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Philippe Bréson, Éclaircies passagères

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Dans un monde inondé d’images lisses et glacées, les photographies argentiques de Philippe Bréson vont à contre-courant. Il raye, tache et découpe ses négatifs pour obtenir un rendu unique. Sa démarche est radicale et transgressive et pourtant empreinte d’une forme de classicisme. Il réinterprète à sa façon les grands thèmes de l’art comme le paysage, le corps et la nature morte.

Comment en êtes-vous venu à pratiquer la photographie ?

Philippe Bréson : J’ai été fasciné très jeune par l’immense pouvoir qu’a la photographie d’enregistrer et d’interpréter le monde. Vers 10 ou 11 ans, j’ai commencé à pratiquer la prise de vue et le laboratoire. Les images sont faites pour aller à la rencontre de l’imaginaire du spectateur. Il leur faut une part de mystère, de non-dit, un champ de possibles. Je me suis consacré au photojournalisme pendant une vingtaine d’années. Je connais bien les registres de la photographie documentaire et d’information, mais ce sont les capacités d’interprétation du médium qui motivent mes travaux personnels davantage que ses capacités d’enregistrements.

Pourquoi restez-vous aussi attaché aux techniques argentiques ?

Seule la photographie argentique me permet d’intervenir physiquement sur l’image. J’use le négatif, le patine, le raye. Il m’arrive aussi de le découper et le réassembler. J’aime la dimension irréversible de ce que je fais subir à l’image, la part de risque et de transgression que cette méthode implique. J’utilise aussi des procédés anciens de photographie notamment le tirage à la gomme bichromatée, la cyanotopie ou la prise de vue en sténopé (camera obscura) pour leur versatilité et le dialogue qu’ils entretiennent avec l’Histoire de la photographie. Le procédé de tirage argentique réalisé manuellement délivre des épreuves originales au sein desquelles la main de l’auteur est présente. Chaque épreuve est unique par nature et leur conservation présente beaucoup plus de garanties que les épreuves numériques, pour lesquelles nous n’avons encore que peu de recul. Les algorithmes, l’instantanéité, les capacités vertigineuses de repentir qu’accordent les technologies numériques ne me séduisent pas (encore). La photographie, art d’interprétation, s’accommode mieux pour moi des dispositifs de captations les plus simples, les plus précaires et les plus artisanaux.

Pouvez-vous nous parler de votre procédé d’altération de vos photographies ?

L’altération des images, le travail que j’effectue sur le négatif est une facture à laquelle je suis très attachée bien qu’elle ne soit pas exclusive. C’est une couche d’histoire supplémentaire que j’ajoute aux images. Le négatif, surface sensible s’il en est, est comme la peau. Les cicatrices sont l’histoire de ceux qui les portent. Quand j’étais adolescent, déjà passionné par la photographie, je fréquentais la bibliothèque municipale qui proposait un choix de revues photos que mon argent de poche ne me permettait pas d’acheter. La bibliothécaire avait une manie assez singulière. Elle rhabillait les corps dénudés à coup de tampon. Toute représentation de la moindre nudité se voyait caviardée par des dizaines de coups de tampons rageurs. Elle y mettait une telle énergie, une telle précision, une telle constance que cela confinait au talent. Sans le savoir, elle est à l’origine de mon amour immodéré pour les images maculées et censurées. Plus tard, je retrouverais la même émotion face aux images d’Ernest Joseph Bellocq, toutes ces plaques de verre fendues ou brisées qu’il fit dans les bordels de la Nouvelle-Orléans, où les visages des prostituées sont griffés et raturés ainsi que sur les images de médecine légale du début du siècle, cotées et annotées.
 
Quels sont vos thèmes de prédilections ?

Mon approche n’est pas nostalgique, elle se veut radicale (qui puise à la racine). J’explore les grands thèmes classiques de la photographie : le corps, la nature morte et le paysage. La danse contemporaine, la fréquentation assidue du studio du chorégraphe Dominique Bagouet m’ont orienté vers une conception de l’image du corps qui, sans négliger l’esthétique, recherche d’abord des vérités : celles du geste, de sa place dans le monde, de sa capacité à parler de l’essentiel.
Les natures mortes, qu’elles flirtent avec la vanité ou s’intéressent à des objets plus humbles sont comme des respirations. Il y a dans la pratique de la nature morte une forme de rigueur et d’austérité qui me plait. Dans le paysage, ce n’est pas le lieu qui me motive, mais une histoire, une temporalité. Je photographie depuis 2010 les champs de bataille de la Première Guerre mondiale. Je ne suis pas historien, encore moins géographe. Je frotte mon imaginaire à la Grande histoire. Le protocole est précis : je travaille sur des cartes, des documents d’époque et je me rends sur des lieux documentés, toujours en hiver. Je ne recherche pas de vestiges, je cherche à entendre le langage du paysage, sa relation au temps. De manière plus générale, pour qu’un paysage m’intéresse, il faut qu’il soit porteur d’une histoire réelle ou fantasmée. Le paysage naît d’une rencontre, à un moment donné entre mon imaginaire et un instant. Paradoxalement, le lieu et son identité ne sont pas les composantes les plus importantes.

Quelles sont vos influences ?
 
Pour moi, le dialogue avec l’histoire des arts, la réflexivité pour utiliser un mot savant est indissociable d’une pratique artistique. Mes influences sont nombreuses et variées, elles dépassent le champ de la photographie. Bien sûr, il y a Ralph Gibson, qui très tôt a été une révélation. Son radicalisme et son minimalisme m’ont beaucoup influencé à mes débuts. Encore ado au club photo de ma ville où l’on ne vénérait que les vieux maîtres, un membre m’avait lancé d’un : «  Si c’est ça la photographie, allons-y, faisons n’importe quoi ! » lorsque je lui montrais comment Gibson pouvait photographier de manière bouleversante un coin de plafond blanc. Je citerais également les Primitifs, le cinéma expressionniste, la Nouvelle Vague japonaise. La danse contemporaine aussi, qui est une formidable machine à émotions, tout comme la musique traditionnelle indienne. L’univers de Georges Bataille fut aussi un puissant déclencheur. Beaucoup d’artistes m’inspirent et m’accompagnent comme Sally Mann, Joel-Peter Witkin, les surréalistes et tant d’autres…

 
Philippe Bréson, Éclaircies passagères
Jusqu’au 3 décembre 2016
Galerie ARGENTIC
43 rue Daubenton
75005 Paris
France

http://www.argentic.fr/

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