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L’invention de la montagne par la photographie

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Qui a inventé le paysage de montagne ? La littérature romantique, si fascinée par le sublime ? La peinture ? L’estampe ? Non : il revient à la photographie d’avoir popularisé le thème à la fin du XIXe siècle, alors le tourisme et l’alpinisme prenaient leur essor. Rien de telle qu’une image reproductible à l’infini pour vendre l’un des plus beaux spectacles naturels.

C’est en tout cas le postulat de Sans limites, Photographies de montagne au Musée de l’Elysée de Lausanne, en Suisse. Il s’agit de la dernière exposition du conservateur en chef Daniel Girardin, qui part à la retraite après trois décennies passées dans l’institution suisse. Comme son propos, Daniel Girardin a fait les choses en grand. Sa démonstration se gravit en 300 photographies, sur trois étages, souvent au format monumental. La plupart des tirages proviennent des collections du musée. On y trouve les œuvres anciennes de Francis Frith, Adolphe Braun, Jules Beck, William Donkin, Emile Gos, des Tairraz et d’un Boissonnas, ainsi que de René Burri.

Des montagnes, encore des montagnes. A première vue, l’exposition ne brille pas par sa diversité. Elle se révèle en réalité intéressante par son attention aux intentions et stratégies visuelles des photographes, présents sur les cimes enneigées peu après la naissance de la technique. Quitte à trimbaler 250 kilos de matériel, dont un laboratoire ambulant, comme le faisait Auguste Rosalie Bisson dans les années 1860.

L’époque est à la photographie touristique, réponse opportune à la démocratisation du voyage et à la découverte facilitée des Alpes. Les paysages grandioses de Suisse et de Savoie sont bientôt équipés de routes, de chemins de fer, d’hôtels. La photographie est le médium de la promotion de ces échappées belles. Elle est aussi scientifique, détaillant la géologie et formations glaciaires des lieux escarpés. Elle est vite d’alpinisme, montrant avec orgueil ce qui était autrefois inaccessible. Elle est encore artistique lorsque naît le pictorialisme ou la Nouvelle Photographie.

A cet égard, celui de l’art, l’exposition boucle sa boucle en montrant les tirages numériques géants d’auteurs contemporains (Matthieu Gafsou, Jacques Pugin, Thomas Bouvier ou Maurice Schobinger). Des formats monumentaux qui répondent aux grandes plaques de verre des premiers photographes de montagne. Dont l’ambition était, elle aussi, de suggérer le hiératisme de leurs sujets.

L’exposition est en elle-même une petite histoire de la photographie. Elle détaille les techniques utilisées là-haut sur la montagne, du daguerréotype au collodion humide, de la stéréoscopie au panoramique, de l’argentique au numérique. Elle est si attentive aux points de vue qu’elle divise son parcours selon les choix de la verticalité, de l’horizontalité, de la vue aérienne, de la prise de vue à distance. Elle distingue aussi bien les cônes que les icônes, à commencer par le Cervin ou le Mont-Blanc.

Sans limites aurait certes pu accorder encore plus d’attention au constat de la nouvelle fragilité de la montagne, thermomètre du réchauffement climatique. Mais son sérieux historique, et esthétique, plaide si bien en sa faveur qu’on s’en voudrait de renoncer à l’ascension.

Luc Debraine

Luc Debraine est journaliste culture et société au magazine suisse l’Hebdo, à Lausanne.

Sans limites, Photographies de montagne
Du 25 janvier au 30 avril 2017
Musée de l’Elysée
18 avenue de l’Elysée
1006 Lausanne
Suisse

www.elysee.ch

Catalogue de l’exposition publié par Les Editions Noir sur Blanc.

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