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Leigh Ledare présente « Double Bind, 2012 » dans La vie domestique au Parc Saint-Léger

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Le Centre d’Art Contemporain – Parc Saint-Léger, à Pougues-les-Eaux, tapi dans le somptueux parc, très Troisième République, de cette station thermale déchue, à quelques kilomètres de Nevers, dans la Nièvre, est un lieu précieux, un abri en ces temps restrictifs, rayonnant du mieux qu’il peut sur un département essentiellement rural. Sa directrice pendant sept ans, Sandra Patron, assure le commissariat d’une dernière exposition, La vie domestique, avant de rejoindre le Musée régional d’art contemporain (MRAC) de Sérignan, à la tête duquel elle vient d’être nommée. Au Parc Saint-Léger de Pougues-les-Eaux, Sandra Patron a travaillé à de multiples projets  “hors les murs” à l’échelle du département, structuré le pôle Résidences du centre d’art (les Résidences secondaires), développant aussi l’ancrage international du lieu, notamment par l’invitation faite chaque année à des commissaires étrangers.

Après avoir déjà abordé la question de l’habitat lors de deux expositions — sous son angle social et politique avec Les Nouvelles Babylones en 2013, et dans une dimension plus intime et spatiale avec Breathing House, le projet de Jean-Pascal Flavien en 2012, dont la maison “respirante” est restée debout, belle relique immaculée, juste à côté du centre d’art -, le Parc Saint-Léger présente donc un dernier volet consacré à « ce qui se joue derrière les portes closes de nos espaces domestiques »[1]. En postulant que ceux-ci, nos habitats, qu’ils soient urbains, ruraux, périurbains, peuvent être des machines à subversion, la commissaire réunit dans La vie domestique des œuvres de Lili Reynaud-Dewar, Frances Stark, Sébastien Rémy, Marc Camille Chaimowicz ou Laura Lamiel (entre autres), qui reflètent bien l’ambivalence de nos modes de vie intérieurs : partie intégrante de la construction de notre identité, ils sont également le lieu de notre représentation en direction du monde des conventions sociales, de la lutte des classes et des genres.

L’installation à base de photographies de Leigh Ledare, intitulée Double Bind, témoigne clairement de ce nœud entre intime et conventions sociales. Le visiteur qui arrive par la coursive tombe face aux 480 posters tapissant les murs, qui le font basculer dans l’univers complexe du photographe et qui entraînent du même coup l’interdiction de l’exposition aux mineurs par leur caractère explicitement sexuel. En effet, ces posters sont des photographies-collages de pages de magazines appartenant au photographe et dans lesquels le corps de la femme s’offre au regard et au désir masculin, des publicités sur papier glacé avec fonds de ciels d’azur et logos luxueux aux clichés pornographiques trash de revues de sex shops.

Au cœur de ces cimaises violemment bariolées dont on s’extrait à grand peine, se trouve, à plat dans des vitrines, une double série de photographies montrant l’ex-femme de l’artiste, Meghan Ledare-Fedderly. La plongée dans l’intimité de Leigh Ledare se fait ici encore plus profonde puisque ces images, comme souvent dans son travail, ont été prises selon un protocole clairement déterminé : à deux moments différents, cette femme a été photographiée par son ex-mari (Leigh Ledare, donc) et son mari actuel (Adam Fedderly, lui-même photographe), dans la même maison en forêt, où elle a passé quelques jours isolée avec chacun d’eux. Les rendus photographiques des portraits, montrant parfois crûment une certaine intimité physique, émanant de deux hommes unis par la même femme, semblent étrangement similaires, ce qui n’en est que plus déconcertant. Seule une bordure noire (pour Ledare) ou blanche (pour Fedderly) entourant les clichés permettent de s’y retrouver. Meghan apparaît tantôt aimante et chaleureuse, farouche, timide et effrontément offerte.

Le titre de l’installation (double contrainte, double lien ou même dilemme en français) vient donc de cette situation de départ un brin originale, qui met le spectateur dans la gêne, l’œil déjà rincé par l’avalanche de corps plaqués sur les murs, voyeur encore plus insistant dans ce triangle amoureux.

Tout ceci montre que la photographie permet de témoigner des relations entre individus. Et Leigh Ledare, qui vit et travaille à New York, s’intéresse à tous types de relations. Celui qui fut l’assistant du photographe et cinéaste américain Larry Clark (Ken Park) utilise à la fois la photographie, le matériel d’archives et le texte pour explorer les rapports humains, les relations sociales, les tabous et l’image photographique elle-même. La première série qui le rendit célèbre, en 2008, Pretend You’re Actually Alive, était consacrée à sa mère, Tina Peterson, une ex-ballerine devenue strip-teaseuse, adoptant des poses sexuelles ou s’exhibant ostensiblement avec ses jeunes amants devant l’objectif de son fils. Pourtant, on peine à assimiler le travail de Ledare à de la pornographie. Il traite surtout de sociologie, de fantasme, de risque sous-jacent, de la façon dont on utilise son corps à des fins politiques, comme une sorte d’encart publicitaire personnel, de la vieillesse, etc. Ces clichés de sa mère en positions suggestives, érotiques, alternaient avec des photographies plus ordinaires, montrant les grands-parents de l’artiste, son frère et sa femme d’alors, Meghan Ledare-Fedderly, formant ainsi un portrait de famille ambigu, déroutant, entre réalité et fantasme.

Leigh Ledare dit s’intéresser à la manière dont on peut, dans l’intimité, s’identifier à des groupes sociaux, et ainsi se créer une communauté, ou au contraire en rejeter d’autres. On est proche d’Henri Lefebvre et de sa Critique de la vie quotidienne (1947), qui voyait dans l’art le moyen de s’affranchir des conventions et des grands modèles archétypaux imposés par les classes dominantes (parents/enfants, maris/femmes, schémas travaillés jusqu’au malaise de son spectateur par Leigh Ledare grâce au médium de la photographie).

Cependant, comme le pense Leigh Ledare, la question de l’intimité en photo est délicate, car existe-t-il une authenticité ou une essence en photographie?

« Les images sont des petits fragments qui, mis ensemble, peuvent former le début du portrait d’une personne, mais celle-ci est trop complexe et multi-facettes. »[2]

 

[1]           Extrait du dossier de presse de l’exposition, par Sandra Patron

[2]           Entretien de Leigh Ledare avec Magali Lesauvage, www.exponaute.com, 9 octobre 2012, à l’occasion de son exposition à la Galerie MFC Michèle Didier à Paris

EXPOSITION
La vie domestique
Leigh Ledare, Double Bind, 2012
Jusqu’au 18 janvier 2015
Parc Saint-Léger – Centre d’Art Contemporain
23, avenue Conti
58320 Pougues-les-Eaux

03 86 90 96 60
Du mercredi au dimanche, de 14h à 18h, et sur rendez-vous (entrée libre)

www.parcsaintleger.fr

 

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