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Toute photographie fait énigme, par Michel Frizot à la MEP

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Le beau titre de l’exposition a valeur de manifeste. L’historien de la photographie Michel Frizot y montre une collection personnelle qu’il a montée au fil du temps. 170 images d’anonymes, d’auteurs méconnus, des photos de presse, des cartes postales photographiques, des photomatons, des photocollages, qu’il a trouvés dans les brocantes et sur les foires, poussé par la curiosité et la recherche de regards.

En dix sections qui détaillent différents procédés et compréhensions de l’image, plus une un peu à part de stéréoscopies, Michel Frizot propose une petite histoire de la pratique photographque dans laquelle l’énigme est considérée comme cet intervalle qui distingue la réalité de la vision que le photographe en donne, comme de l’interprétation que s’en fait ensuite le regardeur. Ou comme le dit Michel Frizot : « (…) Et cette énigme ne procède pas d’un effet, d’un style, d’un talent, mais elle est constitutive du fait photographique en soi. Elle procède de la distance entre la perception humaine et l’enregistrement photosensible, et du débordement de nos sens qui en résulte. (…). » Les thématiques s’enchaînent, introduites par des textes de Michel Frizot qui en posent brillamment les principes, au fil de photos qui datent de la fin du XIXe siècle aux années 70, une majorité d’entre elles ayant été prises dans la première moitié du XXe siècle.

Les images de la première section, par exemple, révèlent des phénomènes qui ne seraient pas perceptibles autrement que par la photographie : une explosion de rocs et de lave figée au moment elle se forme en bouquet en 1930, une photo au microscope en 1881, une de nuages en 1911, un envol d’oiseaux… De ces instants saisis, on passe à la recherche d’une esthétique qui témoigne d’une plus grande maîtrise de l’appareil, comme dans cette vue de foule dans la bourse de Paris en 1936, ou une superbe image d’Almasy dans la fabrique de stylos Bic vers 1960, montrant une silhouette se reflétant dans une vitrine qui expose un empilement des fameux Bic. Arrivent ensuite logiquement les photos de studio dans une section joliment intitulée La figuration déréglée, où l’on voit la fantaisie que s’octroient le sujet ou le modèle qui pose : un bras sur un socle, une acrobatie, un enfant qui apparaît dans un coin du décor, une lutte d’hommes nus ou Cocteau derrière un masque.

Les trois parties suivantes redéfinissent l’énigme : de l’attention, du contexte, de la relation. Comme leur nom l’indique, elles interrogent le décalage entre la réalité d’une situation et ce que le rendu photographique en révèle : un détail dans un reflet, une salle de spectacle, le procès de Violette Nozières, des figures en terre de Rodin, une procession ; ou encore le regard plein de mystère de la madone de Silenen, des enfants devant la télévision pendant le vol d’Apollo 12 qui semblent observer le photographe…

La section d’après reprend la locution latine genius loci, “l’esprit du lieu” isole un endroit, un monument, un paysage : le sphinx en 1900, une école de golf, la cathédrale de Laon, la soufflerie aérodynamique de Chalais Meudon ou les tombeaux des califes au Caire. Du lieu en tant que tel, la prochaine étape glisse à des photographies dans lesquelles la présence humaine est prépondérante. Elle pose la question de la mise en scène, ou pas, de ces interactions par le photographe : une salle de jeux peuplée d’enfants, un homme qui prie au pied de l’escalier de San Isidoro à Rome, une main qui surgit au premier plan devant une plage grouillante vers 1970, un intérieur arabe à Biskra en 1870 ou mille bouddhas à Angkor. On trouve dans cette section parmi les plus belles images de l’exposition. Alors que la suivante qui porte sur le choix de la composition, du cadrage, l’adaptation de l’image pour la rendre plus efficace, en montre les plus fortes. On y voit des têtes de missiles Patriot entre lesquelles apparaissent les visages de leurs promoteurs, des nouveaux nés de 1939 à Vienne emmaillotés et installés en forme de svastika, ou les corps de patriotes hongrois couchés sous une statue à la gloire du sport soviétique.

Cette exploration des regards se conclut naturellement sur la transformation de l’image ou les montages photographiques hétéroclites qui suggèrent un sens, une présence ou une absence : ajouts d’éléments dans la scène, superpositions d’images au résultat souvent kitsch ou désuet, colorisation à la main…

Didactique, cohérente et d’une grande richesse, l’exposition est passionnante à plus d’un titre : la confrontation générique de types formels de photographies avec l’originalité individuelle de chacune d’entre elles, la diversité et la beauté des images, l’exhumation de mondes, d’individus, de pratiques, de paysages extraordinairement vivants, l’inventivité des photographes, la recherche de la part énigmatique qui opère comme un fil rouge ; et souligne l’acuité du regard et l’érudition de Michel Frizot.

L’exposition est coproduite avec le musée Nicéphore Niepce de Chalon-sur-Saône.

La collection fait l’objet d’un catalogue, Toute photographie fait énigme, aux éditions Hazan.

EXPOSITION
Toute photographie fait énigme
Une collecte de regards, conçue et présentée par Michel Frizot
Jusqu’au 25 janvier 2014

Maison européenne de la photographie
5/7, rue de Fourcy
75004 Paris

http://www.mep-fr.org/

 

 

 

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