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Fred Tomaselli : « Je joue avec le New York Times, ce manipulateur de notre être »

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S’appuyant sur des sources artistiques et historiques et sur les traditions décoratives orientales et occidentales, les œuvres de Fred Tomaselli déploient des motifs fascinants qui semblent, d’une composition à l’autre, subir une croissance organique. À partir de 2005, Tomaselli a développé un ensemble de travaux sur papier qui transforment la une du New York Times avec de la gouache et des collages. Ses compositions surréalistes sont des ruminations sur l’absurdité des cycles d’information et lui permettent de répondre à d’innombrables questions – des anecdotes régionales aux crises mondiales. Fred Tomaselli a conversé avec Andrea Blanch, de Musée Magazine.

Andrea Blanch : Le Los Angeles Times a reproduit une citation de vous: « Ce travail me donne l’occasion de répondre au New York Times, je deviens rédacteur. » Etait-ce votre intention depuis le début de votre série The Times ?

Fred Tomaselli : Au départ, je ne pense pas que j’avais d’intentions. J’ai commencé par des idées qui se sont manifestées par le biais du jeu. Ces idées ont ensuite influencé les travaux ultérieurs. Finalement, un ensemble d’intentions est sorti du processus de production. L’une d’elles était l’idée de faire partie de cette espèce de ruche qui assemble un journal collectivement. Ce travail me donne l’impression de faire partie de ce groupe de correcteurs, d’écrivains, de rédacteurs et de photographes, de devenir moi aussi rédacteur. Et cela m’a séduit, car j’ai toujours eu ce sentiment du collectif, du groupe, auquel j’ai toujours participé avec mes collages précédents. Avant ce projet, j’utilisais des images qui étaient en partie créées par d’autres, mais toujours anonymes. Maintenant, ce sont des images signées qui créditent les auteurs.

Cela vous donne un paramètre de travail, non ? Auparavant, lorsque vous réalisiez des oeuvres, vous avez travaillé sur un support vierge. Là, vous partez d’une base. Cela vous aide-t-il?

Cela me déséquilibre plutôt. Les images ne sont pas nécessairement ce que j’aurais choisi si je me contentais de suivre mon inspiration. Donc, je dois rencontrer les autres sur leur terrain, et me sentir un peu déséquilibré, puis essayer de régler ce problème. Je pense que c’est une bonne chose pour moi au point où j’en suis.

Vous faites cela depuis douze ans, qu’est-ce qui vous ferait arrêter ? Comment saurez-vous que le projet est fini ?

Peut-être quand on n’imprimera plus de journaux !

S’agit-il de faire réfléchir le spectateur à propos de ce qu’il voit tous les jours, mais avec un point de vue différent ?

C’est en partie mon but. Même si j’utilise un objet, cet objet traite de ce monde social, ce monde du social et du politique. Mais quand il s’agit de produire le travail, à bien des égards, ma motivation est tout simplement de m’amuser. Je ne pense même pas au spectateur. Je veux juste fabriquer les choses que je veux voir. C’est plus tard que je réfléchis à la participation du spectateur. Si je ne pense pas que le spectateur peut participer au travail ou le comprendre, ou que le résultat semble trop obscur, je le déchire. Je déchire beaucoup.

Je ne dis pas que c’est votre intention consciente, mais cela évoque la phrase de Marshall McLuhan « Le médium, c’est le message ». C’est devenu un atout dans votre message politique, que ce soit votre intention ou non. Y avez-vous pensé ?

Je suis quelqu’un d’assez politique. Vous savez que je suis obsédé par l’information, et je la consomme à travers la radio, la télévision, et l’imprimé. Je suis persuadé que le New York Times est intrinsèquement politique, que les nouvelles sont souvent horribles, mais que le monde est également drôle, beau, absurde et mystérieux. J’essaie de rendre cet aspect-là aussi. A certains égards, j’impose un autre type de réalité à cette sombre réalité du New York Times. Je ne veux pas dire que je m’évade, mais plutôt que je projette un autre type d’espace en utilisant le journal comme tremplin menant à cette autre réalité. Ceci dit, mes opinions politiques interviennent sans cesse et je l’admets volontiers.

Vous avez créé un art de l’évasion, mais vous êtes très concentré sur la presse. Ne trouvez-vous pas cela surprenant ?

Je pense qu’une grande partie de notre réalité, y compris les médias, est assez fuyante. On pourrait faire valoir que les médias dictent nos désirs, l’essence même de notre être, que nous sommes motivés par certains mécanismes de séduction que les médias ont maîtrisés. Je pense que c’est là une de mes raisons, ou l’une de mes motivations, pour jouer avec les médias, pour jouer avec le New York Times, avec ce manipulateur de notre être. En revenant à ce concept d’évasion, je dirais que supposer l’impartialité des médias est une fiction qui mérite une déconstruction générale. Les journaux choisissent ce qu’ils souhaitent éclairer ou ignorer, et je crois que cela comme le reste peut constituer une évasion. Bien que ce soit un bon journal, il est quand même coupable de certains parti-pris. Mais comme il s’agit de la référence sur papier par excellence, le journal est censé être l’arbitre de l’objectivité. Il me semble qu’il s’agit du support parfait pour jouer avec cette idée de l’objectivité.

Une grande partie de votre travail est basée sur votre expérience avec les drogues.

C’est ainsi que le travail a débuté. En fait, il a commencé avec les parcs à thème dans les années 1980. J’ai fait beaucoup d’installations dans l’esprit du punk rock, où l’usage de la lumière et de l’espace était très influencé par les jeux d’évasion et les installations du genre parc à thème. Et puis à partir de là, comme j’étais déjà intéressé par le paysage de l’irréel, ce n’était pas une grande rupture que d’aborder le domaine de la drogue. Et je me suis rendu compte que la rhétorique appliquée aux drogues psychédéliques ressemblait vraiment beaucoup à celle qu’on appliquait à la peinture. Cette idée de fenêtre ouvrant sur une autre réalité, de l’objet d’art comme véhicule pour vous transporter dans d’autres dimensions, ressemblait beaucoup à ce que disent les gens quand ils parlent de drogue. J’ai donc joué avec ces corollaires et je suis redevenu peintre. J’avais abandonné la peinture pendant dix ans environ pour faire ce travail d’installations, et aujourd’hui j’explore cette même obsession de la réalité et des modifications culturelles de la perception, mais dans le cadre du New York Times et des médias. Mais je ne me souviens plus de votre question !

Vous avez dit que vous avez cessé de peindre parce que vous travaillez sur le New York Times. Je me demande d’où est venue cette idée ?

Dans les œuvres du New York Times et dans ces grands formats, j’introduis parfois des feuilles, de vraies feuilles. Il y a toujours eu dans mon travail cette tension entre ce qui est réel, ce qui est photographié, et ce qui est peint. Parfois, on a du mal à les distinguer. De temps en temps, j’y arrive, mais vous avez raison, ce sont des œuvres sur papier. J’utilise peu d’objets dans mon travail en ce moment. C’est avant tout à base de collage, de collage photo et de peinture, et c’est un défi pour moi.

Et pourquoi le collage ? Je me demande ce qui vous donne envie de l’utiliser et quel état d’esprit est le vôtre quand vous l’employez ?

Je viens de la culture du coupé-collé. Nous empruntons des fragments à d’autres cultures et les intégrons dans nos vies. Le collage m’a toujours semblé vraiment naturel. Il nous a sans doute été transmis au début du XXème siècle par des artistes comme Picasso ou Braque, mais il a été une constante qui persiste tout au long de l’histoire. Mais je pense surtout que j’aime cette idée de partir d’une image préexistante, ou de milliers d’images préexistantes, et puis de jouer avec elles. Peut-être que cela vient du fait que quand j’étais gosse, j’ai joué avec avec des jouets faits de pièces detachées, comme les Lego ou les Lincoln Logs, cette idée d’assembler quelque chose un morceau à la fois. C’est vraiment naturel pour moi et je dois écouter ma sensibilité et la suivre.

Entretien réalisé par Andrea Blanch

Andrea Blanch est la fondatrice et rédactrice en chef de Musee Magazine, une publication de photographie basée à New York, et une photographe de mode, d’art et de concepts.

Cette interview a été publiée dans le numéro 16 du Musée Magazine qui est sorti en octobre 2016 et est disponible pour 65 $.

http://museemagazine.com/

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