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Perpignan 2014

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François Pesant aborde un phénomène invisible, un fléau qui laisse des marques essentiellement psychologiques et entache un système : les viols au sein de l’armée américaine. Honte, colère, trahison et courage se mêlent dans un chaos juridique et émotionnel. Faisant des photographies l’instrument d’une narration tendue, il traduit visuellement les sentiments conflictuels des rares victimes ayant osé parler.

Il y a ce portrait serré de Ruth, croulant sous les broches honorifiques, cravatée du bandeau bleu marine et doré des vétérans handicapés, noyée parmi les lignes et les étoiles de l’étendard qui étouffe l’image comme le système qu’elle a su affronter pour redonner du sens à ces symboles. Elle se tient droite, inébranlable et fière d’avoir ouvert un espace d’expression malgré l’omniprésence paralysante de l’autorité. Il y a aussi Shatiima, “perdue dans Central Park” comme dans tout contexte, trahie par ceux qui devaient la protéger, vibrante de fragilité dans le léger flou de l’image. Derrière elle, le soleil irradie la pelouse d’un vert frais foulée par des filles posant comme des poupées dans leur robe à volants roses ou fleuries, leur ombrelle décorative, mâchouillant des sucettes ou riant malicieusement. Pas d’hostilité, à peine une légère absurdité, mais le regard de biais de l’anti-héroïne, au centre de l’image, sombre dans sa tenue kaki, traduit sa méfiance, désormais permanente, à l’égard du monde, aussi inoffensif soit-il.

Le livre s’organise par portraits de victimes, femmes et, de façon moins attendue, hommes, ou de leur famille quand le choc était trop violent pour continuer à vivre. Les images sont accompagnées de longues interviews réalisées par la journaliste Alexandra Geneste, déployant le champ de l’horreur tout en révélant des similarités d’expériences et d’émotions. Ils sont complétés de faits, d’études des dossiers médicaux, de conversations avec les proches et d’extraits de journaux intimes, produisant une étude bouleversante de ce crime trop souvent ignoré.

L’agression transforme certaines victimes en ombre d’elles-mêmes, silhouettes indiscernables condamnées à errer dans un monde froid et menaçant. Elle affecte leur environnement intime, remplissant les guéridons de toilette de médicaments qui dépassent en nombre les parfums, crèmes et autres flacons ; faisant des cigarettes des palliatifs aspirés nerveusement jusqu’au mégot ; transformant les trajets quotidiens en errances émotionnelles. L’esthétique de François Pesant se définit par son rythme, patient et respectueux, attentif aux indices discrets d’un déboussolement moral et d’un drame qu’il refuse de laisser anonyme.

L’ennemi intérieur/The Enemy WithinPhotographies : François Pesant ; texte : Alexandra Geneste
Editions Neus

 

 

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