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Le Questionnaire : Marinka Masséus par Carole Schmitz

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Defendre l’individualité

Artiste néerlandaise, Marinka Masséus a décroché son MBA, avant d’entamer des études de Psychologie Bouddhiste puis de photographie à la Photo Academy à Amsterdam, un cursus qui l’a amené à canaliser ses sentiments en images. Dans son travail, elle s’intéresse aux gens et à leur place dans la société. Ses sujets de prédilections sont l’injustice et l’inégalité. Son souhait est de défendre l’individualité, la beauté et l’essence même de ses sujets.
La photographie a toujours fait partie d’elle. A 9 ans, son père lui donne son vieil appareil photo B&W pour qu’elle l’expérimente. Plus tard, à l’université, elle sera « la fille avec l’appareil photo ». Mais des années durant, elle gardera sa passion pour la photographie uniquement pour ses voyages.

L’égalité entre les hommes et les femmes est un thème récurant dans ses projets. Très sensible à la misogynie qui l’indigne depuis son plus jeune âge, ce sujet alimente son inspiration et sa détermination d’artiste.
La photographie lui permet de dénoncer les idées fausses et les préjugés.
Enthousiaste, déterminée et passionnée, elle est fascinée par la nature humaine et la façon dont nous vivons nos vies.

Elle laisse aux autres le soin de définir son style, car moins elle se définit elle même, plus elle est libre. En tant qu’artiste elle se fie à son instinct.

 

Website : www.marinkamasseus.com
Instagram : marinkamasseus

 

Votre premier déclic photographique ?
Marinka Masséus : Mon père. Après, tout.

L’homme ou la femme d’image qui vous inspire ?
Marinka Masséus : Des femmes photographes comme Dorothea Lange, Diane Arbus et Margaret Bourke-White qui ont défié les normes de genre et ouvert la voie non seulement aux femmes photographes mais aussi aux femmes en général. Mais aussi Claude Cahun (née Lucy Renee Mathilde Schwob) qui, dans son art comme dans sa vie, a non seulement défié les normes de genre mais s’est aussi révoltée contre les conventions.

L’image que vous auriez aimé faire ?
Marinka Masséus : Taking a Stand in Baton Rouge, une photographie prise par Jonathan Bachman (Reuters) de Leshia Evans, une infirmière de Pennsylvanie, alors qu’elle est arrêtée par des policiers en tenue anti-émeute lors d’une manifestation de BLM à Baton Rouge, en Louisiane, le 9 juillet 2016. La façon dont elle se tient debout, pleinement centrée et dans sa force, sa robe verte flottante contrastant avec la ligne d’hommes en tenue anti-émeute. Sa force silencieuse les éclipse. C’est une image emblématique et exemplaire du pouvoir des femmes face aux symboles masculins du pouvoir.

Celle qui vous a le plus émue ?
Marinka Masséus : J’ai choisi deux photos qui sont ancrées dans notre conscience collective d’une manière telle que nous ne les voyons plus.
The Terror of War (La terreur de la guerre), qui montre Kim, neuf ans, courant nue sur une route après avoir été gravement brûlée dans le dos par une attaque au napalm du Sud-Vietnam, prise par le photographe américain d’origine vietnamienne Nick Ut (pour l’Associated Press).
Et le Tank Man (également connu sous le nom de manifestant inconnu ou de rebelle inconnu), un Chinois non identifié qui s’est tenu devant une colonne de chars sur la place Tiananmen à Pékin le 5 juin 1989, le lendemain de la violente répression par le gouvernement chinois des manifestations de Tiananmen.
Lorsque je prends le temps de regarder, je sens mon cœur se briser. La terreur sur les visages des enfants, l’indifférence des soldats, cette photo touche au cœur de la capacité humaine à la cruauté. L’homme seul devant une rangée de chars, la simplicité de sa posture, les sacs (d’épicerie ?) dans ses mains, sa détermination courageuse mais vaine à se battre pour ce qui est déjà perdu : la liberté.

Et celle qui vous a mis en colère ?
Marinka Masséus : Toutes les photos où je vois des femmes qui se battent encore pour leurs droits. Rien ne me met plus en colère que de voir les droits des femmes bafoués ou supprimés. Que ce soit en Iran, en Afghanistan, en Pologne ou aux États-Unis, il est dévastateur que les femmes se voient encore refuser l’égalité des droits et/ou l’autonomie corporelle.

Une image clé dans votre panthéon personnel ?
Marinka Masséus : Ma série Under the Same Sun (Sous le même soleil) sur le sort des enfants atteints d’albinisme. En Tanzanie, les personnes atteintes d’albinisme sont considérées comme maléfiques. Elles sont tuées et les parties de leur corps sont utilisées dans des potions porte-bonheur. Il y a aussi ma série sur l’Iran, qui traite de la lutte des femmes iraniennes pour la liberté.

Un souvenir photographique de votre enfance ?
Marinka Masséus : Moi jouant aux jeux de boules avec mes neveux et nièces lors de la journée familiale annuelle organisée par mes grands-parents. 1976. C’était une chaude journée d’août, près d’un lac, j’avais six ans, et à peu près au moment où le jeu de boules a commencé, je me suis retrouvée au bord du lac.

Sans limite de budget, quelle serait l’œuvre d’art que vous rêveriez d’acquérir ?
Marinka Masséus : La prochaine que je découvrirai et qui a la capacité de me capturer et de me surprendre.

Selon vous, quelle est la qualité nécessaire pour être un bon photographe ?
Marinka Masséus : Le cœur. La connexion avec le sujet et les personnes dans vos images.

Le secret de l’image parfaite, s’il existe ?
Marinka Masséus : L’image parfaite raconte l’histoire exactement comme elle doit être racontée.

La personne que vous aimeriez photographier ?
Marinka Masséus : Mes parents, ensemble. Ils ont divorcé quand j’avais onze ans et sont tous les deux décédés.

Le photographe que vous aimeriez voir réaliser votre portrait ?
Marinka Masséus : Personne. Ma place est derrière l’appareil photo.

Un livre de photos indispensable ?
Marinka Masséus : Genesis de Sebastião Salgado.

L’appareil photo de votre enfance ?
Marinka Masséus : Le vieil appareil photo de mon père. Un Agfa Colorflex, un reflex 35 mm à objectif fixe avec un objectif 50 mm f/2,8 Color. J’avais huit ans quand il me l’a donné. Je l’ai toujours, il est posé sur une table, dans son boîtier en cuir marron.

Celui que vous utilisez aujourd’hui ?
Marinka Masséus : Canon 5DS R

Votre drogue préférée ?
Marinka Masséus : La musique.

La meilleure façon de déconnecter pour vous ?
Marinka Masséus : La musique. La danse. Lire au soleil.

Quelle est votre relation personnelle avec l’image ?
Marinka Masséus : Ma photographie tourne autour des gens et de leur place dans la société. Les sujets concernant l’injustice et l’inégalité sont une force motrice pour mon travail. La photographie est pour moi un moyen de communiquer avec le monde extérieur sur des sujets qui me tiennent à cœur et constitue un élément essentiel de mon lien avec la vie. D’une certaine manière, c’est ma façon de donner un sens au monde dans lequel nous vivons. L’égalité entre les hommes et les femmes est un thème central de mes projets ; j’ai toujours été très sensible à la misogynie, dont l’injustice m’a indignée dès mon plus jeune âge et je continue de le faire. Il est inévitable que mes sentiments féroces sur ce sujet alimentent mon inspiration et ma détermination et se traduisent dans mon travail en tant qu’artiste.

Pour moi, être féministe signifie s’identifier aux droits de toutes les femmes du monde, et pas seulement à celles de mon entourage immédiat. Très consciente de mes propres privilèges en tant que femme blanche dans un pays européen libéral, je pense que la misogynie reste l’une des inégalités les plus sous-estimées au monde. Elle fait systématiquement partie de toutes les cultures, races et religions. Souvent, il est encore plus difficile de reconnaître l’inégalité entre les hommes et les femmes dans sa propre culture, car on fait partie de cette programmation spécifique. Mais elle est là. Elle est toujours présente. Et même si, dans de nombreux endroits, des progrès ont été réalisés, des événements récents ont montré qu’il pourrait s’agir d’une mince couche de vernis. Le mouvement #metoo a mis au jour un profond manque de respect pour le corps des femmes. Pendant ce temps, les filles du monde entier sont invitées à se comporter de manière pudique pour éviter les ennuis. La responsabilité de faire la part des choses est considérée comme leur revenant. Le message subliminal étant que l’agression et le viol sont leur responsabilité.

Votre plus grande qualité ?
Marinka Masséus : La passion avec laquelle je fais les choses.

Votre dernière folie ?
Marinka Masséus : Consacrer exclusivement deux ans à l’écriture d’un livre, en anglais, qui n’est pas ma langue maternelle. Une folie totale et l’expérience la plus enrichissante.

Une image pour illustrer un nouveau billet de banque ?
Marinka Masséus : N’importe quelle image d’un arbre, des racines aux branches.

Le métier que vous n’auriez pas aimé faire ?
Marinka Masséus : Le marketing d’entreprise. C’était comme un nœud coulant.

Et si vous n’étiez pas devenue photographe ?
Marinka Masséus : J’aurais sans doute été écrivain.

Votre plus grande extravagance professionnelle ?
Marinka Masséus : Mes voyages. Et mes objectifs.

Quelle est, selon vous, la différence entre la photographie et la photographie d’art ?
Marinka Masséus : J’aimerais tout d’abord reformuler la question et faire la distinction entre la photographie et la photographie commerciale. En effet, selon moi, diverses formes de photographie peuvent être de l’art, y compris la photographie documentaire. Pour moi, la photographie et l’art sont liés à l’histoire qui est racontée avec authenticité. C’est ce qui différencie l’art et le documentaire de la photographie commerciale, le sens et la profondeur de l’histoire et le lien qui vous unit à elle.

La ville, le pays ou la culture que vous rêvez de découvrir ?
Marinka Masséus : L’Antarctique.

L’endroit dont vous ne vous lassez jamais ?
Marinka Masséus : Mon esprit.

Votre plus grand regret ?
Marinka Masséus : Ne pas avoir cru en moi plus tôt.

En termes de réseaux sociaux, êtes-vous plutôt Instagram, Facebook, Tik Tok ou Snapchat et pourquoi ?
Marinka Masséus : Instagram, de façon minimale et seulement parce que je dois le faire. Les médias sociaux peuvent vite m’éloigner de moi-même, je ne suis pas fan.

Qu’est-ce que le numérique et les smartphones ont enlevé ou apporté à la photographie ?
Marinka Masséus : Ils ont enlevé des choix délibérés mais ont donné de la liberté.

Couleur ou noir et blanc ?
Marinka Masséus : Pour moi, c’était le noir et blanc, sans hésitation, mais je découvre l’utilisation créative de la couleur et j’adore ça. Elle apporte une dimension supplémentaire et des défis en plus, car la couleur peut faire ou défaire une image. C’est une dimension additionnelle que j’aime explorer.

Lumière du jour ou lumière artificielle ?
Marinka Masséus : Les deux. Pour moi, c’est la connexion que je fais qui compte.

Votre cœur penche-t-il plus vers l’argentique ou le numérique ?
Marinka Masséus : Le numérique. Il offre plus d’espace pour jouer.

Quelle est, selon vous, la ville la plus photogénique ?
Marinka Masséus : Chaque endroit a une histoire à raconter, il suffit de regarder. Mais Stockholm est très belle. C’est là que j’ai rencontré mon partenaire.

Si Dieu existait, lui demanderiez-vous de poser pour vous, ou opteriez-vous pour un selfie avec lui ?
Marinka Masséus : Tout d’abord, Dieu est sans genre et n’est donc pas un lui. Ensuite, Dieu n’existe pas dans les mêmes dimensions que nous, donc la photo ne révélerait rien que nous puissions reconnaître. De plus, après des millénaires d’usurpation, d’oppression et de misogynie de la part de la religion organisée, Dieu est un terme chargé. Je préfère l’Unicité. Enfin, nous rencontrons l’Unicité tous les jours à l’intérieur de nous, donc un selfie suffirait.

Si je pouvais organiser votre dîner idéal, qui serait à table ?
Marinka Masséus : Je me permets de parcourir l’histoire : Ruth Bader Ginsberg. Dorothy Parker. bell hooks. Yoko Ono. Ann Boleyn. Audre Lorde. Malala Yousafzai. Mary Wollstonecraft. Jezebel. Masih Alinejad. Amelia Earhart. Virginia Woolf. Madonna. Et Jésus. Des femmes seulement, sauf Jésus. (Pour autant que nous le sachions, il/elle était peut-être trans.) En tant que féministe, la plupart de mes choix sont explicites. Quant à Jésus, l’être humain le plus exploité qui ait jamais marché sur terre, je suis très intéressée par ses propres mots et son point de vue sur la religion organisée. Je pense que la dynamique entre lui et ces femmes féroces serait stimulante, inspirante et intéressante.

L’image qui représente pour vous l’état actuel du monde ?
Marinka Masséus : Des images de l’Amazonie en train de brûler.

Qu’est-ce qui manque dans le monde d’aujourd’hui ?
Marinka Masséus : La nuance. La sagesse. Ce qui revient au même.

Si c’était à refaire ?
Marinka Masséus : C’est assez nietzschéen. La pensée de l’éternel retour, de votre vie sur une boucle éternelle, et si cette pensée vous horrifie ou non.
« Et si, un jour ou une nuit, un démon vous poursuivait dans votre solitude la plus totale et vous disait : « Cette vie, telle que vous la vivez et l’avez vécue, vous devrez la vivre encore une fois et d’innombrables fois encore ; et il n’y aura rien de nouveau en elle, mais chaque douleur et chaque joie, chaque pensée et chaque soupir, et tout ce qui est indiciblement petit ou grand dans votre vie, devra vous revenir, toujours dans la même succession et le même ordre » … Ne vous jetteriez-vous pas à terre, ne grinceriez-vous pas des dents et ne maudiriez-vous pas le démon qui a parlé ainsi ? Ou bien avez-vous vécu un jour un moment fort où vous lui auriez répondu : « Tu es un dieu et tu ne l’as jamais été » ? « Vous êtes un dieu et je n’ai jamais rien entendu de plus divin« .
Je le referais volontiers.

Le mot de la fin ?
Marinka Masséus : C’était amusant.

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