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Mise au Poing, 30 ans de combat contre l’exclusion

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Croire au pouvoir des images malgré tout, dans un monde saturé d’écrans, miser sur la capacité de certaines d’entre elles à s’extraire du flux et à porter un éclairage saillant sur notre société, s’entêter à ouvrir des brèches fait partie de l’ADN de Médecins du Monde. Depuis sa création, l’association s’est fixée deux missions, « Soigner et Témoigner ». Soigner, écouter, orienter, réconforter, il en est question tous les jours dans les vingt centres d’accueil en France. Témoigner est un autre combat, une mission tout aussi ardue tant il est devenu difficile de redonner une visibilité à ceux, les plus vulnérables, que la société tend à vouloir effacer du paysage et rejeter dans les périphéries de nos consciences. Depuis de nombreuses années déjà, Médecins du Monde manifeste la volonté de remettre en majesté toute une population d’hommes, de femmes et d’enfants qui vit en marge. En 2005, pour les 25 ans de l’association, Gérard Rondeau menait une longue campagne photographique dans une quinzaine de pays où l’association intervient. D’autres projets ont suivi. L’installation « Femmes après coup » de Lâm Diuc Hiêm, en 2010, sur la violence faite aux femmes. Les douze portraits géants de « Regardons la précarité en face », par Denis Rouvre, exposés sur le parvis de l’Hôtel de ville de Paris en 2014.

Au fil des ans, ces projets ont toujours été portés par le désir de témoigner de l’état indigne de notre société, tout en ne perdant pas de vue la dignité à laquelle chacun a droit. Certes, ces expositions photographiques n’ont pas forcément changé les préjugés tenaces ou le statut d’infortune des personnes photographiées. La charge des images n’a pas toujours trouvé à s’actualiser dans une correction immédiate des injustices et des aberrations du monde dans lequel nous vivons. Mais faut-il pour autant céder à un excès de désillusion ? Il est nécessaire, à ce propos, d’écouter la parole éclairée de Dork Zabunyan, ce professeur en cinéma à l’université Paris 8 qui s’interroge depuis des années sur la manière dont les images écrivent l’histoire : « On ne peut rien prédire des puissances de l’image. Justement parce que cette puissance réside le plus souvent dans un inconnu sensible où elle nous projette, dans l’imprévu d’une signification qu’elle nous invite à explorer, dans un suspens fortuit de nos façons de voir ou de penser. »

Nous voici en 2017 et la question « que peut l’image ? » reste d’actualité alors que Médecins du Monde célèbre trente ans de combat contre l’injustice sociale en France. Souvenons-nous : c’est en 1986 qu’un premier centre de soins gratuits ouvre ses portes rue du Jura, dans le XIIIe arrondissement. Trente ans plus tard, alors que la France est en pleine campagne électorale, que les enjeux de l’avenir se décident, l’association, une fois encore, choisit de croire que la photographie peut constituer sinon un moteur, du moins un acteur du débat public. Pourquoi la photographie plutôt qu’un autre medium ? Parce que, comme le rappelle Susan Sontag, « dès lors que la question du souvenir se pose, la photographie est plus incisive. La mémoire procède par l’arrêt sur images : son unité de base est l’image isolée. » On a pu, au cours de l’histoire, faire le procès de cette image fixe qui prend parfois le risque du stéréotype. On a, à juste titre, pointé du doigt une certaine photogénie de la détresse qui permet de reconduire ad nauseam des images emphatiques puisées dans les banques de données de l’inconscient collectif : des clichés de mères à l’enfant réactivant le chromo de la pietà, des portraits de mendiants aux visages cireux dont la peinture baroque espagnole a fixé l’éprouvante dramaturgie. « Mauvais comme il est, le monde est potentiellement plein de bonnes photographies », a déclaré un jour la photographe américaine Dorothea Lange, auteur de Migrant mother et icône de la photo humaniste des années 30.

En confiant à six photographes le soin de porter un regard nouveau sur les plus démunis, les mal-logés, les mineurs isolés, les migrants, les blessés de la vie, Médecins du Monde a conscience qu’il est urgent, une fois de plus, de donner crédit à une image qui complexifie le réel au lieu de le simplifier. Une image qui enrichit et ampli e notre compréhension des évènements plutôt que de l’appauvrir et la caricaturer. Pour ce faire, l’association a fait appel à des photographes aux profils très différents
– Cédric Gerbehaye et Henk Wildschut sont documentaristes, Valérie Jouve poursuit une démarche plus plasticienne, Claudine Doury, Denis Rouvre et Alberto García-Alix traitent essentiellement du portrait. Ils sont français, belge, espagnol, néerlandais. Ils portent sur la société actuelle un regard d’auteur exempt de clichés et de bons sentiments. Ils œuvrent dans le sens d’une poétique du monde qui n’empêche nullement de frapper les esprits. Bien au contraire. Aux images qu’ils présentent sont associés des textes. Mais de même que les mots n’illustrent pas les images, les images n’illustrent pas les mots. Il revient à chacun de ces modes d’expression de jouer son rôle dans la partition qui se joue là, rôle que Susan Sontag, mieux que tout autre, a su définir : « Les récits peuvent nous amener à comprendre. Les photographies font autre chose : elles nous hantent. »

Natacha Wolinski

Natacha Wolinski est une journaliste et auteure spécialisée en photographie. Elle vit et travaille à Paris.

Mise au Poing, 30 ans de combat contre l’exclusion
Du 10 février au 18 mars 2017
Topographie de l’art
15 rue de Thorigny
75003 Paris
France

Catalogue réalisé par les Éditions La Manufacture de l’image

http://www.topographiedelart.fr/

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