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Gui Christ : Fissura

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Ceci est une pipe – Texte par Cristianne Rodrigues

Un bout de tuyau de gaz, un robinet usé, une vieille antenne de TV : c’est souvent dans les poubelles que le crackeur trouve de quoi s’improviser une pipe lorsqu’un besoin impérieux de fumer l’envahit. Cette avidité, en brésilien fissura, pousse chaque jour des milliers de personnes vers la Cracolandia, le site de consommation de crack en plein air le plus grand du monde, situé à Sao Paulo.

Ce lieu qui, au XIXe siècle, avait vu l’opulence d’une oligarchie rurale liée à la culture du café, n’est plus aujourd’hui qu’un quartier fantôme au cœur de la mégapole. De son passé flamboyant, il ne reste que des hôtels particuliers délabrés et la voie ferrée qui acheminait la production vers les grands ports afin de ravitailler l’Europe et les Etats-Unis au prix de la liberté de millions d’Africains.

Devenu lieu de consommation de crack dans les années 1990, la Cracolandia, véritable enfer sur terre, a attiré l’attention du photographe brésilien Gui Christ (Rio, 1980), qui l’a fréquenté pendant près de trois ans afin de documenter le quotidien de cette zone de non-droit et de ses personnages, durement réprimés par la police et stigmatisés par la société. Mais à l’ère de l’egoportrait et de l’illusoire podium du triomphe des individus que sont les réseaux sociaux, qui, au plus profond de sa détresse, rêverait réellement de poser devant l’objectif ?

Le studio portable installé à côté des bains publics mis à la disposition des toxicomanes est resté inactif jusqu’à ce que l’artiste y ajoute une pancarte affichant « photo d’identité gratuite ». C’était ce qui manquait pour briser le silence, rendre possible la communication et, avec elle, l’émergence d’espoirs intimes : trouver un emploi, renouer les liens familiaux, quitter la prostitution, la mendicité.

Porteur d’une culture artistique et visuelle acquise à l’Ecole des Beaux-Arts de Rio, Gui Christ a traité son sujet avec finesse, sans pour autant occulter ou maquiller cette réalité marquée par la décadence et l’abandon. Son deuxième livre, Fissura (2020) présente une série de portraits accompagnés de ces pipes de fortune photographiées sur fond neutre, extraites de leur contexte comme des objets de recherche scientifique. L’ensemble présente aussi des images qui rappellent les natures mortes hollandaises du XVIIIe siècle avec leurs couleurs chaudes et lumineuses, un clin d’œil à ses références picturales.

A double sens, le titre du livre évoque, enfin, la fracture sociale de ce pays champion des inégalités qui n’a toujours pas réglé ses comptes avec son passé esclavagiste.

Cristianne Rodrigues

https://cristiannerodrigues.com/

https://guichrist.com/shop/fissura/

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