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Madrid : Gotthard Schuh

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La Fundacion Mapfre présente pour la première fois en Espagne l’œuvre du photographe Gotthard Schuh (Berlin-Schöneberg D, 1897 – KüsnachtZH, 1969). Cette exposition a été organisée en collaboration étroite avec la Fotostiftung Schweiz (Fondation suisse pour la photographie) de Winterthur, d’où proviennent toutes les œuvres présentées. Le Directeur de cette fondation, Peter Pfrunder, en est le commissaire.

L’exposition comprend, outre 93 photographies de Gotthard Schuh datées de 1929 à 1956, une vingtaine de clichés de Robert Frank, Werner Bischof, Jakob Tuggener et René Groebli. Cette juxtaposition permet de situer Schuh aux côtés des photographes suisses les plus importants de son temps — d’ailleurs tous membres du Kollegium Schweizer Photographen (Collège des Photographes Suisses) dans les années cinquante.

Gotthard Schuh (1897-1969) est l’un des photographes suisses les plus importants du XXe siècle. En 1930, il interrompt une prometteuse carrière de peintre pour se consacrer corps et âme à la profession de photographe. Schuh participe avec enthousiasme à la révolution esthétique qui bouleverse le monde de la photo à la fin des années 20 en postulant une « nouvelle photographie ». Le photojournalisme, également en plein essor, lui donne l’occasion de mettre en pratique ses idées plastiques. En Suisse, c’est le magazine Zürcher Illustrierte qui marque alors le tempo dans ce domaine. Son rédacteur en chef, Arnold Kübler, s’entoure des photographes les plus talentueux du pays pour redéfinir le reportage graphique en tant que forme narrative. À partir de 1932, Gotthard Schuh devient l’un de ses collaborateurs attitrés.

Parallèlement à son activité de reporter, Gotthard Schuh s’attache à fuir la réalité quotidienne. Durant ses divers séjours à Paris au début des années 30, il franchit les frontières du formalisme rigide de la «nouvelle photographie» pour développer un style que l’on pourrait qualifier de « réalisme poétique ». L’expressivité émotionnelle, la densité des atmosphères et la sensibilité psychologique deviendront les grands axes de sa photographie. Schuh photographie des scènes nocturnes, se plonge dans l’univers féminin et se livre à un érotisme vibrant. Il fera des rapports humains son thème par excellence ; l’univers de ses images est marqué par la prédominance des femmes, bien évidemment, mais aussi par la présence de couples et de groupes de personnes, qui rendent son œuvre remarquablement vivante.

En 1930, lorsque Gotthard Schuh fait ses débuts dans le métier, il se laisse porter par les vents d’innovation qui soufflent sur la «nouvelle photographie»: ses premiers travaux regorgent d’effets optiques et la rigueur de l’esthétique y joue un rôle important. Toutefois, Schuh ne se limite pas à saisir des perspectives peu habituelles ou à la représentation détaillée du superficiel : il se montre surtout attentif aux sensations du quotidien, à ces scènes apparemment peu spectaculaires mais empreintes de mystère et chargées d’une forte tension, comme les premiers mots d’un roman.

Pendant ses séjours à Paris, dans les années 30, Schuh puise son inspiration dans la joie de vivre qui anime cette ville frénétique. C’est à cette époque qu’il commence à centrer sa photographie sur les personnes. Les atmosphères et l’expressivité lyrique deviennent les grands axes de son travail. Femmes, couples et scènes de rue sont dès lors ses thèmes de prédilection. Schuh se laisse toujours entraîner par l’érotisme. Il porte un regard très particulier sur les atmosphères changeantes de la ville au quotidien. C’est aussi l’époque où il explore Zurich, où il vit et travaille la plupart du temps. En 1935, c’est d’ailleurs à cette ville qu’il consacre son premier recueil de photographies, Zürich, qui va bien plus loin qu’un simple portrait touristique ou documentaire.

L’œuvre de Schuh dans les années 30 est aussi nettement marquée par son travail de reporter photographe. Il réalise pour le magazine Zürcher Illustrierte (ZI) des reportages photographiques dans toute l’Europe ; il couvre notamment des événements sociaux, culturels, sportifs ou politiques, par exemple la prise du pouvoir à Berlin par les nazis. En 1941, Schuh abandonne la vie trépidante de reporter indépendant pour devenir le premier rédacteur photographique du Neue Zürcher Zeitung.

En mars 1938, Gotthard Schuh part à Singapour, Java, Sumatra et Bali pour un voyage de onze mois. À son retour, en 1941, il publie son ouvrage Inseln der Götter [Îles des Dieux]. Pouvant être lu de prime abord comme un vaste reportage documentaire, il s’affirme, quand on s’y attarde, comme un récit de voyage subjectif, un assemblage réussi de constat, d’observation intime, de faits, de fantaisies… Gotthard Schuh présente ses « Îles des Dieux » en trois grands chapitres ; il y rend hommage aussi bien à la nature et au paysage qu’à la population et à la culture locales, au travail, à la vie quotidienne, aux fêtes et aux rituels religieux. Les textes accompagnant les tirages dans le livre de Schuh, détaillés et très personnels, laissent entendre que l’auteur, grâce à ses clichés clairs et sensuels, a su créer un monde opposé à une crise existentielle personelle et qu’il a entrepris de lutter contre ses propres démons.
Îles des Dieux est l’un des ouvrages les plus célèbres et appréciés de l’histoire de la photographie suisse, ce qui est d’autant plus remarquable qu’il fut publié à une époque difficile, en pleine Deuxième Guerre mondiale. En effet, tandis que la création culturelle suisse se centre de plus en plus sur la mère patrie à partir du milieu des années 30, Schuh se consacre dans cet ouvrage à un paradis apparemment intact, situé à l’autre bout du monde. Les clichés de Schuh se révèlent riches de sens, notamment par leur contenu poétique et métaphorique plus que pour leur contexte historique, géographique ou ethnologique. Ils sont devenus des symboles de la recherché de la beauté et de la quête d’harmonie intérieure.

En qualité de rédacteur photographique du Neue Zürcher Zeitung, Gotthard Schuh est l’un des cofondateurs d’un supplément du journal sous forme de magazine, dont il fera dans les années 50 un prestigieux forum de photographie.

Il publie des reportages de jeunes collègues et de photographes de renommée internationale dans Das Wochenende, ainsi que ses propres travaux photographiques sous forme de livres : Italien [Italie] en 1953, Tessin [Tessin] en 1961 ou encore Tage in Venedig [Venise], en 1964. La publication la plus importante de cette époque demeure son Begegnungen [Instants donnés, Instants volés] : Schuh y rassemble, en 1956, différentes photographies, anciennes et récentes, pour réaliser une composition libre donnant lieu à une œuvre nouvelle et essentielle. Toutes les épreuves ont en commun le theme de la réunion : tantôt l’homme et la femme se cherchant mutuellement (ou se séparant), tantôt certaines rencontres du photographe avec des personnes, des paysages, des objets…
Avec l’approche subjective qui caractérise la narration de ses rencontres, Schuh acquiert le statut de référence majeure pour les jeunes photographes suisses. Robert Frank, qui reconnaît en lui son mentor, se déclare impressionné par son mode d’expression, aussi émouvant qu’engagé dans la vérité intérieure. À partir de 1952, une amitié fondée sur un profond respect mutuel liera les deux photographes. En 1958, lorsque Frank publie son livre Les Américains — autre grand jalon de l’époque —, Schuh comprend immédiatement que son ami a créé quelque chose d’absolument novateur. La sincérité sans fard de la photographie de Frank le bouleverse. Les liens entre les œuvres de Robert Frank et de Gotthard Schuh resident avant tout dans leurs aspects mélancoliques respectifs.

En 1950, Gotthard Schuh fonde, avec les photographes Werner Bischof, Paul Senn, Jakob Tuggener et Walter Läubli, l’association Kollegium Schweizerischer Photographen. Doté d’une organisation assez souple, le Kollegium rassemble d’éminents photographes en vue de diffuser une photographie d’auteur, résolument artistique. Ses membres se réunissent régulièrement à l’occasion de sessions qui s’achèvent par un repas en commun et des échanges d’idées. Lors de deux expositions à la Helmhaus de Zurich (en 1951 et en 1955), les membres du Kollegium présentèrent leurs idées sur la qualité en matière de photographie : ils accordent une grande valeur à l’expression individuelle et subjective, ainsi qu’aux photographies affichant une certaine intensité, même si elles n’ont pas de finalité concrète. Comme l’écrit Gotthard Schuh, « Presque tous les clichés ont vu le jour en réponse à une finalité, ils avaient une mission à accomplir, ils devaient communiquer telle ou telle chose, pour illustrer un reportage ou en tant que photographies individuelles ; ils servaient presque tous à souligner visuellement un texte. Pourquoi ne pas réunir au sein d’une même exposition ces photographies désormais délivrées de leur but d’origine ? Car une photographie traduisant une expression intense, perçue correctement d’un point de vue formel comme sensoriel, tendue sur elle-même, a sa propre vie ». Pour la seconde exposition, « La photographie en tant qu’expression », le groupe élitiste du Kollegium s’enrichit d’une sélection de jeunes photographes, dont Robert Frank et René Groebli. Les épreuves exposées par le Kollegium attirent l’attention par leur sensualité marquée, autant que par l’abondance de tonalités sombres et mélancoliques. Avec des œuvres comme « Funérailles à Barcelone » (1951) ou « Valence » (1950), Robert Frank est sans doute celui qui ira le plus loin dans la représentation de cette tristesse existentielle — qui accompagnera également ses créations les plus tardives. Toutefois, malgré son succès auprès du public, le Kollegium devra se dissoudre en 1956, en raison de différends entre ses membres.

Gotthard Schuh
Jusqu’au 19 février 2012

Fundacion Mapfre
Sala AZCA Avenida General Perón, no 40
Madrid

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