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Jean-Philippe Charbonnier : Les très rudes heures de l’île de Sein

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La rencontre de ce globe-trotter avec les habitants de l’île de Sein sur leurs bouts de rochers battus par les tempêtes au large de la pointe du Raz a donné lieu à un reportage saisissant. En cette année 1956, la revue Réalités l’a envoyé témoigner des très rudes heures des Sénans. Le sujet sera publié sur 8 pages dans le numéro 134, en mars 1957.

« C’est dans une autre île que j’aimerais m’arrêter de temps en temps. Arrêter mes pas, arrêter la mécanique de ma tête. Le climat n’y est guère philippin et la chaleur, essentiellement humaine : c’est l’île de Sein. (…)

Ne posez pas de questions, ne vous imposez pas. Ne prenez pas le genre patelin : « Alors, ça va-t-y père Mathieu ? », ni le genre copain, qui se force et qui connaît la pêche. Ne faites pas de photos mine de rien, ne brandissez pas vos banknotes, sans cela vous serez proprement expulsé, comme les cinéastes trop futés de Dieu a besoin des hommes, qui durent aller tourner sur le continent. « Ici, on n’aime pas les touristes ». (…)

Grâce au ciel, le recteur de l’île de Sein se porta garant en chaire de mes intentions et les Sénans commencèrent à venir me renifler. Je ne me mis à offrir des verres que quand je sentis qu’ils seraient bien accueillis et, assez vite, ils le furent. (…) Et spontanément, en ma présence, les gens s’efforcèrent soudain de ne plus parler breton. Et l’on m’offrit à boire à moi, ou d’aller en mer, et on me dit bonjour dans la rue, et les gosses m’accompagnèrent par les ruelles à murets et les rochers. Et je restais planté le long des quais avec les pêcheurs silencieux droits sous la pluie, attendant comme eux un temps meilleur, un temps possible. (…)

Ils avaient de belles gueules, leurs gosses de bonnes têtes, leurs femmes de l’allure. Des gens parfaitement sains et simples, pas primaires du tout. (…)

Dans cette île minuscule, plate et torturée, où j’avais été au début plus dépaysé qu’au bout du monde, je me suis trouvé tout à fait chez moi. C’est merveilleux, ces endroits où l’on tire sereinement plaisir de ce qui s’offre, où l’on ne parle pas quand on n’a rien à dire, où les gens ne sont pas à vendre. La nuit douce d’hiver, sous l’édredon, quand souffle le vent et brame la corne de brume, quand le phare éclaire par éclipses la chambre et enveloppe de son aile lumineuse les maisons et les flots incertains, on dort en paix, protégé de la terre par l’eau, de l’amertume par l’amitié. »

 

Jean-Philippe Charbonnier Un photographe vous parle, Grasset 1961

Jean-Philippe Charbonnier. Raconter l’autre et l’ailleurs (1944-1983)

Pavillon populaire de Montpellier, du 5 février au 19 avril 2020

 

Jean-Philippe Charbonnier – Raconter l’autre et l’ailleurs (1944-1983)

du 5 février au 19 avril 2020

Pavillon Populaire // Espace d’art photographique de la Ville de Montpellier

Esplanade Charles de Gaulle, 34000 Montpellier

www.montpellier.fr/pavillon-populaire

 

 

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