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Gilles Mora, l’oreille fine du Pavillon Populaire

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Par Jean-Jacques Ader

Connaissez-vous le plus vieux groupe de Rock Français en activité ? : Les Frantic Rollers. Le groupe a été fondé à Agen en 1963, avec au micro, le chanteur et guitariste Gilles Mora. Si son oreille a conservé l’attrait pour la musique d’outre-Atlantique, son regard lui-même s’est éduqué dans le Sud du continent où Elvis Presley vit le jour.

 

Jean-Jacques Ader : Quel a été votre premier contact avec les Etats-Unis ?

Gilles Mora : C’était au début des années 70, suite à mes études de lettres et après avoir passé le CAPES  et l’AGREG je devais effectuer mon service militaire. Ayant opté pour la coopération, j’ai choisi de partir avec ma femme, qui était prof aussi, pour enseigner le Français en Louisiane où des postes venaient d’être proposés. J’y ai passé trois années, et durant mon temps libre j’ai commencé à me familiariser avec cette région en la photographiant, et à m’imprégner progressivement de la photographie Américaine qui était en plein essor. Je me suis rapidement lié à des gens comme Beaumont Newhall qui était déjà un grand historien de la photo, et qui habitait Santa Fé comme Bernard Plossu. A mon retour en France j’ai été nommé professeur de linguistique dans une école normale à Agen, et malgré mes multiples activités au cours de ma vie, je resterai enseignant.

 

Peu de temps après vous lancez Les Cahiers de la photographie

Oui, en 1981 avec Denis Roche ; j’avais déjà rencontré Bernard Plossu et Claude Nori. La volonté était d’écrire sur la photographie, chose qui n’existait quasiment pas à l’époque. Il y avait des revues sur la littérature, sur le cinéma ou les arts plastiques mais pas sur la photo. J’ai donc commencé à me spécialiser dans les photographes américains, en faisant quelques expos ponctuelles à Arles. Vers 1985 Jack Lang m’a demandé de mettre en place des échanges autour de l’image avec la ville d’Atlanta où j’allais régulièrement, ce qui a renforcé mes liens et mes contacts dans ce pays.

 

Cette passion pour les modernes américains s’est concrétisée dans l’édition

J’ai pris la direction de la photographie aux éditions du Seuil en 1993 jusqu’en 2007, à travers la collection L’œuvre photographique. Nous avons donc lancé une grande collection de monographies internationales, en achetant les droits mondiaux de photographes américains que je connaissais bien, Walker Evans par exemple, Edward Weston etc … J’ai travaillé avec le centre des archives photos de Tucson en Arizona où était déposé le travail de tous les grands photographes. Je n’ai pas fait que des américains, il y a eu Man Ray ou Kertész, des photographes allemands aussi ; j’étais en permanence plongé dans cette activité de recherche de fonds d’images, d’édition ou d’expositions.

 

Vous prenez ensuite la direction artistique des Rencontres d’Arles

 En 1999, « Vive les modernités ! » sera ma première programmation, où figuraient Lee Friedlander et Walker Evans mais aussi Rodtchenko, les activistes Viennois et la thématique du flou, histoire de rompre un peu avec les habitués des cimaises arlésiennes. Ma deuxième année sera sous le signe de « La photographie traversée » sur les rapports que la photo entretient avec les autres formes d’arts. Avec un hommage à Tina Modotti et la Renaissance Mexicaine,  la première rétrospective complète de Jakob Tuggener ainsi que Masahisa Fukase et Sophie Calle. Pour la troisième année j’ai choisi le thème de l’Anonyme, non pas la photographie anonyme mais comment la photographie s’était intéressé aux anonymes.

Après ces trois années passées aux Rencontres et comme le musée des beaux-arts de Boston savait que je préparais une monographie sur Charles Sheeler je suis allé y monter une grosse exposition sur ce grand peintre et photographe américain, qui ensuite a été montrée au Metropolitan Museum of Art de New-York.

 

Suivront d’autres expositions pour des institutions, en Suisse ou pour le musée de Vienne en Autriche, et cela nous amène à 2010 où la ville de Montpellier vous contacte

La municipalité avait le désir de relancer et développer l’activité du Pavillon Populaire, qui était déjà dédié à la photographie, mais de manière irrégulière.

 

Quel est votre titre exact ?

Je suis le directeur artistique. Je m’occupe du choix des expositions, et en fonction des artistes et des thèmes, je prends en charge le commissariat d’expo ou alors je le confie à des commissaires internationaux compétents, américains, allemands ou Suisses par exemple.

 

Avez-vous posé des conditions avant d’accepter ?

La nouvelle équipe du service culture de la Mairie m’a demandé si j’étais intéressé et, avant d’accepter, j’ai demandé à avoir l’entière liberté de programmation, un budget conséquent qui me permette de créer des expositions inédites, accompagnées de leurs catalogues publiés chez un grand éditeur, une attachée de presse nationale, un effort pédagogique avec des livrets d’expos distribués gratuitement et un poste de médiateur à demeure. La municipalité a dit ok à tout ça, en conservant la gratuité des entrées, toujours portée par la volonté de développer la politique culturelle de la ville et par un budget culture qui est le deuxième après Paris je crois. En deux ans, grâce à l’effort financier de la ville et à la confiance mutuelle qui existe entre nous, la fréquentation est passée de 7000 visiteurs à 25000 et jusqu’à 50000. Il a fallu que les équipes se forment à des travaux spécifiques et collaborent avec des institutions internationales. Pour chaque exposition, un voyage de presse est organisé pour la presse Parisienne et internationale, ce qui permet d’avoir une couverture médiatique très large.

Ici, au rythme de trois par an – sans compter les Boutographies qui occupent les murs durant chaque mois de mai – chaque exposition est une création. Par exemple pour la Finlandaise Elina Brotherus, en 2016, c’était sa première rétrospective en France, qui a d’ailleurs été reprise en Finlande, en Suède, en Autriche, tout ça en partenariat avec le Pavillon Populaire. La venue de Ralph Gibson en 2017-2018 a été l’occasion d’éditer sa fameuse trilogie en regroupant les trois volumes en un seul. Ce catalogue a été racheté et distribué par un éditeur américain et a été classé 5e des meilleurs livres photos il y deux ans.

 

Quelle est pour vous la fonction d’une exposition ?

C’est d’éduquer les gens, le tout complété par une action pédagogique de médiation ; d’où le livret gratuit imprimé à 35000 exemplaires et distribué gratuitement sur le lieu d’expo et l’édition du catalogue. Dès le départ j’ai tenu à garder le côté populaire qu’on retrouve dans le nom du lieu, et que les gens qui visitent comprennent ce qui est présenté. Je mets aussi ma compétence au service du public, je tiens à monter des projets que nous sommes les seuls à faire, comme la rétrospective d’Aaron Siskind, en 2014-2015, figure majeure de l’image vernaculaire architecturale autant qu’expressionniste, qu’aucun musée américain n’avait mis à l’honneur. Comme l’ayant-droit était un ami à moi je savais où était le fonds photo, et c’était la première fois que l’on reconstituait le parcours dans sa chronologie.

J’essaye toutefois de présenter tous les aspects les plus variés de la photographie, historique, patrimonial, contemporain. Valie Export, qui clôture la programmation 2019 par exemple, est une grande artiste internationale qui a posé les bases du féminisme dans la photographie et n’avait jamais été montrée en France.

 

Vous avez aussi réussi à lier l’image et la musique, vous êtes d’ailleurs le chanteur-guitariste des Frantic Rollers, groupe de Rock ‘n Roll toujours en activité

Le groupe date de 1962-63, et nous allons jouer le mois prochain ! Tous les autres se sont arrêtés mais pas nous. Nous étions parmi les premiers à jouer du Rockabilly en France. Nous avons été invités un peu partout, avec les musiciens d’Elvis à Memphis en 96 à Graceland grâce à Bill Ferris, qui est devenu ensuite délégué à la culture de Bill Clinton et qui a été le commissaire de l’expo sur les droits civiques américains il y a deux ans. Juste après la chute du mur, nous sommes allés jouer à Berlin. J’ai même réussi à faire venir à Arles Carl Perkins, avec qui je suis resté lié, pour jouer ensemble lors d’une soirée de présentation de mes photographies.

En 96, comme je fréquentais souvent le centre de photographie de Tucson, j’ai rencontré la famille McCartney qui avait un ranch pas loin, et j’avais trouvé Linda McCartney passionnée de photographie et très productive elle-même, en me disant qu’un jour je lui ferait une rétrospective. Elle est hélas décédée deux ans après. Une quinzaine d’années plus tard j’ai réussi à contacter Paul McCartney, en lui rappelant que nous nous connaissions, que sa femme Linda conservait auprès d’elle mon livre sur Walker Evans et surtout que j’étais un ami de Carl Perkins, son idole. Ce qui a eu pour effet de gagner sa confiance et d’avoir son accord pour exposer le travail de sa femme à Montpellier. Il est même venu en jet, en famille, pour l’ouverture de l’exposition, avec ses enfants et son petit fils. C’était un moment formidable, même si le service d’ordre a été un peu plus compliqué que d’habitude …

 

Andy Summers le guitariste de Police, une autre rencontre ?

J’ai rencontré Andy chez Ralph Gibson à New-York, c’est quelqu’un de très sympathique et je savais qu’il faisait de la photo. Je suis allé chez lui, à Los Angeles, voir son travail et jouer de la guitare aussi. C’est un très bon photographe et son exposition a très bien marchée, elle a voyagé au Pays-Bas et doit être reprise à Moscou en mars 2020. A Montpellier il nous a offert un concert gratuit, improvisé sur la projection de ses images.

 

Avez-vous un désir d’exposition encore inassouvi ?

J’aimerais beaucoup faire la rétrospective de Ben Shahn, peintre et photographe américain. Il fut dans les années 30 l’un des douze photographes, avec Dorothea Lange et Walker Evans, chargé par la Farm Security administration de faire le portrait de l’Amérique en crise. Je suis allé faire la sélection d’images à Boston, au Folk Arts Museum qui m’a donné son accord, mais il se trouve que le transport de ses œuvres est pour le moment au dessus de nos moyens. Je n’ai pas abandonné l’idée mais il nous faudrait un ou des partenaires pour nous aider.

 

Les prochaines expositions de 2020 ?

Début Février commencera celle de Jean-Philippe Charbonnier, photographe humaniste un peu oublié depuis une trentaine d’années, jusqu’à fin Avril. Les Boutographies prendront ensuite le relais au mois de Mai, pour arriver à une grande exposition américaine avec le co-commissariat de la galerie Howard Greenberg, L’École de New-York 1940-1965, de la fin Juin jusqu’au mois Octobre. L’année 2020 se clôturera par la rétrospective de Georges Molder, grand photographe contemporain Portugais pour basculer sur l’année 2021, qui portera la thématique de photographie et écologie.

 

Gilles Mora a publié Walker Evans, la soif du regard livre de référence, en 1993 au Seuil. Il a obtenu le prix Nadar en 2007 pour son ouvrage  La photographie Américaine 1958-1981 aussi publié au Seuil.

Les éditions La main donne ont édité Antebellum en 2016 qui regroupe ses photos du Sud des USA.

 

Le Pavillon Populaire, esplanade Charles-de-Gaule 34000 Montpellier, entrée gratuite

Exposition Valie Export-Expanded arts, jusqu‘au 21/01/20

Exposition de Jean-Philippe Charbonnier du 5/02 au 19/04/20

https://www.montpellier.fr/506-les-expos-du-pavillon-populaire-a-montpellier.htm

 

 

 

 

 

  

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