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Joël Van Audenhaege – La Beauté et l’Effroi

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Il y a toujours un moment, dans la vie d’un artiste, d’un chercheur ou de tout un chacun, où viennent se conjoindre des questionnements à propos de l’état du monde et à propos de son destin personnel ; ou pour le dire plus modestement, de sa trajectoire particulière. Il y a toujours un moment et il y a souvent un endroit. Ce point de convergence prend volontiers des allures un peu extrêmes… grand départ ou retour aux origines, expérience ultime ou retrait abyssal, sommets montagneux ou fond des mers. Coup d’éclat ou réclusion discrète, déterminée. Des moments-clés ou charnières, que ne soulignent pas forcément de grands fracas; ils peuvent au contraire apparaître presque imperceptibles, dériver ou fondre sans faire de bruit.

Les pôles, ces temps-ci, semblent avoir la cote ; allez savoir pourquoi, ou comprendre comment. Nul à présent n’ignore pourtant qu’il n’y sera plus le premier et qu’il n’y sera pas le dernier. Mais les bouts fascinent et le besoin d’essayer est tenace. C’est par les extrémités que nous brûlons, vivons et périssons ; c’est aux confins du monde, tout déserts en apparence ou, à tout le moins, si peu peuplés soient-ils, que l’inquiétude quant aux lendemains de notre existence commune prend forme. Il y a là plus qu’un snobisme ou un exotisme : la quête éperdue d’un asile, peut-être ; une façon de repousser ou d’interroger nos limites ; l’expérience intime d’un dépassement, d’une découverte; la rencontre du je et du nous, au milieu de rien et de personne. Pas besoin d’y aller à mains nues ou de prendre des risques héroïques, le regard et la pensée peuvent suffire à cette confrontation… à ce vertige, peut-être, une fois prise la mesure, hélas probablement définitive, de l’incapacité de l’homme sur terre à assurer sa propre pérennité, voire à maintenir une quelconque forme de vie, préservée des nuisances. La blancheur des pôles, leur fascinant mystère — à présent quelque peu émoussé, mais rares sont les mystères que nos sociétés de consommation et de communication ne sont pas parvenues à émousser — demeurent, pour le corps et pour l’esprit, un choc radical ; mais aussi, pour l’œil, un aimant puissant.

Joël Van Audenhaege n’est pas un casanier; ce n’est pas pour autant un baroudeur. C’est quelqu’un que son expérience d’éditeur a souvent confronté aux images des autres, sans pour autant qu’il renonce, de loin en loin, à se saisir de son propre appareil ou de ses propres obsessions. C’est un amoureux de la mer et de l’horizon, un passager du monde qui a besoin d’en saisir la beauté et d’en garder des traces — argentiques ou numériques, en couleur, en noir et blanc ou en photographies instantanées. Mais où qu’on se déporte et quels que soient les moyens mis en œuvre, l’inquiétant silence devient assourdissant, juste interrompu çà et là par les tonitruantes débilités de quelque leader mondial. Nous autres, humanité, savons à présent que nous sommes tristement solubles; et l’on sait suffisamment depuis Edward Burtynsky — ou bien plus naïvement depuis Arthus-Bertrand — la mince paroi qui sépare la documentation de cette finitude, de sa contemplation; et la beauté, de l’effroi.

« Sous l’apparente indolence minérale se dissimule l’histoire de l’humanité », écrivait le philosophe hédoniste Michel Onfray, parti il y a quelques années se confronter au Pôle Nord et y emmener, à 80 ans, son père qui en rêvait (Esthétique du Pôle Nord, Grasset, 2002). « Dans le Grand Nord, l’espace absorbe le temps et le matérialise en étendues sublimes. La vastitude transfigure l’être humain en fragment, en tout petit morceau installé dans un temps limité, mais évoluant dans l’éternité d’une perspective à perte de vue. » Entre jour et nuit, entre le froid et l’immensité, entre la pierre et l’animal désormais invisible, se lit aussi l’histoire d’une acculturation — voire d’un génocide —, d’un abandon, d’une extinction. Renaissance ou arrêt de mort? Par- delà les dimensions ethnologiques, philosophiques, spirituelles, poétiques, Onfray avait su nous désigner surtout ce lieu mythique, devenu presque trivial, comme un refuge possible pour la réconciliation des enjeux de l’éthique et de l’esthétique.

C’est, à sa manière, tout son rapport au monde que nous livre le photographe Joël Van Audenhaege, tout en questionnant le nôtre. Quelque part entre ces combats désespérés que l’on dit les plus beaux — et la pureté salie, qui fait froid dans le dos.

Emmanuel d’Autreppe

 

The Darkest Night
Même la nuit la plus sombre prendra fin et le soleil se lèvera. Victor Hugo
Photographies : Joël Van Audenhaege
Texte : Emmanuel d’Autreppe
96 pages – 27 x 23 cm
300 exemplaires – texte en français et anglais
84 photographies en quadrichromie et en noir/blanc
ISBN 978-2-930115-64-1
PAON Diffusion

www.arpeditions.org

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