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Arles 2013: Guy Bourdin–Untouched

Personnage étonnant, perfectionniste maladif, provocateur systématique, créateur de génie, Guy Bourdin fût l’un des photographes les plus flamboyants des années 60, 70 et 80. Sa biographe, Shelly Verthime, présente à Arles une partie complètement méconnue de son œuvre: ses débuts en noir et blanc dans les années 50. J’ai bien connu Guy Bourdin, c’est pour cela que l’on publie aujourd’hui ce texte écrit à sa mort pour Paris Match en avril 1991.

« Vous n’êtes qu’un nazi. Considérez-moi comme un Juif. Dépouillez-moi« . Et l’inspecteur des impôts vit, ébahi, son visiteur se mettre nu dans son bureau. La scène se déroulait il y a une dizaine d’années. Le visiteur n’était autre que Guy Bourdin, le plus grand des photographes de mode français, qui vient de mourir d’un cancer généralisé. L’anecdote a une suite. Cinq jours plus tard, le fils de Guy Bourdin, Samuel, trouve une note de son père en rentrant de l’école: «Je ne dormirai pas avec toi ce soir, je serai en prison« . C’était vrai. L’anarchie avec laquelle il tenait ses comptes et le peu d’empressement qu’il mettait à payer ses impôts l’avaient conduit directement au dépôt.
Roger Thérond, directeur de Paris Match, et Robert Caille, directeur de Vogue donnèrent un chèque de caution qui le libéra après vingt-quatre heures. Le lendemain, il les remercia, tout en ajoutant : « Vous avez tait une erreur. Un an en prison, cela m’aurait fortifié l’âme. »

C’était cela, Guy Bourdin, un gigantesque monument de provocation. Physiquement, il était un personnage à la Dorian Gray: une éternelle apparence de jeune homme de 30 ans, alors qu’il en avait plus du double. La photographie, c’est en vendant à 20 ans des objectifs à la Samaritaine qu’il l’avait découverte. Son idole d’alors est Man Ray. Sept fois il lui rend visite, six fois Juliette Man Ray lui refuse l’entrée. La septième, le maître lui ouvre : ils deviendront amis. Guy est alors coursier au consulat américain. Man Ray y a une rétrospective. Il l’invite au vernissage. Guy s’y rend. Son supérieur hiérarchique lui interdit l’entrée. Guy ne parle pas de Man Ray, démissipnne, rentre chez lui. Il n’en sortira pas pendant un an. Il dessine, peint surtout. Le dessin, la peinture, l’anarchisme et le surréalisme sont aussi les quatre autres composantes de l’autre grand Français de la photographie, Henri Cartier-Bresson. En 1950, il expose pour la première et dernière fois des images en noir et blanc dans une galerie de la rue de Bourgogne, signées d’un pseudonyme: Edwin Allan. Vingt ans après, John Scharkonsky, directeur du département photo du Musée d’Art Moderne de New York, cherchera toujours à retrouver ce photographe qui l’avait tant impressionné. Peu de temps après, il entre à Vogue. Il y restera trente ans. Les meilleures années du magazine. Là, son goût de la provocation va se hisser au niveau du chef d’oeuvre: jeunes filles recouvertes de caviar, bijoux de valeur photographiés dans des boîtes de peinture ou de petits pois, Ursula Andress immobile, allongée sept heures durant sur une table en verre, le temps de trouver des roses dont le rouge sera en harmonie avec le corps de l’actrice (elle ne lui pardonnera jamais).
En pleine guerre d’Algérie, il emprunte des chameaux au Jardin des Plantes et les fait poser place du Palais Bourbon. La police l’interpelle, croyant à une manifestation pro-F.l.n. Chaque mois, il surprend, étonne et se renouvelle.
Dans les années 70, il réalise les campagnes publicitaires des chaussures Jourdan. Elles sont inscrites, depuis dans l’histoire mythique de la publicité. En 1975, les magasins Bloomingdale’s de New York font appel à lui pour leur catalogue (le· must absolu de l’époque) … Vous allez remplacer toutes les vitrines du magasin par du verre cassable de cinéma, non dangereux. Je vais faire des photos d’émeutes: 300 femmes· folles pillant Bloomingdale’s.  » Les propriétaires refusent. Guy disparaît, fou de rage, et rend, quinze jours après la date limite 24 images prises en studio. Le calalogue vaut aujourd’hui 500 dollars, et Bourdin n’a jamais voulu retravailler pour eux.

La fin d’une époque aidant, la photographie se banalise, devient sage. Guy s’ennuie et se détourne peu à peu de Vogue. ll se prend de passion pour l’astrologie, n’engage que des mannequins d’un certain signe. Un mois plus tard, elles se sont donné le mot et sont toutes du signe demandé : Sagittaire.
Touché par le suicide de sa seconde femme. il reste cloitré chez lui, dans un minuscule appartement de la ruedu Pélican, où les photos s’empilent dans des cartons à chaussures et des sacs-poubelle. Il peint à nouveau: des toiles surréalistes étonnantes qu’il ne finit presque jamais. Il essaiera en vain, d’ailleurs, de racheter à Daniel Filipacchi une de ses premières toiles pour la détruire.
Les soucis financiers s’aggravent. Son menu quotidien : une baguette et une boite de sardines. En 1981, le collectionneur américain Sam Wagstaff, pourtant très près de ses sous, lui offre un chèque en blanc contre un tirage. Guy refuse et lui donne une carte postale Jourdan. En 1985, nous montons un « complot » amical pour lui faire attribuer le grand prix de la photographie de la Ville de Paris et les 70 000 francs qui vont avec. Il retourne le chèque avec ces mots: « Merci pour les douceurs, mais je ne les supporte pas. J’ai du cholestérol« .
Et puis, le tunnel s’éclaircit grâce à la tendresse de sa dernière compagne, Martine, et à l’amitié de Nicole Wisniak, éditrice de L’Egoïste· En 1988, il reçoit pour ses images dans L’Egoïste l’un-des grands prix de l’International Center of Photography. C’est une Annie Leibowitz émue aux larmes qui fait le discours d’hommage.
Lui dans un coin avec Richard Avedon, l’autre grand de la photographie, ils se racontent, comme deux gamins complices, des histoires des années 50. La maladie était déjà là. Il n’en parlait jamais. Il ne parlait que d’images. La dernière qu’il voulait faire était celle d’une Léda noire et d’un cygne blanc. De la provoration. Jusqu’au bout.

Jean-Jacques Naudet
Article paru dans Paris Match le 11 avril 1991 (n°2185)

EXPOSITION
Guy Bourdin – Untouched
Du lundi 1er juillet au dimanche 22 septembre 2013
Espace Van Gogh
13200 Arles
France
10h – 19h30
8 €

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