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Provoke : deuxième partie de l’exposition

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Largement ignorée en son temps, la revue Provoke publiée entre 1968 et 1969 est aujourd’hui reconnue comme un jalon majeur de l’histoire de la photographie. Le collectif, composé de photographes, penseurs et poètes, a polarisé le meilleur de la création photographique japonaise des années 1960, privilégiant dans sa pratique l’image imprimée sous toutes ses formes (presse, livres, revues).

L’exposition au Bal explore le contexte d’apparition de Provoke : la profonde métamorphose de la société japonaise et les multiples fronts de rébellion contre l’État et l’emprise américaine, mais aussi le foisonnement de nouvelles pratiques artistiques privilégiant les actions et performances dans l’espace public. Comment rendre compte de l’effervescence et de la radicalité d’un groupe qui a contesté à la photographie son pouvoir de représentation, dépassé les notions de symbolisme ou d’abstraction visuelle, pour finalement concevoir « la fin du langage photographique » ?

Camus, Michaux, Barthes comme inspirations

Irrigué de nombreuses influences artistiques et littéraires notamment françaises (Albert Camus, Henri Michaux, Roland Barthes, Antonin Artaud, Jean-Luc Godard…), le collectif va ouvrir une brèche poétique et politique dans cette « époque terrible » en donnant forme au contingent, à l’aléatoire, à l’éphémère.

Manifeste à la fois esthétique et théorique, la revue culte japonaise Provoke a opéré une rupture radicale en seulement 3 numéros, publiés en 1968 et 1969. Avec Provoke, les photographes Takuma Nakahira, Yutaka Takanashi et Daidō Moriyama, le critique Kōji Taki  et le poète Takahiko Okada imposent un nouveau langage visuel à même de capter le quotidien vécu par chacun et les paradoxes de la modernité.

Parallèlement à l’essor fulgurant d’une société de consommation sur le modèle occidental et d’une transformation radicale du paysage urbain, le pays traverse pendant dix ans, à partir de 1960, une crise identitaire majeure qui se déploie sur de multiples fronts : bases militaires américaines à Okinawa, occupation des universités par les étudiants, bataille de Sanrizuka contre la construction de l’aéroport de Narita…

Si les membres de Provoke sont engagés sur le plan politique – à l’exception de Moriyama –, tous partagent la conviction que la photographie ne peut rendre compte des contradictions et des errements de l’époque. Pourtant, Provoke s’inspire formellement des stratégies d’auto-représentation des mouvements contestataires : séquences suggestives, cadrages abrupts, rendus flous…

Le mode opératoire et l’esprit de Provoke se nourrissent également de l’émergence de la performance au Japon, notamment des actions dans l’espace public. Ses grandes figures telles que Jirō Takamatsu, Kōji Enokura ou Shūji Terayama contribuent à briser les frontières entre documentation et live action révèlant la force performative du médium photographique. L’exposition explore le contexte d’apparition de Provoke et comment ses créateurs en sont venus à penser « la fin du langage photographique » (Nakahira).

Une durée de vie éphémère

Les 2 numéros de Provoke sont publiés en quelques mois, entre novembre 1968 et août 1969, avec une diffusion confidentielle, quelques milliers d’exemplaires. Inspirés par le livre New York de William Klein (1956) et nourris d’influences littéraires et artistiques notamment françaises (Albert Camus, Henri Michaux, Roland Barthes, Antonin Artaud, Jean-Luc-Godard…),Takuma Nakahira, Yutaka Takanashi, Kōji Taki et Takahiko Okada, conçoivent le premier numéro de Provoke, « Été 1968 » ; Daido Moriyama rejoint le collectif à l’invitation de Nakahira pour le second numéro, « Éros ». Le troisième numéro, Provoke 3 – reproduit en haut des murs du BAL – ne porte sur aucun thème en particulier. Un livre-testament, Pour commencer, abandonnons le monde des pseudo-certitudes paraît peu après la dissolution du groupe en 1970.

La publication de Provoke intervient dans un contexte de désillusion : à la fin d’une décennie de soulèvements contestataires jugés stériles, la photographie militante a vécu et la lutte collective cède la place au corps du photographe seul errant dans l’espace urbain.

Une capture subjective et fragmentée

Pour les membres de Provoke, il s’agit dorénavant d’extraire la photographie de son carcan idéologique, factuel, pour privilégier une capture subjective, fragmentée, explosive de l’expérience du monde. La réalité étant par nature insaisissable dans sa complexité et ses contradictions, la photographie renonce ici à son pouvoir de transcription pour privilégier une esthétique du flottement, de la confusion. Devenir « voyants » pour atteindre « quelque chose qui se situe avant la forme » (Kōji Taki).

S’impose un langage brut, flou et granuleux (are, bureboke) qui repousse la photographie aux confins de la lisibilité. Le flux met à mal la toute-puissance de l’image unique. La juxtaposition, le collage, la répétition contestent l’autorité de la séquence, du récit. Dans le contexte d’une société de consommation fétichiste, où la profusion d’images mediatisées rend virtuelle toute réalité, où l’art lui-même est instrumentalisé, figurer l’impossibilité de représenter, honorer l’absurdité, privilégier le chaos, constitue le seul geste possible.

Provoke rend donc manifestes, sans les résoudre, les liens complexes entre photographie et langage, entre art et résistance.

Provoke, Entre contestation et performance
La photographie au japon 1960-1975
Jusqu’au 11 décembre 2016
Le Bal
6 Impasse de la Défense
75018 Paris
France
 
http://www.le-bal.fr/

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