » à travers cette désolation pour s’en extraire. Nous sommes rassurés sur les capacités de ces utilisateurs passionnés et consciencieux de la photographie pour assurer l’avenir.

Finalement, rien n’a changé : beaucoup se sentent appelés ; mais, il y aura peu d’élus.

Thierry Maindrault – 08 avril 2022

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