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Les obsèques de Lucien Clergue

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L’enterrement de Lucien Clergue a eu lieu à Arles le vendredi 21 novembre 2014. La cérémonie s’est tenue à l’église Saint-Trophime, place de la République. Ces photos ont été réalisées par Patrick Mercier, qui a été longtemps un assistant de Lucien Clergue. Il nous raconte ici son histoire.

Comme la photographie et la plupart des aventures humaines, ma rencontre avec Lucien tient d’une puissance considérée comme la cause d’événements apparemment fortuits ou inexplicables. En résumé : du hasard.

En 1995, je suis les cours de Marc Bruguières pour obtenir un CAP de photographie et suis à la recherche d’un stage. Le photographe de Fontvieille où j’habitais me dirige vers M. Clergue, que je ne connaissais pas. Lucien Clergue me rappelle suite au message que j’avais laissé sur son répondeur. J’eus d’abord un refus puis une invitation à lui présenter mon travail photographique dans son atelier un samedi matin. Je m’y présentai sans appréhension, ne connaissant pas cet homme. Il a tout de suite été enthousiasmé par les quelques photos que je lui présentai. Sa première critique fut : « Vous avez un œil ! » Je ne savais pas ce que cela voulais dire, mais je ne lui ai pas montré mon degré d’ignorance en termes photographiques ! Je ne savais qu’une chose : que je savais prendre des photos, car en cours au bout d’une semaine, le professeur utilisait mes clichés en exemple. Lucien me dit ceci : « Je ne peux vous prendre en stage pour tirer, car j’ai déjà un assistant, mais si vous voulez je peux vous prendre pour travailler sur mes archives. » Je répondis qu’à ses côtés, j’apprendrai toujours quelque chose et que j’acceptai.

A mon retour en cours, je fis des envieux et pour cause : c’est à ce moment-là que je découvris qui était M. Clergue ! Première période de stage aux archives. Au bout de deux semaines, son assistant (chanteur dans un groupe) sort du laboratoire en hurlant qu’il ne pouvait plus travailler, qu’il arrêtait car sa voix se dégradait dans le labo pas assez ventilé pour lui. Lucien me regarda stupéfait et me demanda : « Tu te sens de tirer ? ». Je répondis oui ! Lucien me donna une image n&b d’El Cordobes à tirer en 20/30. Je la lui tirai et lui présenta. Je me suis fais traiter de fou qui allait le ruiner en faisant des bouts d’essai de cette taille. Je lui répondis que ça n’était pas un bout d’essai, mais l’épreuve finie. J’avais retenu les noirs profonds et fait sortir la matière dans les hautes lumières. Il regarda le tirage et ne cessa de dire : « Ah c’est bien, c’est bien, tu tires bien ! Mais la prochaine fois, montre-moi des bouts d’essai ! » Je suis devenu son assistant tireur à cet instant. Plus tard, un autre assistant prévu de longue date débarqua des USA. Je laissai donc la place à l’agrandisseur et retournai aux archives. Puis, le hasard ? La fatalité ? les deux ? Une chose aussi inexplicable qu’inattendue se produisit : l’assistant américain, que j’appelais le croqueur de pommes, interrompit son contrat et donc sa formation. Je redevenais tireur à la demande de Lucien ! Et à sa demande, je suis resté son tireur après l’obtention de mon diplôme jusqu’à l’arrivée d’un nouvel assistant. J’eus la chance de collaborer à pas moins de 7 ou 8 livres de Lucien Clergue et quelques expositions.

Lucien Clergue m’a entrouvert des portes que mon talent ou mes compétences ont fini d’ouvrir. Lucien était fidèle et reconnaissant en amitié, qu’elle soit professionnelle ou non. Ses « ça va mon beau ? » auxquels il ajoutait « qu’est-ce que je peux faire pour toi ? » vont me manquer, mais il me reste les « ça va mon chéri ? » de sa merveilleuse épouse Yolande. Dans nombre de clichés que j’ai pris de lui, il me pointe du doigt. Je l’entends encore dire à chaque fois, quelle que soit la personnalité à ses cotés, ministre ou artiste : « Il a été mon assistant ! » Je ne peux hélas raconter en quelques lignes plus que cela, des moments passés à ses côtés au labo, en voiture ou dans des galeries. Mais il est des choses dont je suis le plus fier. Comme la fois où, en 2005, sa secrétaire me téléphona en me disant que Lucien lui a dit qu’il n’en connaissait qu’un (moi) qui pouvait le “dépanner” et lui tirer bien et vite les 200 photos qu’il lui fallait. Ou cette autre fois où il m’appela à 11 h en me disant : « Il n’y a que toi qui peux me sortir de la merde ! J’ai besoin d’un modèle nu pour 14 h ! Le mien vient de se décommander ! » Tout comme ce réveillon que j’ai passé dans le labo à retirer toutes les photos d’un livre…

Lucien Clergue a été bien plus que mon maître de stage, tout comme j’ai essayé d’être bien plus que son stagiaire…

Patrick Mercier

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