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Jerry Schatzberg: –Les femmes d’abord

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Women Then, dernier ouvrage du photographe et réalisateur Jerry Schatzberg, est consacré aux femmes qu’il a photographiées de 1954 à 1969. A 83 ans et après une riche carrière, ce livre est une célébration.

L’homme sait mettre à l’aise. Installé dans un canapé en cuir noir, Jerry Schatzberg s’exprime d’une voix profonde, joint ses mains et livre un regard délicat. « Il existe un art de la séduction, illustre-t-il en évoquant les conditions d’une séance de portrait. Il n’est pourtant pas forcément le même pour tout le monde. Certains aiment être traités avec dédain. C’est parfois l’attitude à adopter pour capter leur attention. »

Le regard : Jerry Schatzberg connaît. Il a passé une partie de sa vie à diriger mannequins, actrices ou comédiens. D’abord chez Vogue, dès 1957, puis chez Glamour, Esquire ou tout magazine de mode qui s’est intéressé à son travail. Passé par l’école d’Alexey Brodovitch pendant dix semaines, au même titre que Penn ou Avedon, il n’aurait pourtant pu ne pas avoir la riche carrière qui le caractérise. « Adolescent, je ne savais pas vraiment quoi faire de ma vie, raconte le photographe. J’aurais pu acheter un camion et partir vendre des glaces de ville en ville. La passion pour la photographie m’est venue en m’émerveillant des vitrines de Willoughby’s, à Long Island. Je regardais ces appareils photographiques comme on regarde les bijoux chez Tiffany’s. Mon père, qui me voyait esquiver le travail de la société familiale était furieux. » Le jeune Schatzberg patientera 27 ans avant d’obtenir son premier emploi comme assistant en répondant à une annonce dans le New York Times.

Photos de mode, mais aussi de célébrités. Dans les années soixante, Vogue l’envoie braquer son objectif sur les plus grandes vedettes. Il applique à cette pratique sa fascination pour l’élégance, les costumes et l’esthétisme. Nait alors un répertoire photographique incluant Andy Warhol, Aretha Franklin, les Beatles, Roman Polanski, Franck Zappa, Steve McQueen ou encore les Rolling Stones, que Jerry Schatzberg fera poser accoutrés en drag queens. L’une de ses plus célèbres série reste cependant celle consacrée à Bob Dylan et qui lui vaut la couverture de son album Blonde on Blonde, paru en 1966. A l’époque, le photographe ne connaît que du chanteur engagé la musique. La rencontre se fait par l’intermédiaire de Nico, chanteuse des Velvet Underground et modèle de Schatzberg, qui ne cesse de lui répéter qu’il doit s’intéresser à cet artiste alors émergent. Par la suite, c’est Sarah Dylan, première épouse du chanteur folk avec qui il a auparavant flirté, qui le mènera jusqu’au studio d’enregistrement, devenu l’espace de quelques heures photographique. Le photographe précise : « C’est toujours une bonne chose de connaître des femmes. »

Sujet de l’un de ses plus célèbres clichés, l’actrice Faye Dunaway a été sa muse. Elle apparaît dans son premier film Portrait d’une enfant déchue, lançant sa carrière de cinématographe. Jerry Schatzberg évoque avec nostalgie ce temps en revanant sur la vie de plateau. « Diriger les acteurs ou actrices a été ce qui m’a le plus fait peur au début de ma carrière de réalisateur. Ils ont leur propre langage qu’il faut adopter. Plus que la photographie, le cinéma oblige à savoir se faire comprendre. Pour autant, Woody Allen ne parle jamais, et c’est un génie. » A l’époque acclamé, aujourd’hui un peu oublié, Jerry Schatzberg obtient tout de même en 1973 la Palme d’Or du festival de Cannes pour L’épouvantail, avec Gene Hackman et Al Pacino. En filmant l’Amérique des parias grâce à une succession de petites scènes, vécues ou racontées, il dessine le portrait d’une société fondée sur la violence. La métaphore de l’épouvantail, résume joliment le point de vue d’un homme qui, à 83 ans, semble toujours croire en l’homme et en sa capacité de changement.

Et chez Schatzberg, pour qui chaque vrai photographe possède une âme d’enfant, le changement passe par la sensibilité. Celle qui l’a poussé à vouer son temps aux femmes, cherchant à capter leur moindre mouvement. Celle qui le pousse à présent à faire connaître toutes ces photographies inédites. Women Then, qui vient de sortir fin octobre chez Rizzoli, est un hommage. « Je suis tombé amoureux de toutes les femmes que j’ai photographiées, livre-t-il. Dans la rue, elles posent naturellement comme des modèles. Pas besoin de les mettre dans un studio. J’aime les voir belles, apprécier la façon honnête avec laquelle elles portent des vêtements, j’aime observer leur humanité, leur humour. » Le résultat est un condensé de scènes sensuelles, cocasses ou simplement drôles : Julie Andrews suce son pouce. Claudia Cardinale tripe son nez « comme un animal », l’actrice Sharon Tate est nue dans son bain et les mannequins de Catherine Harlé fêtent la fin d’une séance photo à Paris.

« Je ne compare pas la photographie digitale à l’argentique ». En professionnel de l’image, Schatzberg sait vivre avec son temps. « Car si la photographie a un sens, poursuit-il, c’est bien d’être liée au journalisme et à l’estimation de son époque. C’est un enregistrement du temps. » Et, malgré son âge avancé, il envisage enore de produire. Ses projets : peut-être de prochains volumes consacrés aux portraits ou à des clichés pris dans le métro new-yorkais. La reconnaissance de son œuvre ? « Je n’ai jamais été un bon vendeur, répond Schatzberg. Peut-être viendra-t-elle après ma mort, comme pour beaucoup. ».
Jonas Cuenin

Women Then, Rizzoli (éditeur)

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