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Ljubljana : James Nachtwey au Slovenia Press Photo

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Le moment marquant de la sixième édition du Slovenia Press Photo 2015 (SPP) a été le travail et la vie du photographe de guerre James Nachtwey Un projet initié par le directeur du festival SPPP Matej Leskovsek qui a finalement vu le jour dans la ville de Ljubljana en juin. L’exposition comprenant 120 photos a été accompagnée d’une conférence incroyablement forte et émouvante. Il est rare d’entendre de telles idées généreuses de la part d’un photographe. Le silence à la fin de la conférence de Mr Nachtwey était évocateur et humble, un hommage profondément respectueux au photojournaliste américain. « L’un des plus grands symboles qui persiste aujourd’hui dans le monde de la photographie et du photojournalisme, » déclare Alain Mingam, qui a travaillé en étroite collaboration avec Mr Nachtwey pendant une décennie, « la grande force de James Nachtwey repose dans son cadrage, les profondes convictions mises en avant dans ses images… »

En contraste avec sa propre voix douce et mesurée, les photographies de Mr Nachtwey hurlent, capturant la détresse des humains des quatre coins du monde avec un langage visuel unique rempli de tendresse et d’espoir. Mr Nachtwey se détache, tente d’être un messager, d’être le plus distant possible, même avec les spéculations humaines persistantes sur le fait d’être un photographe de guerre. Lorsque l’on demande s’il a perdu sa foi en l’humanité après avoir vue tant d’atrocités, il répond que « nous nous avons juste les uns les autres. Si nous perdons la foi les uns dans les autres il ne nous reste plus rien. »

Alain Mingam a une manière belle et attachante de représenter Mr Nachtwey. Attaché émotionnellement et touché par les photographies, lorsqu’on lui demande ce que c’est de travailler avec James Nachtwey, Mr Mingam décrit le photojournaliste comme un perfectionniste, comme un artiste, chaque détail étant pensé.

On a demandé à Alain Mingam de choisir et commenter deux images :

Une femme pleurant sur la pierre tombale d’un membre de sa famille à Kaboul.

Cette image fonctionne comme un double symbole, une image forte décrivant la solidarité dans les familles, de même que les effets économiques dévastateurs de la perte d’un membre mâle de la famille, surtout en Afghanistan. La terrible solitude des femmes, amplifiée par la burqa obligatoire qu’elle porte, emprisonnant symboliquement sa féminité dans les plis de son tissu.

Un homme Hutu dans un hôpital de la Croix Rouge, le visage mutilé par la malice ‘Interahamwe’ qui le suspectait de sympathiser avec les rebelles Tutsis.1994, Rwanda.

Gagnante du World Press Photo Award pour la Photo de l’Année, cette image appelle à une extrême vigilance sur la manière dont nous lisons les images. Le portrait montre un homme avec une grande cicatrice sur tout le visage, facilement pris pour une victime Tutsi de la vengeance Hutu au Rwanda. Cependant, en lisant la légende de la photographie, on apprend une histoire incroyable ; cet homme est un courageux Hutu qui s’est dressé contre la violence de sa tribu. Une image forte avec une grande composition qui fait écho au Cri D’Edward Munch. Cette photo souligne la double vigilance dans le journalisme, où les images doivent toujours être accompagnées d’un texte.

Interview – Maral Deghati/James Nachtwey – 27 juin 2015

Est-ce votre première fois dans les Balkans depuis que vous avez couvert les conflits ?
Etait-ce comme être là en temps de paix ?

C’est la première fois que je reviens dans région depuis les guerres et être là dans le contexte de la culture et de la paix est une révélation. Les guerres dans les Balkans ont été intensément brutales, barbares et profondément tragiques. L’art et la culture sont les opposés de la guerre. Ils sont créatifs, pas destructifs, ils affirment la vie au lieu de la nier ; ils génèrent de la lumière, pas de l’obscurité. Voir une telle énergie positive, si magnifiquement exprimée, adoptée par toute une communauté, est une grande expérience.

Atteindre un vaste public à travers les mass media est important pour vous, pouvez-vous me parler de l’approche de l’exposition de la galerie ?

Lorsque des images touchent un public de masse au moment où les événements ont lieu, elles aident les gens à s’identifier à ce qui se passe à un niveau humain, au-delà de l’idéologie, de la rhétorique politique et des statistiques. Les images rendent les preneurs de décision responsables des conséquences de leurs politiques. Ce sont des moyens par lesquels les gens perçoivent des perspectives et créent des opinions, des circonscriptions ponctuelles sont créées et elles commencent à exercer une certaine pression politique. Donc, le support principal pour mes photos est la communication de masse, où les images sont vues dans un contexte d’actualités, côte à côte avec le travail des reporters, expliquant les circonstances et les complexités de l’histoire et offrant des références historiques.

Une exposition dans une galerie ou un musée est une sorte différente de dialogue. Les images sont prises hors du contexte des mass media. Au lieu d’être vues comme « de l’actualité », elles peuvent être contemplées comme ayant un sens plus universel, plus intemporel. Une exposition dans un musée peut également servir de mémorial.

Avez-vous un agent ? Un éditeur photo ? Avec qui/comment travaillez-vous ?

Depuis 1980, lorsque je suis devenu freelance, j’ai été associé à trois agences de photographie, d’abord Black Star, à l’époque gérée par un homme merveilleux du nom de Howard Chapnick. Il a été un véritable mentor et il m’a fait débuter. De 1986 à 2000 j’ai été membre de Magnum et en 2001 je suis devenu co-fondateur de VII. Pendant ces dernières années, j’ai travaillé entièrement seul, sans agent, ce qui me convient mieux.

Pendant les 31 dernières années, j’ai eu la chance d’être une photographe indépendant pour le TIME Magazine, où j’ai travaillé en étroite collaboration avec un certain nombre d’éditeurs photo, tous brillants à leur manière. Arnold Drapkin m’a d’abord introduit au TIME en 1984. C’était un rédacteur en chef dynamique travaillant en roue libre lorsque le TIME était à son apogée. Il m’a laissé faire. J’ai décollé et je n’ai jamais regardé en arrière. Il a été suivi de Michele Stephenson, qui est non seulement devenu un mentor, mais aussi une sorte d’ange gardien. Elle croyait véritablement en moi et me donnait le feu vert même lorsqu’elle avait des doutes. Le noyau du travail de ma vie a été produit lorsque Michele était aux commandes. Au cours des dernières années, j’ai travaillé avec Kira Pollack, qui a effectué un travail miraculeux en rendant un magazine avec moins de pages – réduisant les budgets et les équipes – plus beau qu’il ne l’a jamais été. Ses goûts sont impeccables. C’est un génie dans ce qu’elle fait. Ce qu’ils ont tous en commun c’est une manière de diriger qui inspire. Ils ont la capacité innée de faire ressortir le meilleur de ceux avec lesquels ils travaillent. Lorsqu’un photographe est sur le terrain, souvent dans un environnement difficile, hostile et lointain, savoir que nous avons le soutien et les encouragements de rédacteurs en chefs en qui nous avons confiance et que nous admirons est incroyablement important.

Vous avez publié récemment des images auparavant non publiées de vos archives du 11 septembre. Qu’est-ce qui vous a fait faire une telle chose ?

J’ai passé toute la journée en plein milieu du chaos et j’ai à peine réussi à survivre. Cette nuit-là, je me suis rendu au bureau du TIME, j’ai déposé la pellicule et, après la révision initiale pour un numéro spécial du magazine, je le l’ai plus jamais regardé. Mon cœur avait été brisé. J’avais vécu de nombreuses situations qui avaient été autant, voire plus, dangereuses. J’avais été témoin de nombreux événements tragiques, qui avaient également brisé mon cœur. Mais ce qui est arrivé dans ma propre ville, si brusquement, était une catastrophe d’une force si agressive, à une échelle si monumentale et avec des conséquences si dévastatrices qu’il était difficile de comprendre ce que je venais de voir de mes propres yeux, et j’ai compris que les monde que j’avais connu avait changé pour toujours.

Dix années se sont écoulées et les feuilles de contact sont restées dans une boite. A l’approche du dixième anniversaire, Kira et moi nous sommes réunis pour discute ce qui pourrait être fait avec les images. Elle m’a demandé de revenir dessus et d’en choisir certaines qui n’avaient jamais été vues. Mais je n’avais toujours pas le cœur d’ouvrir la boite. Alors j’ai demandé à Kira de le faire et je lui ai demandé d’effectuer les révisions. Elle a appelé le matin suivant et elle m’a dit de passer au bureau y jeter un œil.

Les problèmes/questions autours des archives deviennent plus évidents, comment gérez-vous les vôtres ?

En ce moment, ma carrière est également divisée entre la pellicule et le digital. Avec la pellicule, on doit gérer la matière physique des négatifs et des transparences. Très tôt, j’ai compris l’importance de maintenir mon travail d’une manière bien organisée et archivée. Après de mauvaises expériences, j’ai réalisé que la responsabilité était trop importante pour la déléguer à une agence, alors je m’en suis occupé moi-même. Avec la photographie digitale, le défi consiste en la gestion des fichiers et le backup. Comme la plupart des choses dans le monde digital, ça a l’air facile, mais cela peut devenir très compliqué et il est facile de commettre des erreurs.

Les photographes rendent compte de l’histoire, et il est crucial que les images soient préservées pour l’enseignement, pour la recherche concernant les événements contemporains, de même que pour les références historiques et l’érudition.

Etait-ce comme photographier une situation de confit dans votre pays ?

J’ai travaillé dans des situations violentes, chaotiques et mettant ma vie en danger pendant 20 ans, je savais donc à quoi m’en tenir. La douleur que j’ai ressentie pour ceux qui sont morts n’était pas très différente de la douleur que j’avais ressentie à d’autres endroits dans le monde, et j’ai reconnu que mes sentiments pour les gens ne sont pas déterminés par la nationalité. J’ai toujours ressenti une colère intense envers les injustices que j’ai vues. Mon travail a été alimenté aussi bien par la compassion que par la rage. Mais voir ma société, mon foyer, ce que je pensais être mon refuge, si vicieusement attaqués à une telle échelle a aiguisé ma colère.

Vos images ont changé la manière dont toute une génération de photographes couvre la guerre, voyez-vous ça ?

Pour être honnête, je n’en suis pas conscient. Tout c que je peux dire c’est que j’ai été inspiré et mis au défi par le travail de mes camarades tout au long de ma carrière, et je continue à l’être. C’est une communauté incroyable de gens et être associé à mes collègues et l’une des choses qui me font avancer.

«  Une histoire importante doit être racontée… » votre souhait TED s’est-il réalisé

Pour TED j’ai choisi de créer une campagne de prise de conscience sur la tuberculose, en mettant l’accent sur la MDR et la DDR-TB, deux mutations assez récentes du virus qui posent une menace sérieuse, en particulier dans le monde en développement. La tuberculose est l’une des maladies infectieuses les plus répandues sur la planète, mais elle n’a cependant pas été sur les écrans radar de la conscience publique. L’idée était que le financement du traitement, l’équipement, la formation pour la recherche et le développement ont lieu plus facilement lorsqu’un problème est largement connu. Le réseau TED a dévoilé le projet mondialement, en un jour unique, plaçant des images sur un panneau publicitaire géants dans des lieux publics, créant des expositions de type guérilla, ouvrant un site web, aidant à faire publier les images dans la presse conventionnelle, y compris un encart dans le TIME, entre autres. BD, le fabricant d’équipement médical, nous rejoint et a tenu des expositions et des présentations dans plusieurs endroits dans le monde, y compris le Capitol Building à Washington. Une réunion avec les membres du Congrès, avec des experts en santé notoires, a été arrangée. Je ne sais pas si les résultats de la campagne ont été quantifiés. J’ai entendu dire directement par un lobbyiste pour les pauvres, qui avait été à la réunion du Congrès, que la présentation avait été très efficace. D’autres membres de la communauté de la tuberculose m’ont dit que la campagne avait aidé. Dans quelle mesure et de quelles manière spécifiques, je n’en suis pas sûr. Le fait est que je n’ai jamais l’impression d’en avoir fait assez. Il semble toujours que je pourrais en faire plus. Je pense toujours que je peux faire mieux. J’essaie.

Vous avez dit : «  difficile de quantifier l’impact des images, » cependant aujourd’hui avec les médias digitaux il est possible de quantifier et calculer l’impact qu’a le photojournalisme sur une situation donnée, mais ne pensez-vous pas que cela a rendu les spectateurs plus passifs en réaction (l’activisme virtuel n’a pas d’impact ?)

Telle est la question. Ce qui peut maintenant être quantifié est le nombre de gens qui regardent une image ou un reportage. Ce qui est beaucoup plus difficile à quantifier est le sens du chiffre. Un chiffre en soi peut ne pas vouloir dire grand-chose. Regarder les « j’aime » peut être superficiel. Ou cela peut refléter un lien plus profond avec le sujet des photographies. C’est difficile à dire. Cependant, si quelqu’un prend le temps d’écrire un commentaire, la réaction aura été articulée à un certain degré. Ce qui pourrait devenir efficace en termes de créations de circonscriptions qui influencent le changement, serait le fait que les gens expriment leur opinion, pas sur la photographie (ou pas seulement sur la photographie) mais sur le sujet. D’une certaine manière, internet peur devenir une sorte de campagne de rédaction de lettres instantanée. Les leaders politiques et les décisionnaires prennent note de telles choses et ils sentent la pression. Il serait bien que quelqu’un comprenant internet développe une manière d’organiser les présentations de photographie en ligne pour qu’elles aient un effet. Cela ne semble pas si difficile.

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