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Les Parasites Photographiques

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Chronique Mensuelle de Thierry Maindrault

Cette année 2022 n’est vraiment pas top, jusqu’à présent, pour la photographie. Cela tourne à la catastrophe. Les bons photographes disparaissent du paysage, lorsqu’ils ne nous quittent pas pour d’autres cieux. Les grands festivals s’effondrent sur eux-mêmes (façon trous noirs). Et pourtant…, il n’y a jamais eu autant de prétendants photographes sur notre planète et autant de manifestations prétendument photographiques et artistiques (au diable l’avarice !).

Contrairement aux solutions actuelles qui s’efforcent de trouver le pansement miracle pour sauver les quelques agonisants liés à la profession, je préfère m’intéresser aux origines du problème. Pourquoi un très bon photographe ne peut même plus vivoter de son travail ? Pourquoi faut-il se prostituer pour survivre de la Photographie ? Une réponse est tous les jours sous nos yeux dans la Nature et elle est validée par les Lois de l’Economie (toutes aussi naturelles). Le fléau qui frappe le monde de la photographie, comme énormément d’autres, s’appelle le parasite. Ce petit être qui vit de sa dépendance à un autre dont il suce au passage tout ce qu’il peut. Pour vous entretenir et identifier ces joyeux lurons mortifères, un petit dictionnaire ne sera pas de trop (notre époque n’est plus à un mot près). Je me suis laissé aller, pardon d’avance pour les aberrations sémantiques volontaires.

Automécène : personne, rarement physique, donc souvent morale, qui investit quatre sous sur un auteur, pour réaliser un retour sur investissement garanti au centuple (crédits d’impôts et communication à moindre coûts). Le choix des créateurs est généralement confié, par relations ou par affinités peu artistiques, à une personne ignare, notamment dans le domaine de l’Art.

Commexpo : personnage qui s’est multiplié comme des petits pains de façon exponentielle depuis cinq ans. Il tente de se substituer aux commissaires d’exposition traditionnels et peu nombreux. Dans une francisation approximative, sa carte porte la fonction beaucoup plus noble de « curateur ». Il est important que son nom soit plus important, sur l’affiche, que celui de l’auteur des photographies exposées, même s’il n’est finalement qu’un loueur d’espace ou un professeur d’école de photographie au talent très incertain.

Dirartistic : sportifs très entrainés et confirmés capables du grand écart. Un pied dans un maximum d’organisations susceptibles d’utiliser et de rémunérer leurs services, l’autre comme conseil des créateurs perdus qui sollicitent leur assistance ; « que dois-je faire pour être exposé ? ». L’entremetteur est multifonction comme un couteau suisse. Néanmoins, sa seule ligne constante est de faire croire qu’il est indispensable alors qu’il n’a, en général, jamais eu deux sous d’imagination.

Dircom : personnage assoiffé de cocktails et autres « pince-fesses ». Dans notre monde moderne qui ne vit plus que de communications tous azimuts et de notoriété personnelle, il se montre partout avec ses différentes casquettes qu’il change à merveille dans une même conversation. Il s’attache aux basques de tous créateurs qui se doit de l’avoir dans son camp. Il aime également vampiriser la moindre manifestation susceptible d’asseoir sa réputation. Un jumeau du dirartistic, l’un pour canaliser la pensée créative du photographe, l’autre pour diffuser l’aura du créateur.

Galérimmo : derniers-nés de la bande des pique-assiettes. Personnage tout en finesse qui s’autodéclare galeriste en rachetant, ou en louant, une boucherie, un salon de coiffure, une cordonnerie, un pressing ou tout autre commerce en faillite. Un coup de peinture blanche avec une pose de porte-cimaises et vous êtes dans la somptueuse des dernières galeries photographiques à la mode. Le problème est la sélection des expositions qui se limite uniquement au chèque que l’exposant va faire pour esbaudir, le peu de visiteurs prévisible, avec ses œuvres incontournables.

Juréphot : néophyte choisi précisément pour cette raison. Ce figurant est autorisé à donner son avis, sous influence, pour la sélection de gagnants ou de participants. Les cercles de professionnels aguerris et compétents ne sont plus de mise, même pour la distribution de prix qui furent jadis prestigieux. La présence de Monsieur « tout le monde » est indispensable pour déterminer qui doit être exposé et qui emportera la breloque pour enjoliver son site internet.

Médiateur photographique : jeune ou moins jeune désœuvré issu d’une école plus ou moins spécialisée ou d’une formation éclair de reconversion de peu de semaines. Après une demi-journée passée avec l’exposant, cet éclaireur des esprits expliquera doctement aux visiteurs, sans qu’ils le demandent, les états d’âme, les désespoirs psychologiques et autres anecdotes ayant présidé à la réalisation de image sous leur yeux.

Portfolioteur : anciennement lecteur de portfolio. Ces dinosaures photographes ou professionnels de la photographie qui offraient bénévolement des aides et des conseils. Le portfolioteur est plutôt un semi-professionnel du cacheton et rarement de la photographie. Photographes devenus sans ressource, journalistes en mal de reconnaissances, stagiaires de musées, etc. Ce désabusé explique  – avec condescendance – au pauvre impétrant de la photographie (après versement d’une somme rondelette par ce dernier) qu’il n’a rien compris et qu’il n’aura aucun avenir sans modifier son projet et sans suivre quelques « workshop ». La lecture et l’échange gratuitement sur une œuvre a toujours été un fondement essentiel de la créativité. Comment a-t-on pu en arriver à des opérations mercantiles inacceptables ?

Promofric de workshop : petit malin sachant vivre de la détresse financière (ou de l’appât du gain) des photographes, jumelé à  la béatitude pantoise d’éternels futurs créateurs. Pour des sommes substantielles, vous êtes invités à passer une fin de semaine avec une pseudo star de la photographie. Le maître photographe invité est dédommagé pour sa présence. Après avoir exposé ses concepts, il vous obligera à réaliser quelques mauvais plagiats de ses propres images. A part épater vos copains : « j’ai passé le week-end avec X, c’était extraordinaire … », rien d’autre de tangible dans votre statut (sauf la mention de cet exploit sur votre site internet).

Promofric de masterclass : même profil que l’organisateur de workshop, la classe en plus « of course » !

Promofric de voyages : même profil que l’organisateur de workshop, le sac à dos en plus « vive le grand air » ! Dans ce cas, il est très rare que le professionnel accompagnant soit à la hauteur intellectuelle des voyageurs.

Sténophotographe : individu perdu entre une feuille à dessin et un marteau qui a finalement opté pour le traitement de texte informatisé. Si la scénographie est restée pauvre, voire inexistante, dans les expositions pendant trop longtemps pour absence de compétences, nous devons bien admettre que la pléthore actuelle de ces dits spécialistes n’a rien changé à l’extrême indigence de présentations loufoques. La seule nouveauté réside dans la présentation d’immenses biographies et de longues explications sur l’origine spirituelle et psychologique des photographies exposées. Cette dernière phase qui peut sembler grotesque se trouve maintenant justifiée par les œuvres exposées aussi hermétiques que le texte qui tente de justifier leur accrochage aux cimaises.

La liste de ces personnages, très souvent haut en couleur, à titre personnel ; mais, totalement inutiles pour la sauvegarde et l’avenir des photographes, est loin d’être exhaustive. J’ai laissé sur le côté les seconds couteaux, moins engagés ; mais, tout aussi nuisibles.

Je ne veux surtout pas que les vrais professionnels se sentent impliqués dans cette moquerie amère. Les vrais directeurs de vraies galeries, les vrais commissaires de vraies expositions, les vrais jurés de vrais concours, les vrais conférenciers de vrais exposés, les vrais scénographes de vraies mises en valeur sont les mêmes victimes que les vrais auteurs de vraies œuvres photographiques. Beaucoup de ces vrais survivent difficilement tandis que cette masse de parasites s’engraisse à leurs dépens.

Que nous soyons professionnels ou amateurs, auteurs ou publics, passionnés ou naïfs, nous nous devons d’être vigilants, très vigilants. Le nivellement par le bas, surtout lorsque le bas est financier et populiste, n’a jamais porté la diffusion culturelle et l’élévation de l’expression artistique.

Thierry Maindrault, 14 octobre 2022

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