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Lydie Jean-Dit-Pannel sort de sa chrysalide

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Un essai de Jean Loh

Dès l’entrée de son extraordinaire exposition au Musée des Beaux-Arts de Dole, on croit reconnaitre le terrain familier et exaltant de la pure tradition des autoportraitistes féminines, et on ne peut cesser de penser à Francesca Woodman, à Nan Goldin, à Cindy Sherman, et surtout à Sophie Calle, dont l’omniprésence se manifeste à travers une photo de Lydie couchée sur la tombe de son auteur-poète fétiche Charles Bukowski.

Lydie Jean-Dit-Pannel, porte son nom de famille peu banal comme un nom de guerre, ce qui nous conduit à consulter le site politologue.com selon lequel « entre 1891 et 2000, il y a eu 32 naissances de personnes portant le nom de famille JEAN DIT PANNEL en France. Avec une espérance de vie moyenne de 80 ans, nous estimons qu’il y a environ 24 personnes nées en France » avec ce nom.

« Artiste plasticienne française née le 9 juillet 1968 à Montbéliard » selon Wikipédia, Lydie serait donc aujourd’hui l’une des 24 rares membres du clan des Jean-Dit-Pannel en France. Wikipédia poursuit : « Elle vit et travaille entre Dijon et Malakoff. Elle enseigne à l’École nationale supérieure d’art de Dijon depuis 2012. Elle questionne l’image depuis les années 1980 au travers de projets au long cours. » Née dans les échos et les relents de gaz lacrymogènes des manifestations de Mai 1968, Lydie possède une graine de rebelle, une battante donc, comme on le voit avec l’affiche de la rétrospective « Alive », intitulée « Auto-bras de fer », dans l’entrée du musée trône effectivement une véritable table de bras de fer, invitant le public à se mettre au combat. Car il s’agit d’un bras de fer que mène Lydie depuis des années, seule contre des moulins nucléaires et autres lieux toxiques…

Elle partage des préoccupations communes avec ses quatre aînées citées plus haut qui sont, elles, entrées dans le Hall of Fame des travaux entièrement centrés sur soi-même, qui ne sont pourtant pas de simples autoportraits mais d’autoreprésentations à partir de leur vécu, se servant de leur corps comme un accessoire indispensable de leurs narratifs, un vocabulaire de leur propre langage, on pourrait dire, dans le cas de Lydie, avec même sa propre peau. L’expression française qui vient à l’esprit c’est « payer de sa personne », avec une connotation d’autosacrifice, car c’est son corps que Lydie offre sur l’autel de la lutte contre les lieux toxiques, comme en anglais on dit « put yourself on the line », son corps pas piqué des hannetons mais « piqué » de plusieurs dizaines de tatouages de papillons monarques, taille grandeur nature, son corps trace une véritable ligne claire, comme une barrière de défense de l’entomofaune menacé, sur fond de paysages défigurés par la mort, l’industrie, les pesticides, le pétrole, le nucléaire, les déchets toxiques, tout ce qui tue les papillons, les abeilles et des millions d’insectes et des milliards d’oiseaux dans le monde au cours des quatre dernières décennies.

Comme le témoigne son très bel autoportrait « la fille à la chouette », un baiser tendre de l’oiseau couché sur le visage de la belle endormie, oiseau totem de la transition du monde des vivants avec le monde de l’au-delà. Pour mener son long combat, Lydie parcourt la France et le monde depuis 2005, collectionnant les pièces à conviction, après les Etats Unis, l’Ukraine (Tchernobyl) et le Japon (Fukushima), elle effectue entre 2015 et 2016 le tour de France nucléaire, en solitaire, la France d’où la série « 14 Secondes » qui est la durée du retardateur de son appareil photo monté sur trépied, « 14 secondes » c’est le temps nécessaire pour se déshabiller, se jeter au sol, le ventre froid, arrêter sa respiration pour la pose. Il y a bien sur d’autres clichés réalisés avec des complices. Mais ces 14 secondes me font penser au photographe chinois Ou Zhihang, mention honorable du prix World Press Photo 2010 pour des sujets contemporains, qui a passé 20 ans pour sa série d’autoportrait nu, faisant des pompes, devant des bâtiments ou des lieux à scandale en Chine, sa posture de guetteur, son corps dressé en appui sur ses mains devient une flèche pointée en direction du lieu incriminé.

Mais le corps de Lydie Jean-Dit-Pannel, allongé sur le ventre comme un cadavre inerte jeté là, en guise de balise de signalisation, comme un cadavre jeté là, un objet d’étude forensique, le prix payé de sa personne c’est aussi la collection des radiations devant les 37 sites nucléaires français, plus les sites en Belgique, Suisse, en Angleterre et Ecosse et aux Etats Unis, sans compter ses visites à Tchernobyl et de Fukushima. Il n’y a pas que les atomes qui l’attirent, ici elle est couchée au-milieu de décharges d’ordures, là elle est couchée au milieu des troncs d’arbres abattus. Partout elle s’expose aux tracas des gardiens de sécurité et autres regards indiscrets. Lydie va jusqu’à incarner un papillon monarque femelle pour se faire piquer par un authentique entomologiste-chercheur Jacques Pierre, sur la table de travail au cœur de la réserve du Musée National d’Histoire Naturelle de la ville de Paris. « L’image suspend le moment qui précède l’épinglement d’une espèce rare, d’après Lydie, la composition est inspirée de « L’anatomiste », une peinture de Gabriel Von Max (1869). » Charles Bukowski lisait en public en 1974 un poème sur le « Style » : « le style est la réponse à tout, une nouvelle façon d’approcher une chose insipide ou dangereuse. Faire une chose insipide avec style est préférable à faire une chose dangereuse sans style. Faire une chose dangereuse avec style c’est ce que j’appelle l’art. ».

Grande collectionneuse, Lydie a ramené des milliers de signes « ne pas déranger » « do not disturb » qu’on trouve derrière les portes des hôtels du monde entier pour former une monumentale installation murale. Sa plus belle collection se trouve sur son propre corps, ayant appris la disparition massive des papillons monarques à l’insectarium de Montréal en 2003, elle commence à se faire tatouer un papillon monarque quand elle voyage par un tatoueur local. Arrivée en 2019, sa collection comprend 47 tatouages venant de : Québec, Nîmes, Paris, Dijon, Londres, San Francisco, Las Vegas, Cheyenne, Genève, Marseille, Caen, Copenhague, Paris, Mexico, Acapulco, Madrid, Budapest, Dijon, Merida, Chiang Mai, Bangkok, Karlsruhe, les 20 ans du Wharf, Cape Canaveral, Miami, Bourges, Belfort, Tokyo, Kuching, Kuala Lumpur, Montréal, Mexico, Gdansk, Almeria, Roswell, Los Angeles, Austin, Saint-Pierre (La Réunion), Xalapa, Hiroshima, Kiev, Paris, Moscou, Liège, Naples, Vladivostok et Chicago. Le projet est interrompu en 2020 en raison de la pandémie Covid-19.

En dehors de la photographie, signalons aussi une remarquable installation, un hommage de Lydie Jean-Dit-Pannel aux Boat People : l’installation « Méditerranée » est réalisée avec 3,500 petits bateaux faits à partir de copeaux de bois, coquilles de noix, allumettes et papier. La légende dit qu’en moyenne 3,500 personnes périssent par an en Mer Méditerranée en tentant d’échapper à la violence qui ravage leurs pays. Un cartel mentionne les remerciements à L’Huilerie de Briennon sur Armançon, Suguenon-Schultz en Bourgogne Franche-Comté.

Jean Loh

 

Mes remerciements au Musée des Beaux-Arts de Dole et à Lydie Jean-Dit-Pannel pour les photographies et les réponses à mes questions.

 

L’exposition « ALIVE » de Lydie Jean-Dit-Pannel est prolongée jusqu’au 30 Aout 2020.

Musée des Beaux-Arts de Dole

85 Rue des Arènes, 39100 Dole

Tel : 03 84 79 25 85

 

 

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