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Val Fleury : Marie Dorigny & Claudine Doury : Femmes d’un Monde à l’Autre

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Les difficultés actuelles que rencontrent les photographes sont exacerbées pour les femmes. Paradoxe d’un métier qui se féminise, mais reste sous la domination masculine. Pourtant on ne se risquerait pas à chercher dans une photo un regard dû au genre. Il y a d’abord des regards qui touchent, bouleversent et patiemment construisent un tout photographique qui s’impose, comme se sont imposés à nous ceux de Marie Dorigny et de Claudine Doury dont nous vous invitons à découvrir l’exposition : Femmes d’un monde à l’autre.

Marie Dorigny va à la rencontre de femmes menacées chez elles, contraintes à la fuite et l’exil. Les photographies nous plongent dans cet univers de détresse de femmes croisées dans   la tourmente, échouées aux confins d’une Europe pour le moins hésitante à les accueillir. Pourtant, c’est d’abord la dignité et l’humanité profonde dont sont empreintes ses photos, qui nous touchent et nous les rend si proches. Avec le temps donné au temps, permettant cette proximité et cette disponibilité, nous mesurons les constantes de son travail photographique : une femme à l’écoute des femmes.

Par petites touches, teintées d’une poésie et d’une douceur récurrente à son travail, Claudine Doury nous entraine dans son voyage en Asie Centrale.

Une traversée où le temps sait s’allonger, devenir l’allié de la photographe. Elle approche ces jeunes femmes dans des étendues infinies semblant immuables. Complice, elle reçoit leurs photographies plus qu’elle ne les prend, nous entrainant bien au-delà du quotidien et du présent que documentent les images, porteuses d’une universalité enrichissante.

« Displaced, Femmes en exil » et « Loulan Beauty » deux séries qui s’unissent, se soudent ici pour donner espoir, tenter d’éloigner la barbarie.

Bernard Minier

Commissaire de l’exposition

 

 

Displaced, Femmes en Exil

Au mois de décembre 2015 quand Marie Dorigny s’envole pour Lesbos, quelque chose vient de changer pour les réfugiés qui arrivent depuis l’été par milliers sur les côtes rocheuses des îles grecques : l’Europe a fait un geste. Elle entrouvre sa porte. Le cadavre d’un petit garçon comme endormi pour toujours sur le sable, a semble–t-il troublé sa bonne conscience.

Au Parlement Européen, un rapport s’alarme de la situation des femmes demandeuses d’asile et des difficultés spécifiques qu’elles rencontrent sur la route de l’exil. Elles forment, avec les enfants, la moitié de la population en mouvement. Un reportage photo est alors commandé par le Parlement à Marie Dorigny. Elle les suivra depuis les plages de Lesbos jusqu’aux foyers d’Allemagne. Il y a longtemps, qu’au fil de ses voyages, Marie Dorigny regarde et photographie les femmes, moitié silencieuse qui tisse un filet de sécurité autour du monde. Elles ont toujours charge d’autres vies que la leur.

Regardez-les qui n’ont jamais vu la mer et tremblent sur les canots, qui ajoutent sur leur fichu le brillant d’une couverture de survie, qui supplient le laissez-passer des autorités, qui s’arrondissent dans les allées d’un train, qui marchent dans la nuit le long d’un grillage entre deux points de passage….. Elles ne vont jamais seules. Il y a des enfants au creux de leur ventre, au creux de leur bras, au bout de leur main. Et bientôt, dans la lenteur ou la vitesse, on ne distingue plus vraiment la paysanne des montagnes de l’urbaine des beaux quartiers, la Syrienne, de l’Irakienne, de l’Afghane. Rien ne ressemble plus à celui qui fuit que celui qui fuit. La mère à l’enfant est une image hors du temps.

C’est pourtant au tournant de l‘année 2016 que ces photos ont été prises. La date est importante. Car le geste de l’Europe ne fut que de courte durée. Quelques mois plus tard, en Mars, l’Union européenne et la Turquie signaient un accord pour réduire la migration vers l’Europe. Il n’y a donc plus autant de bras volontaires offrant secours et étreintes sur les plages de Lesbos, un cordon policier les empêche d’approcher. Plus de camp de transit, on l’appelle centre de rétention. Plus de passage ouvert entre Grèce et Macédoine. Plus de bus, de train, plus d’escorte officielle. Les passeurs ont repris leur criminel marchandage.

Ces photos sombres racontent donc une éclaircie. Ces visages hébétés, inquiets, épuisés, un vague sentiment de sécurité. Ces trains bondés, fermés à double tour, filant dans la nuit à l’abri des regards et des opinions, un moment d’ouverture. Ces foyers froids d’Allemagne sont la terre promise.

Ces photos racontent le maximum que l’Humanité sut offrir. Elles ne pourraient plus être prises aujourd’hui.

Judith Perrignon

 

Loulan Beauty

L’histoire de l’Asie Centrale depuis la fin du XXème siècle est nécessairement associée à la chute de l’Empire soviétique, moment où ses États orientaux (Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan…) ont abandonné leur visage de républiques soviétiques (villes nouvelles, kolkhozes et réalisme socialiste) pour renouer avec les images plus anciennes des pays de la route de la soie : cités du désert et couleurs de bazar, support durable à la rêverie occidentale d’une Asie nomade, mystérieuse et inaccessible, mirage né de la poussière des steppes.

La série Loulan Beauty de Claudine Doury superpose ces deux visions en leur choisissant un motif commun : le portrait de la jeunesse, et en particulier des jeunes femmes. Si le titre lui- même évoque une très vieille femme (une momie de 4000 ans exhumée avec ses tresses de fille des steppes, image archétypale de la féminité d’Asie Centrale), ce sont des jeunes gens bien vivants qui peuplent ces photographies de leurs rêves, leurs aspirations, leurs regards portés vers un horizon encore indécis. Une scène de mariage à Khiva (Ouzbékistan) emblématise le rapport au temps qui traverse toute la série : au pied des murs de terre de la cité ancestrale, semblant surgie d’un conte oriental, le jeune couple entouré de sa famille s’avance vaillamment vers l’architecture invisible d’une vie à construire, vers le monde de demain encore hors-champ.

Qu’est-ce que l’avenir dans un monde où ni l’espace ni le temps ne sont comptés ? Scènes immémoriales, costumes hérités de la tradition, plaines sans fin, voyages interminables en bus ou en train sont le vocabulaire de ce questionnement, qui inscrit de jeunes corps en devenir dans un paysage paradoxal où les désastres de l’histoire récente (tel l’assèchement de la Mer d’Aral) oblitèrent le fond perdu d’une étendue beige, vaste comme un ciel, où le regard cherche en vain une limite.

Sur cette trame se déposent les couleurs délicatement prélevées par Claudine Doury : une robe d’ikat, des briques d’un vert d’algue, un invraisemblable chapeau au plumet rose, le rideau bleu d’un train qui emporte une enfant vers une autre vie peut-être. Et le clair regard de Malika, magnétique, inquiet et mélancolique, bouleversant comme une question sans réponse jetée dans le vent de la steppe.

Bruno Nourry

 

Marie Dorigny & Claudine Doury : Femmes d’un Monde à l’Autre

du 13 Octobre au 20 Décembre 2020

Château du Val Fleury

Allée du Val Fleury

Gif-sur-Yvette (Essonne)

www.ville-gif.fr

 

www.myop.fr/photographer/marie-dorigny

www.claudinedoury.com

www.agencevu.com

 

 

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