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« Beyond The Forest » : Marc Wendelski chez Contretype à Bruxelles

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C’est dans la forêt de Hambach, en Allemagne, qu’en mai 2012, un groupe de militants s’est installé dans un camp pour protester contre l’exploitation à ciel ouvert des mines de lignite, pour lutter contre la politique expansionniste et pour empêcher la destruction des derniers hectares de forêt. Pendant un an, Marc Wendelski les a accompagnés et s’est impliqué dans la vie du camp. Il livre un manifeste écologique qui, par sa distance esthétique, donne au travail une dimension formelle et intemporelle.

Comment est née l’idée de ce reportage sur les mines de combustible fossile en Allemagne et les activistes qui y vivent depuis plus de deux ans ?
C’est la combinaison d’un hasard, d’un processus de remise en question de ma pratique photographique et d’une implication croissante dans un engagement personnel, politique et citoyen. 
Une manière aussi de regarder vers le dehors et de me confronter à l’autre. J’avais envie de faire du portrait et de l’inscrire dans une démarche documentaire. Un jour, dans la newsletter d’un squat liégeois, je découvre l’existence de ce camp. Je m’y suis rendu une première fois, et j’ai directement été bouleversé par ce que j’y ai vu, par la beauté de ces jeunes activistes, par la force plastique de leurs constructions, par la démesure des paysages dévastés de la région. 
J’y suis retourné chaque semaine pendant plus d’un an. 




Le vois-tu comme un témoignage/reportage neutre ou y a-t-il quelque part une volonté de relayer le combat de ces manifestants, un engagement politique, presque comme un manifeste écologique ?
Il s’agit bien d’un témoignage. Il n’a rien de neutre. J’ai clairement choisi mon camp, et les photographies me situent d’elles-mêmes du côté des activistes. Néanmoins, mes choix esthétiques permettent une certaine distanciation. Cette distanciation relève plus d’une volonté d’honnêteté dans le témoignage de mon rapport aux occupants du camp que d’une position critique ou d’une pseudo neutralité. J’ai développé des rapports de confiance avec les personnes que j’ai photographiées, je me suis impliqué modestement dans la vie du camp, et je partage leur combat et leur engagement. Mais je n’ai jamais été totalement “l’un des leurs”.
 Il en résulte une dimension très formelle au travail, une forme d’abstraction qui me permet de repositionner ce témoignage dans une perspective beaucoup plus intemporelle ou universelle. On peut donc bien parler d’un manifeste écologique.



Quelle leçon tires-tu de ta présence auprès de ces manifestants, de leur engagement et de leur sens de la liberté ?
Depuis la crise de 2008, nous prenons conscience de la finitude des ressources sur lesquelles nous avons bâti notre système et de l’appauvrissement de l’ensemble des moyens de subsistance pour les générations futures. Mais la crise la plus importante à laquelle nous sommes confrontés est une crise idéologique, voire une crise de civilisation. Les jeunes que j’ai rencontrés à Hambach semblent n’avoir jamais été dupes des enchantements et des promesses lancés par la machine médiatique et consumériste. Comme s’ils étaient en rupture avec le système depuis le berceau. Ils sont positivement désillusionnés, ils ont conscience qu’ils n’ont rien à perdre, puisque le modèle que nous leur proposons ne peut les mener qu’au désastre, et ils sont mobilisés par un instinct de survie. Sur certains arbres de la forêt de Hambach on peut lire ce slogan inscrit à la bombe de peinture : « We are not fighting for Nature, We are the Nature fighting back. »

Comment as-tu organisé les prises de vues portraits des activistes ?
Chaque portrait est le résultat d’un long travail d’approche, de mise en confiance. En principe, il est interdit de faire des photos dans le camp, et j’ai essuyé de nombreux refus. Les portraits sont essentiels pour moi dans ce travail. Ils en constituent la colonne vertébrale, mais les activistes sont souvent farouches vis-à-vis des caméras et des appareils photo. A juste titre d’ailleurs, puisque la police utilise souvent l’image à des fins répressives.
 J’ai donc opté pour ces portraits frontaux, réalisés à la chambre technique 4×5 ». Avec la lourdeur de cette technique, chaque portrait était un moment ritualisé. La personne pouvait choisir l’endroit de la prise de vue. Je voulais vraiment donner un visage à ces activistes qu’on ne représente en général que dans des actions plus ou moins violentes, dans leurs habits noirs, et cagoulés. Dans la forme que je donne à ces portraits, je préserve le sujet d’une action judiciaire éventuelle puisque je suis en dehors de toute action. Le modèle tient une position physique d’occupation du terrain et une position politique. Son regard est toujours orienté directement vers l’objectif, dans une interpellation du spectateur.

Tes portraits sont à l’image de la nature que tu photographies : bruts, fiers, sobres. C’est une volonté ?

Il y a effectivement derrière ces images une émotion esthétique ancrée depuis toujours dans mon imaginaire. J’ai toujours eu une réelle affection pour les “alternatifs” de tous bords : les punks, les babas, les freaks, les saltimbanques, les marginaux, etc. De même que je revendique une sensibilité romantique un peu XIXe pour l’image de “la nature qui reprend ses droits”, pour la nature indomptée.



Tu as mené ce travail pendant un an, sur plusieurs saisons. Comment réussis–tu à conserver cette harmonie des couleurs, presque une subtile bichromie ?
J’accorde une grande importance à l’unité des couleurs et je passe beaucoup de temps à retravailler mes fichiers pour les harmoniser entre eux. C’est évidemment particulièrement compliqué lorsqu’on travaille avec des lumières très variables et avec un sujet qui évolue au fil des saisons. J’opère d’abord par une désaturation générale, puis je travaille les teintes vertes, qui sont les plus délicates puisque notre œil y est particulièrement sensible. Je travaille aussi par unité d’objet, donc je choisis une teinte pour les terres, par exemple, et je passe toutes les images en revue pour avoir le même brun dans les terres, puis je fais la même chose pour les peaux, etc.

Quelles sont tes sources d’inspiration ? Quels photographes aimes-tu particulièrement ?
Je suis particulièrement sensible aux photographes documentaires, principalement américains, travaillant à la chambre, produisant peu d’images mais accordant à chacune d’entre elles un soin et une attention qui dénotent en regard de la démesure productiviste d’images à l’heure du numérique. Je pense à Joël Sternfeld, Mitch Epstein ou Alec Soth. Je fais aussi régulièrement de merveilleuses découvertes chez de plus jeunes auteurs naturellement plus anonymes, comme récemment le travail d’Antoine Bruy qui m’a profondément ému.

Quel est ton prochain sujet/travail ?
Je ne sais pas encore. Je vais déjà essayer de faire exister celui-ci avant que la forêt ne soit totalement détruite. Le travail a aussi une vocation d’information et de sensibilisation. Il y a urgence, à Hambach et dans des centaines d’autres zones à défendre.

www.wendelski.be

EXPOSITION
Beyond The Forest de Marc Wendelski

Jusqu’au 21 janvier 2015
CONTRETYPE
4A, Cité Fontaine
1060 Saint-Gilles
Bruxelles
www.contretype.org

LIVRE
Beyond The Forest de Marc Wendelski
Editions Yellow Now
Collection Côté photo
www.yellownow.be

 

 

 

 

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