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Rencontre avec Benjamin Derouillon

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Chaque semaine partons à la rencontre de cette nouvelle génération d’acteurs qui se saisissent des images dans leur quotidien, galeristes mais aussi éditeurs, art advisors, directeurs d’institutions ou de foires, collectionneurs… ils anticipent les mutations du marché et redessinnent les contours de leur champ d’action. Qui sont ces native digitals et comment nous décryptent ils l’avenir ? Aujourd’hui, voici Benjamin Derouillon, directeur de la galerie éponyme.

« En France, avant de savoir ce que tu fais on te demande qui tu connais et d’où tu viens. »

Quel a été votre premier choc esthétique ou photographique ?

Benjamin Derouillon : J’ai toujours baigné jeune au milieu d’œuvres et je collectionnais les reproductions d’œuvres sur posters dans ma chambre d’adolescent ! La vraie claque est arrivée assez tard, devant Gustave Caillebote, « les Raboteurs », une image qui continue à me parler et me toucher.

Pourquoi avoir eu l’idée d’ouvrir votre propre galerie ?

Une envie. Je travaillais dans la finance auparavant, un métier pas si lointain où il s’agissait de raconter de belles histoires au moment d’introduire des sociétés en bourse, convaincre des investisseurs, susciter leur intérêt pour venir rencontrer un jeune entrepreneur. Aujourd’hui c’est complètement différent, on parle d’émotion et plus d’investissement ou de business plan mais l’idée c’est toujours de rencontrer des collectionneurs ou des amateurs et de les convaincre de s’intéresser cette fois à de jeunes artistes. La démarche est peu ou prou la même car je reste incapable de vendre quelque chose à quoi je ne crois pas. Aujourd’hui j’ai l’impression d’être plus dans l’univers qui m’était destiné, ce que me confirment d’anciens collègues amis d’enfance quand je les croise ou dîne avec eux.

En quoi la photographie aujourd’hui reflète un paradoxe entre ces artistes non photographes au départ, qui se saisissent de ce medium pour engager une large hybridation des genres et un retour à une vraie matérialité et archéologie des techniques face aux avancées du numérique ?

Tout le monde est devenu photographe avec  le numérique ou même son smartphone. Face à cette facilité, il y a donc un retour aux sources, à l’argentique, comme chez l’un des artistes de la galerie Jonas Unger qui n’utilise que ce medium. Il y a sans doute aussi un retour vers plus de réel, de concret. Micky Clément, autre artiste de la galerie, au départ  musicien, est passé par beaucoup d’autres choses avant de se saisir de la photographie, une période peut être transitoire ou au contraire définitive. Il pratique également la vidéo. Les visiteurs de son exposition ont été très surpris et pensaient avoir en face d’eux de la peinture. Ce qui m’intéresse c’est ambiguïté entre les médiums, pousser leurs limites.

Vous êtes sensible à la scène anglo-saxonne, pourquoi ?

Aujourd’hui le marché est devenu global. C’est pourquoi j’utilise des outils comme Instagram et mes clients sont du monde entier, pour mon bonheur. J’ai bien compris que je devais d’abord faire mes preuves à l’étranger avant d’être reconnu en France. Je viens d’ailleurs d’apprendre que je suis retenu pour la foire outre atlantique NADA. En France, et c’est ce que j’expliquais à mes artistes étrangers, avant de savoir ce que tu fais, on te demande qui tu connais et d’où tu viens, et à l’étranger ce n’est pas comme ça.

Les artistes que vous allez exposer à NADA travaillent justement sur ces nouvelles hybridations de l’image.

Exactement, que ce soit Guy Yanai (récemment exposé à Appartement sous le commissariat de Timothée Chaillou) et John Dante Bianchi (actuellement en solo show à la galerie).

Guy est un peintre qui utilise beaucoup l’image, qu’elle soit emblématique de l’histoire de l’art ou plus populaire (dessins animés, films de la nouvelle Vague), il en prend beaucoup en photo pour les réinterpréter à sa manière. John Dante Bianchi, lui, est un sculpteur au départ passé par des références prestigieuses (Pierson, Cooper et Yale). Il construit des formes qui ont l’aspect d’ un tableau à partir de différents matériaux auxquels il ajoute des couleurs puis les retire, ce qui donne un côté mat qui fait penser à de la photographie ou à de la peinture photographiée. On pense être dans l’abstrait mais le titre de la série « Bruise pannel » veut dire mot pour mot « panneau meurtri » mais aussi hématome, ce qui induit l’idée d’un traumatisme corporel. Intervient alors le titre même de l’exposition « So this is permanent » qui revient à figer dans l’instant l’évolution dans le temps d’un choc corporel, quelque chose d’éphémère. Donc on est à la limite entre la peinture et  la sculpture mais avec un aspect très photographique, entre l’abstrait et le figuratif.

Parlons à présent de la notion omniprésente de la célébrité et l’usage du selfie à travers un autre artiste, Jonas Unger.

C’est un artiste allemand qui travaille au départ également pour le Monde et Zeit magazine et rentre dans l’intimité des célébrités. Il passe beaucoup de temps avec elles, il a une certaine approche et empathie. Il n’utilise que de l’argentique et même de temps en temps un artifice qui est l’autoportrait. Il prête donc son appareil photographique pour que les célébrités se prennent en photo et cassent à ce moment là leur image.

Comment vous projetez-vous dans l’avenir ?

J’aimerais bien grandir tout en restant dans le quartier. J’aime ce compromis entre les galeries historiques du marais et Belleville, être dans cet entre-deux. Un fantasme serait forcément Art Basel !

Comment se porte le marché à Paris avec une situation devenue assez critique pour de nombreuses galeries ?

Nous avons de la chance de ce côté-là mais je pense que mon expérience accélérée de la bulle internet m’a aidé. J’ai vu et compris que l’ADN d’une société qui se construisait en pleine crise et qui avait des réflexes de survie était celle qui durait. C’est dans l’adversité aussi que l’on se construit. En France actuellement il n’y a jamais eu autant d’entrepreneurs et certes il y a des galeries qui malheureusement ferment ou vont fermer mais je continue à y croire et j’ai de bonnes raisons pour cela. Je reste un profond optimiste !

ACTUALITES :
• Fabien Boitard « En attendant les choses graves »
Du 8 avril au 15 mai 2016.
Travail de peintures composées à partir de photographies
• NADA (New Art Dealers Alliance), New York
Galerie Derouillon
Du 5 au 8 mai 2016
38 rue Notre Dame de Nazareth
75003 Paris
France
[email protected]
Mardi au samedi de 14h à 19h et sur rendez-vous
http://www.galeriederouillon.com

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