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Lise Sarfati, Elizabeth Avedon

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Née en France, Lise Sarfati vit et travaille aux Etats-Unis depuis 2003. Elle a réalisé 6 séries majeures: The New Life (2003), Austin, Texas (2008), She (2005-2009), Immaculate (2006-2007), Sloane (2009), et On Hollywood (2010). Sa série She sera prochainement exposée à Londres et Los Angeles, avec une monographie publiée chez Twin Palms au Printemps 2012.

Voici l’interview de Lise Sarfati par Elizabeth Avedon:

ENFANCE

A quel âge avez-vous réalisé vos premières photographies et quelles ont été vos premières influences ?

Lorsque j’avais 13 ans, ma mère visitait de très vieilles dames dans des appartements niçois et elle m’amenait avec elle. La vision de ces femmes m’angoissait : aussi je décidais de transformer ces visites en un jeu. J’empruntais le 6X6 de ma soeur et je me suis organisée : je faisais un portrait de la vieille dame, ensuite je m’occupais de photographier l’appartement pendant que ma mère discutait avec elle. Finalement, j’avais une approche sérielle et conceptuelle. La photographie me permettait de créer une image fixe qui me détachait du réel et qui me permettait d’entretenir un autre rapport au monde. Quelquefois, une des vieilles dames mourait …Il arrivait que ma mère revienne dans l’appartement pour une raison obscure car elle en possédait une clef. Je l’accompagnais avec mon appareil photo et photographiais les pièces vides…

Mon deuxième sujet fut la Promenade des Anglais à Nice, un travail beaucoup plus linéaire en suivant la promenade.

Mon père faisait des films super 8 kodachrome que j’adorais. Je me souviens avoir été très sensible à l’émotion provoquée par les couleurs et aux plans séquences…
Ma mère était professeur de littérature, son activité principale était l’écriture et la critique littéraire. A 15 ans, ma mère m’a offert la monographie de Diane Arbus aux éditions du Chêne.

Nous vivions sur des ruines romaines. La végétation du jardin, la lumière de Nice très crue, la vision de ce mélange de beauté baroque et de décomposition des individus, je ne sais pas si la chimie entre le décor, les vieux, les adolescents et la frontière avec l’Italie n’était pas une sorte d’explosif…

La photographie n’existait pas vraiment à cette époque. On pouvait juste tomber sur des livres en noir et blanc édités par Robert Delpire ou les éditions du Chêne comme Stieglitz, Robert Frank, Cartier Bresson…L’époque n’était pas au déferlement quotidien des photographies et des livres, la photographie se révèlait comme une exception, un mystère.

<strongEARLY WORK

Votre travail a une qualité cinématographique par moments. Où avez-vous étudiez et comment a débuté votre carrière artistique ?

J’ai fait une maîtrise de russe à la Sorbonne à Paris. J’ai appris la photographie seule avec des livres et aussi par ma pratique professionelle à l’Académie des Beaux-Arts. J’ai étudié le cinéma seule, si on peut appeler cela étudier en allant voir des films comme ceux de Dziga Vertov, Jean Eustache , Robert Bresson ,Pier Paolo Pasolini, Alain Resnais. J’ai passé un an à Aix en Provence et j’ai travaillé dans une galerie qui ne montrait que de la photographie. Ensuite, j’ai été engagée par l’Académie des Beaux-Arts à Paris (Institut de France), je faisais toutes les photographies des catalogues d’exposition. Je reproduisais des toiles de maîtres comme Monet, Dali et d’autres…

Je parlais russe. Je voulais vivre les bouleversements du pays .Je me suis installée en Russie dans les années 90. J’étais fascinée par la Russie et les périodes révolutionnaires plus particulièrement les années 20, celle de l’avant-garde et de son histoire.

Mon premier show fut au Centre National de la Photographie à Paris et au Musée Nicéphore Niepce à Châlon sur Saône (France).

J’ai obtenu avec mon travail russe le prix de la Villa Medicis et le Prix Niepce. Le Prix Niepce était accompagné d’une exposition au Centre national de la photographie à Paris, l’équivalent du Jeu de Paume à présent. Mais l’élément déclencheur fut The New Life en 2003.

Je me suis installée aux Etats-Unis pour créer The New Life en 2003. J’étais heureuse d’être un étranger et de savourer cet état.Ma première Galerie fut Yossi Milo Gallery (à New York) et Rose Gallery(Los Angeles) où j’ai exposé The New Life.

SHE

Quelles étaient vos intentions en réalisant la série SHE ?

Banalité et singularité. Universalité. Anti-héroïnes. Projections et Situations.

Dans mes dernières séries en Russie, je commençais à composer des narrations avec des personnages adolescents et je travaillais déjà sur l’espace. J’ai appris en Russie le rapport à l’espace qui est très fort car l’homme est dominé par la nature. Il est insignifiant. Puis ma série The New Life et She ont renforcé cette approche. Pour moi, l’adolescent de The New Life ou les soeurs de She sont des êtres souterrains, des taupes par lesquels la narration existe au même titre qu’un roman.

Les femmes de She ont une relation évaporée à leur milieu, leur maison, leurs rues, leurs paysages…Elles sont enfermées dans un comportement névrotique où il est difficile d’entrevoir le monde extérieur.

Mon intention était de montrer un peu la futilité de notre quotidien, la simplicité des situations et de nos gestes dans notre environnement et d’opposer à cette simplicité un autre champs: celui de l’intériorité, de l’émotion, de la relation psychologique…
Je voulais recevoir leurs émotions et les mêler aux miennes. J’avais aussi des éléments autobiographiques qui me permettaient de me situer émotionnellement, j’ai trois soeurs.

Mon point de vue n’était pas généraliste, je voulais être enfermée dans une histoire très particulière entre 4 femmes de la même famille. Cette histoire devait avoir une portée générationnelle.

Si The New Life retrace le sentiment d’adolescence et cette attirance pour le vide …She parle d’un sentiment d’identité, d’un miroir…
Dans The New life, les personnages se répondaient pour ne faire qu’un. Ils dégageaient une mélancolie profonde… Dans She, Christine et Gina sont plus âgées, elles ont environ 40 ans alors que les plus jeunes, Sloane et Sasha ont 20 ans. Ce sont toutes des soeurs.

Christine, la mère est le pivot de cette construction, la seule femme qui essaie d’assouvir ses rêves. D’abord mariée à un témoin de Jehova en Arizona ,elle quitte son mari et ses deux filles pour vivre une vie de liberté sexuelle et devient dominatrice sur la côte Ouest. Puis elle se projette dans un nouveau rêve : celui de devenir une rock star.

Gina cultive une ambiguïté sexuelle masculin/féminin et porte une perruque noire pour ressembler à sa sœur, Sloane, la fille de Christine change d’apparence constamment et passe d’une perruque blonde à des cheveux décolorés. Elle est nanny depuis deux ans. Sasha, la soeur de Sloane, est perpétuellement déprimée, retranchée dans son cocon est encline à la mélancolie.

Je n’ai pas eu envie de connaître ces détails biographiques lorque j’ai decidé de faire cette série. Ce qui m’intéressait, c’était de mêler deux approches : celle de la banalité et celle de la singularité .

L’ image classique de la mère est qu’elle se noie dans l’amour pour son enfant. Or dans She, la mère, la fille et la soeur peuvent être rivales ou ennemies ou tout simplement concurrentes ou indifférentes.

Nous sommes dans une petite ville de province aux Etats-Unis, le downtown d’Oakland avec des maisons victoriennes sublimes du ghetto et les cheminées magnifiques des salles à manger….

Les soeurs ne se laissaient pas trop faire, ce qui les rendaient vivantes et attirantes.

Les photographies et les objets présents dans la pièce sont particulièrement intéressants.

L’environnement est un élément très important. Christine est photographiée à Oakland dans le ghetto dans une maison qu’elle partage comme roommate. On retrouve Sloane dans le ghetto d’Oakland dans la maison d’un ami de sa mère. Toutes ces maisons se ressemblent avec leurs fenêtres en bois et leurs cheminées. Ce sont les intérieurs des peintures de Hooper. On voit Gina sortant d’une épicerie, ce sont des environnements liés aux années 70. Les seules images de projection qui sortent de la banalité sont les images de Christine dans le désert.

Comment envisagez-vous l’usage de la couleur dans votre travail ?

J’ai le sens inné de la couleur, je ne me pose même pas de questions. Je pense que la couleur donne un sens à mon travail. C’est la couleur qui donne un équilibre ou un déséquilibre à l’image ou un mood si l’image est monochrome.

J’ai travaillé avec un film qui n’existe plus, le kodachrome 64, premier film utilisé pour les films d’Hollywood des années 40. Toutes les photographies ont été réalisées en lumière naturelle sans aucun apport extérieur.

LIVRES

Comment avez-vous rencontré l’éditeur de Twin Palms Jack Woody ?

J’ai rencontré Jack par l’intermédiaire de David Stretell qui lui a montré ma série. The New Life que Twin Palms a publié en 2005. Jack est un personnage complexe et mystérieux. Je suis très admirative de son oeuvre, de ses publications et de tout ce qu’il a initié. Roni Horn, Philip Lorca Di Corcia, Eggleston, Mappelthorpe, Jean Luc Mylyane, récemment Ryan Mc Ginley et Antonio Lopez. Il a construit sa collection en mélangeant artistes connus et inconnus au gré de sa liberté et de ses convictions. C’est une oeuvre d’art en soi, comme une collection privée. Jack aime lier les livres qu’il publie à sa vie et à ses aspirations. Et en connaissant ses Iivres, on se balade d’un sentiment de totale liberté à un sentiment de permanente immaturité, de mélancolie, d’une sexualité toujours affirmée mélee d’obssessions sur la mort.

Quelle ont été vos impressions, en travaillant sur ces livres ?

J’ai réalisé The New Life avec Twin Palms et le livre est sorti très vite. J’ai eu de la chance. Tout s’est enchainé. Nous avons fait tout le livre en 4 mois. Pour She, c’est un peu plus long, mais il devrait être prêt en Mai 2012. Un livre, on ne se rend pas compte, mais c’est une véritable machine de guerre.

Parlez-moi de votre rétrospective à venir à la Bibliothèque Nationale, à Paris, en 2014.

La commissaire est Anne Biroleau. L’exposition sera centrée sur mon travail récent réalisé aux Etats-Unis. Ce sera une exposition importante avec plusieurs séries. Difficile de dire comment cela est arrive, j’ai toujours montré régulièrement mon travail à Anne Biroleau qui a bien voulu entrer dans mon univers et s’ouvrir à mon travail. Je suis aussi très admirative de son travail de conservatrice.

Expositions

She Photographies de Lise Sarfati
Brancolini Grimaldi, London
Jusqu’au 17 mars 2012

She Photographies de Lise Sarfati
Rose Gallery, Los Angeles
Du 31 mars au mois de mai 2012

Publication

She Lise Sarfati, Texte Quentin Bajac Twin Palms Publisher Spring 2012

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