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Best Of 2021 : Charles Nègre : L’Humaniste d’Avant Garde par Michel Cresp

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Pendant 12 ans, de 1850 à 1861, Charles Nègre réside au 21 quai Bourbon à Paris. À l’époque l’île Saint-Louis n’est pas le quartier huppé d’aujourd’hui. Certes les hôtels particuliers du xviie siècle y sont présents, mais aussi des artisans, des ateliers d’artistes – Honoré Daumier est un voisin au 9 quai d’Anjou – et même des fabriques, une blanchisserie…

À partir de 1851 Charles Nègre va photographier les petits métiers de son entourage : le joueur d’orgue, le marchand de coco, les ramoneurs, le tailleur de pierres, les musiciens de rue, le petit chiffonnier, le maçon, le marché… Il fait preuve d’une attention toute particulière à ces humbles. Il cherche la poésie du monde dans des choses simples, des situations du quotidien, la vie. Les conditions techniques de l’époque obligent souvent à des situations posées, mais ces scènes de rue sont particulièrement sensibles, on parlerait aujourd’hui des prémisses de la « street photography ».

C’est la formation de peintre de Nègre qui explique son goût de la scène de genre, ses premiers essais dans ce domaine, il ne faut pas l’oublier, ont été conçus comme des études pour ses peintures. S’il n’est pas un précurseur, Nègre peut être considéré comme le maître de la photographie de genre parce que tout en la portant à son point de perfection, il a cherché et trouvé pour la photographie un langage qui lui est propre, celui du naturel.

(…) En recherchant la traduction de l’instantané, Nègre a été le premier à pressentir ce qu’était l’essence même de la photographie, et par là il préfigure (…) certaines images d’Atget, et plus encore Lartigue, Cartier-Bresson et Doisneau.” [Françoise Heilbrun dans «Charles Nègre photographe, 1820-1880»]

L’Asile impérial de Vincennes, près de Paris, est un chapitre particulier dans l’œuvre de Charles Nègre, c’est l’un des premiers reportages. Cet asile – on dirait aujourd’hui hôpital – est la volonté de Napoléon III pour accueillir des convalescents, ouvriers blessés sur les chantiers de l’État ou dans les usines. L’urbanisme du baron Haussmann multiplie les travaux dans Paris, et donc les accidents. L’asile est construit à partir de 1855 et Charles Nègre réalise ses premières prises de vues en 1857. L’album qui sort en 1860 est un in-folio de 11 planches 48 cm x 62 cm comportant chacune soit une seule photographie ovale, soit deux photographies en tondo. Pour l’empereur c’est une opération de communication sur son œuvre sociale. Pour Charles Nègre cette commande d’État est l’occasion de déployer toute sa sensibilité dans un récit complet.

Il photographie l’architecture et les jardins, mais surtout le fonctionnement d’une communauté. Par des effets de lumière en clair-obscur Charles Nègre apporte du merveilleux dans un endroit somme toute de douleur et de silence : chambres, bibliothèque, salle de jeu, réfectoire, cuisines, visite médicale… D’autres vues des blanchisseuses, de la pharmacie, ainsi que le portrait de la Mère supérieure, ne figurent pas dans l’album mais en planches séparées.

La technique évolue et ce sont ici des poses courtes, pratiquement des instantanés, et on peut vraiment parler de reportage, dans l’esprit et dans la forme. Charles Nègre, au-delà de sa grande maîtrise de moyens, apporte par son regard une grande humanité et ouvre la voie de la photographie sociale.

Michel Cresp

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