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Thierry Maindrault : Censures

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Chronique Mensuelle de Thierry Maindrault 

Quel drôle de mot que celui de «censure», il veut tout dire et ne rien dire, il ne possède pas de synonyme (excepté associatif et péjoratif avec cette bonne « anastasie » vieille femme aux ciseaux démesurée et au bonnet surmonté d’une chouette qui s’invite à partir XIXème siècle). Il est tellement dense que le mot désigne à la fois le groupe social qui décide pour les autres et l’action qui s’applique à une œuvre, voire à une opinion. La censure peut laisser filer dans le tissu social, elle peut interdire unilatéralement jusqu’à parfois la destruction d’une œuvre ou s’accommoder de conditions plus ou moins drastiques préalables à la diffusion de l’œuvre. Le mot est lourd mais l’éventail des droits et des actions qu’il contient est très large. Je souhaite bien définir cet état et ce rôle afin qu’il n’y ait aucune confusion car dans l’absolu ils n’ont aucun impact sur la création, cette  liberté d’expression d’un créateur, sans son propre consentement. Réfléchissons bien, ces deux concepts forment un couple indissociable, même si l’orage marital gronde beaucoup plus souvent qu’à son tour. La Censure joue à court terme dans un moment précis, un lieu précis et dans un contexte précis très souvent éphémères. La Création se consacre au long terme au delà des modes, des éducations et des obligations sociales. L’œuvre d’aujourd’hui est éternelle à la relativité du temps ; néanmoins,  elle est censurable aujourd’hui, peut-être demain, rarement après demain. Un jour, cette œuvre devenue merveilleuse sera admirée par de nombreuses générations sous réserve qu’une nouvelle censure ne la jette, ou ne la rejette à nouveau, aux oubliettes si elle ne la détruit pas.

Non, je ne suis pas hors sujet, tout cela concerne directement la photographie, la photographie en tant qu’œuvre bien entendu. Quelques exemples de cette dichotomie de forme entre création et censure. Il y a quelques jours l’Œil de la Photographie publiait une série photographique de portraits de couples d’hommes au début du XXème siècle. Quelques jours plus tard un fils de collectionneur me sollicitait pour assurer le commissariat et la scénographie d’une collection privée de photographies prises dans les maisons closes européennes deuxième moitié du XIXème et début du XXème siècles. Dans ces deux cas les œuvres étaient objectivement superbes, elles arrivent à nous et ne posent strictement aucun problème moralisateur en ce début de XXIème siècle. Elles sont présentent, je les rêve à leur création, au milieu d’une société en apparence un peu beaucoup coincée, dans une revue de l’époque ou sur une des premières affiches du métropolitain. «Anastasie» qui venait récemment de sortir de l’ombre sanctionnait en surface, pourtant les auteurs agissaient au gré de leurs imaginations. Ce qui était publiquement odieux pour les sociétés occidentales de cette époque devient tout fait dans notre air du temps aujourd’hui ; mais, quand sera-t-il demain et après demain ? Peu importe si elles retournent à l’ombre pourvu que ces merveilles ne soient pas détruites.

Destin funeste de nombres d’œuvres d’Art, toutes techniques confondues, tombées au champ d’horreur des modes et des anathèmes qui restent les auxiliaires précieux du Temps dans ses travaux de démolitions et de destructions.

Je me suis toujours efforcé, même lorsque je me suis retrouvé malgré moi en position de critique de bien faire la part des choses entre la réalité technique, esthétique, émotive et spirituelle d’un travail que l’on me proposait et mes ressentis personnels. Cela surprend presque toujours mes interlocuteurs lorsque j’affirme que c’est un excellent travail mais que personnellement je n’aime pas particulièrement (je n’accrocherai pas cette photographie ou cette peinture dans mon bureau). Mais, ce qui est plus étonnant pour beaucoup c’est lorsque je critique sévèrement la piètre qualité d’un travail que je déclare fort sincèrement que personnellement j’aime bien … Vous l’avez compris, mes goûts, mes opinions, mes humeurs, mes convictions et que sais-je encore, c’est la Censure. La réalité objective de l’œuvre et de ses messages visibles et invisibles, son potentiel à devenir une œuvre d’Art, dans le futur, c’est la Création. La difficulté surgit lorsque à un instant « t » précis notre création individuelle, par définition, se heurte à la censure qui se trouve être, souvent collective, au même moment. Votre photographie est obscène, votre photographie est violente, elle est irrespectueuse, blasphématoire, les adjectifs sont innombrables pour mettre un boisseau, un couvercle ou un éteignoir sur votre création qui n’est pas encore dans l’air du temps.

Ce petit, ou ce grand « çà ne me plaît pas » est sournois car nous le pratiquons tous en quasi permanence, même sur nos propres travaux. Cette façon d’abandonner une réalisation ou de la modifier sur des critères d’évitement des regards supposés des autres, de contourner un conflit potentiel. Parfaitement, nous nous infligeons à plus ou moins forte dose l’autocensure dans notre contexte de notre époque.

L’effet miroir existe aussi, car d’aucuns ont bien assimilé que la provocation outrancière et de pure forme avait à très court terme la capacité de dissimuler des pseudo créations d’une pauvreté absolue et de déclencher ce fameux scandale bénéfique : »l’essentiel c’est qu’on en parle … ». L’effet devient très pervers lorsque l’objet de la censure n’est plus l’œuvre, en elle même, mais son auteur pour ses convictions, ses comportements, ses soutiens.

N’oublions pas que le juge de l’homme est l’Homme, le juge de l’œuvre est l’Universalité.

Thierry Maindrault, 17 novembre 2020

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