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Un vent de solidarité souffle sur les Rencontres de Bamako 2019

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L’émerveillement se lisait dans les yeux, il y a quelques jours, lorsque les portes du Musée National du Mali se sont ouvertes aux visiteurs impatients de découvrir les expositions concoctées par les équipes des Rencontres de Bamako.

En adéquation avec le thème « Courant de Conscience » imaginé par le Directeur artistique de cette 12ème édition, le Dr. Bonaventure Soh Bejeng Ndikung, une scénographie pleine de poésie invitait le public à la déambulation entre deux structures faites de planches en bois obliques disposées de façon à suggérer le mouvement des vagues, puis le long d’une rivière en bois traversant la salle d’exposition et autour de laquelle se dressaient des tipis en bambou recouvert de fil de pêche dans lesquels on pouvait pénétrer.

Pour une édition qui célébre les 25 ans d’existence de la biennale et qui marque un tournant structurel historique faisant du Ministère de la Culture du Mali l’unique organisateur de l’événement, la scénographie aussi se devait d’être à la hauteur. Cheick Diallo, architecte, artiste et designer de renom, n’a pas failli à la mission qui lui était confiée, offrant aux travaux des artistes sélectionnés des supports grandioses, audacieux et fidèles à la démarche qui l’a fait connaître. Effectivement, au-delà de son engagement pour une utilisation des matériaux disponibles localement, le scénographe a adopté un mode opératoire collaboratif. Des semaines durant, une équipe de jeunes architectes et apprentis scénographes dont le prometteur Cheick Ouedraogo, d’artisans-soudeurs, d’artisans-menuisiers, de peintres, ou encore de tisserands se sont relayés et entraidés des heures durant pour fournir à temps un cadre d’exposition qu’on ne peut que saluer.

Lorsque l’on visite les différents espaces d’exposition des Rencontres de Bamako, au nombre de 11 à travers la ville, il n’est pas difficile d’imaginer le travail qui a été nécessaire mais surtout, les forces humaines qui ont été sollicitées pour réaliser ce projet. Il émane de la biennale, un doux parfum de solidarité que chacun des contributeurs confirmera. Déjà, une solidarité de la part des artistes, qui, enthousiasmés par l’idée de soutenir un événement d’ampleur sur le continent, n’ont pas hésité à faire des concessions en rapport aux contraintes de production et de présentation de leurs œuvres. Ainsi, certains papiers ou supports d’impression ne seront pas disponibles ou les tirages ne seront pas encadrés faute de moyens, mais fort heureusement, la qualité des tirages réalisés pour la première fois au Mali, elle, sera au rendez-vous.

En dépit des contraintes qui ont été fort nombreuses pour une première, le Cadre de Promotion pour la Formation en Photographie de Bamako (communément appelé CFP), fondé et dirigé par Youssouf Sogodogo, et la Maison Africaine de la Photographie (MAP) dirigée par Tidiane Sangaré, ont relevé le défi de tirer des centaines d’images en un temps record, les équipes travaillant à toutes heures du jour et de la nuit avec professionnalisme et minutie. Malgré des ruptures de stock de papiers, malgré des coupures de courant occasionnelles mettant en attente le processus, les laboratoires ont fait preuve d’une patience et d’une persévérance à toute épreuve, avec en tête l’objectif de prouver à tous que la production des Rencontres de Bamako se doit d’être faite au Mali, non seulement car il en a la capacité, mais aussi parce qu’il ne peut en être autrement pour un événement qui a lieu dans une capitale dite « de la photographie » en Afrique.

Avec la même volonté d’agir en faveur de l’image du pays, les équipes techniques et d’accrochage ont travaillé d’arrache-pied pour installer l’ensemble des 85 propositions dans la dizaine de lieux retenus et ce jusqu’à bout de la nuit, même à quelques heures de l’inauguration officielle. Une gymnastique logistique orchestrée collégialement par l’équipe curatoriale, qui a mis la main à la pâte, les laboratoires, l’équipe de scénographie et l’équipe d’accrochage. Sous la houlette d’Ange Dakouo, Ibrahim Ballo, Dramane Bamana, Boureima Doumbia, Ibrahim Doumbia, Mohamed B. Keïta, Hamidou Kodio, Alassane Koné, Mohamed Koné, Alhassane Konté et Adama Traoré ont tapé les pointes des centaines de fois de leurs mains gantées. Prêts à bondir sur leurs motos à tout instant pour aller apporter leur appui sur d’autres chantiers en cours, peu importe la distance et les embouteillages, les membres de l’équipe d’accrochage sont l’incarnation même de la solidarité. Si certains sont encore de jeunes étudiants au Conservatoire des Arts et Métiers Multimédia Balla Fasséké Kouyaté (CAMM), ils sont, pour la plupart, issus ou amis du Collectif TimArts, un regroupement de dix jeunes artistes plasticiens issus pour beaucoup du CAMM et qui ont décidé au sortir des études de s’organiser en collectif pour louer un espace dont ils se servent à la fois comme un atelier et une salle d’exposition.

Un esprit d’entraide et de partage qui a tout pour ravir le Directeur artistique Bonaventure Soh Bejeng Ndikung, qui cette année, a fait le choix de faire un focus sur les collectifs de photographes pour justement aborder la question de la création de synergies inhérente aux collectifs. Avec en tête l’idée de faire valoir un monde africain, il a souhaité s’interroger sur la façon dont nous pouvons comprendre, appréhender et construire une société ensemble, d’où le sous-titre de la 12ème édition des Rencontres de Bamako, « Une concaténation de dividus ». Le dividualisme est un concept issu de la sociologie et de la philosophie qui désigne l’être comme faisant partie d’un tout plutôt que comme l’entité singulière que suggère l’individualisme. Ainsi, de nombreux duos et collectifs ont été sélectionnés et sollicités pour présenter leurs travaux aux Rencontres de Bamako : trois duos que sont le Collectif Orchestre Vide, Harun Morrison & Helen Walker, Nirveda Alleck & Katia Bourdarel, et huit collectifs que sont AFPM, le Collectif 220, Iliso Labantu, Invisible Borders, Kamoinge, le Kolektif 2 Dimansyon (K2D), le MFON, et The Otolith Group.

Comme le directeur artistique le signale lui-même, ce sont généralement les difficultés qui engendrent l’apparition de pratiques solidaires. Ainsi, on retrouve le groupe africain-américain Kamoinge formé à la fin des années 1960 pour remédier l’inaccessibilité aux supports de publication dans un contexte de ségrégation raciale. De même, le collectif de femmes issues des diasporas africaines MFON et l’Association de Femmes Photographes du Mali (AFPM) sont l’indication même d’une volonté de la part de ces photographes et vidéastes d’unir leurs forces pour faire entendre leurs voix qui trop souvent, sous prétexte du genre, ne trouvent pas d’espace de projection. L’un des aspects les plus marquants de cette biennale semble effectivement avoir été la prise de parole des femmes pour aborder la question des violences subies par les femmes elles-mêmes, ce que la commissaire invitée Fatima Bocoum a soulevé dans son exposition « Mussow Ka Touma Sera » (« C’est l’Ère des Femmes ») présentée au Lycée des Jeunes Filles Bâ Aminata Diallo. Et à voir la réaction des jeunes élèves du lycée, il semble que le médium photographique se fait l’instrument d’une certaine forme de solidarité capable d’atteindre les consciences plus rapidement que n’importe quel autre outil de communication.

Pour conclure, ce sont bel et bien dans les difficultés que s’est préparée la 12ème édition des Rencontres de Bamako, mais grâce à l’engagement de tous, grâce à un élan de solidarité à tous les niveaux, les visiteurs ont pu depuis le 30 novembre 2019 et pourront jusqu’au 31 janvier 2020, se faire les témoins du statut de capitale africaine de la photographie que détient Bamako.

Astrid Sokona Lepoultier

 

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