Rechercher un article

Francesca Piqueras, épaves russes en forme de récifs

Preview

Exposée à la galerie de l’Europe, la série In Fine de Francesca Piqueras donne à voir les épaves et ruines des navires figés dans la glace de la péninsule du Kamtchatka en Russie. Couleurs froides, teintes grisailleuses et jeux de formes accompagnent une réflexion sur l’abandon.

Voir le travail de Francesca Piqueras suscite d’emblée de la curiosité. Les pages de ses livres ouvrent un voyage long de plusieurs étapes. L’œil y vagabonde, faute de ne voir ces lieux pour de vrai. La photographie est ainsi, elle joue de son image frontale avec notre imagination du monde. Un paysage recomposé défile page après page, d’un bunker sur l’Atlantique à une plateforme pétrolière transie de solitude dans la Mer du Nord. Les rives enfumées du Bangladesh, les rives du Pérou, les plages du Débarquement. Tout cela défile, se recompose pour former un paysage concret des abandons industriels.

Cette fois, l’abandon ne pourrait être plus lointain. Tout au bout des extrêmes. Petropavlovsk, capitale de Perm, Pierre et Paul en français, touchée par la grâce architecturale du grand maître Brejnev. Le béton se marie à la neige 182 jours par an. Les hommes pêchent sous le regard des cheminées rouges et blanches. Chez Piqueras, les hommes importent peu. Ils sont absents, ont quitté leurs navires, noyé les moteurs et pris le large.

On se dit pourtant toujours un peu coquin qu’on a bien trop vu les ruines. Les ruines majestueuses de Détroit de Camillo Vergara. Les poses longues des cinémas d’Hiroshi Sugimoto. Les clichés volés des explorateurs urbains. Certains en ont fait un tourisme. D’autres un érotisme tordu. Pourtant on y revient, à celles de Francesca Piqueras du moins. Davantage attiré par les couleurs que par un voyeurisme. Ces ruines-là paraissent vivre. Elles sont transies de froid les pauvres. Rouillées par le temps mais elles respirent. Leurs coques barbotent dans l’eau, lézardent au soleil froid d’hiver. Elles dansent parmi les vagues, se hissent des flots comme des îlots.

On voudrait les aborder, s’y promener, espérer ne pas tomber sous une planche trop rouillée. À les voir ainsi prises par la lumière et le temps, on se dit que les ruines ne sont pas un sujet unique. Précisément, la ruine sert de cadre à une esthétique. Elle est actrice autant qu’environnement. La ruine subsiste en arrière-plan et propose surtout un jeu de couleurs et d’atmosphères.

Les gris du froid morne et triste s’agitent de couleurs pales. Les bruns des bâbords sortis des glaces s’opposent aux neiges farineuses. Parfois le soleil glisse un rayon de gaieté sur les mâts et tout s’embrase. D’autres temps, les grues des ports se confondent aux mas. Les couleurs indiquent une harmonie et de cette harmonie se dégage une idée simple. L’abandon s’est fait happer par son environnement.

Création-recréation de la nature. Machineries happées par les environnements brutaux. Avalés, bientôt digérés, ces navires deviennent des monts, des récifs, des barrières. Dans de telles conditions, l’environnement pourrait tout transformer. Et incommode, peut-être trop gourmand, il régurgite et recrache de son intestin ces bouchées malfaisantes. Il reste alors une bataille, un qui-vive incertain. Qui de la nature ou des abandons pollués gagnera ? La couleur, très certainement.

 

Arthur Dayras 

 

Francesca Piqueras, In Fine
Du 24 avril au 9 juin 2018
Galerie de l’Europe
55 Rue de Seine
75006 Paris
France

www.galerie-europe.com

 

Merci de vous connecter ou de créer un compte pour lire la suite et accéder aux autres photos.

Installer notre WebApp sur iPhone
Installer notre WebApp sur Android