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Eric Bouvet dans Gamma : Une histoire de photographes

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Gamma, une histoire de photographes, une histoire d’agence, l’une des plus belles. Un livre aux éditions de la Martinière célèbre son 50e anniversaire. Il est formidable. Les textes d’Hubert Henrotte et de Floris de Bonneville sont somptueux. Toutes les semaines, L’Œil de la Photographie publie quelques-unes des images de ce qui fut la plus belle époque du photojournalisme.

Fondée en 1966 par des photographes, pour des photographes, cette agence devient en quelques mois un leader mondial. « Six nouveaux photographes, six nouveaux regards sur le monde », tel était le slogan de Gamma qui, dès sa création, a su mettre en avant et développer le photojournalisme pour informer, anticiper l’actualité, en apportant un regard personnel sur les événements. En cinq décennies, quelque 5 000 photographes ont réalisé 300 000 contacts noir et blanc et 200 000 sélections couleur produites. Une vraie richesse journalistique dont cet ouvrage est la quintessence. Il présente le travail de ceux qui ont vraiment créé, construit et développé l’agence : une entreprise souvent copiée, mais jamais égalée.

Toutes les grandes images de Gamma sont dans ce livre. Tout comme les grands photographes qui ont contribué à son histoire. Aujourd’hui, L’Œil de la Photographie publie une sélection des meilleures images d’Eric Bouvet, entré chez Gamma en 1981 et qui commence alors par travailler au laboratoire noir et blanc.

Eric Bouvet pourrait être le reporter type de sa génération. Plutôt bel homme, très affable, tout sourire, la plaisanterie au bout des lèvres, et une volonté de faire de son mieux qui a failli lui coûter la vie souvent. Très souvent. Trop souvent. Il est entré à Gamma en poussant la porte de la rue des Petites Ecuries parce que chaque numéro de Photo Reporter le démangeait. Les pages consacrées aux reporters de Gamma le faisaient rêver. Alors il a commencé par des remplacements au labo noir-et-blanc où, «  les boites de tirages Ilford, s’empilaient à hauteur d’homme en fin de journée ». Il y a rencontré Patrick Aventurier, simple laborantin. « Vous vous rendez-compte, j’avais la clef de l’agence, et je l’ouvrais à 5 heures du matin pour plonger les films déposés dans la nuit. Je me souviens d’avoir développé les films qu’Alain Mingam nous avait envoyés des massacres du camp de Sabra et Chatilah à Beyrouth. J’étais fier et heureux, espérant un jour franchir la porte de la salle de photographes. Et un jour Jean Monteux m’a interpellé dans un couloir. ‘Tu fais quoi en ce moment’- ‘Euh.. rien de spécial.’- ‘Viens dans mon bureau. Si je te donne un salaire pendant un mois pour être sur le plateau du film Emmanuelle IV, tu acceptes ? Si tu es bon, on te garde.’  Et c’est ainsi qu’en 1983, je devins staffer ! »

Eric Bouvet a surtout couvert les années 80. La catastrophe du volcan de Colombie. Et surtout l’année 1989. Sautant d’un avion dans un autre. Une double dans LIFE avec la scission de l’empire soviétique de de la Tchécoslovaquie et de la Hongrie, la fuite des allemands de l’Est vers Budapest, le départ des troupes russes de Hongrie avec cette célèbre photo de la Cicciolina posant en robe verte devant les chars. Puis le mur de Berlin.

Eric Bouvet raconte : « Un soir, dans ma chambre d’hôtel à Berlin Est, je regardais la télé et Merillon fumait sur le balcon. Quand je vois des gens debout sur le mur, et au même moment, vous me téléphonez en espérant que nous étions devant le mur… Nous nous sommes précipités porte de Brandebourg. Nous étions seuls côté communiste avec les vopos d. Mais côté Ouest, des centaines de gens étaient agglutinés sur le mur que j’ai escaladé pour faire une vue d’ensemble. J’ai appuyé sur le déclencheur, mais comme pour tous mes confrères présents, l’émotion était trop grande pour faire la bonne photo ».

Eric, cette année là couvrit aussi le retrait russe d’Afghanistan et la révolution de velours en Tchécoslovaquie dont il garde un souvenir ému. « J’étais avec Mérillon à Prague quand vous m’avertissez que Dubcek mis à l’écart par les soviétiques a pris le bus pour revenir à Prague pour y diriger la révolution de velours. Effectivement, on le voit débarquer, seul, coiffé de son petit chapeau, avec sa valise en carton, pour aller prendre son métro. Quelle image ! Je shoote en noir et blanc, et Mérillon en couleurs. La belle plaque ! »

« Et oui, Gamma ce fut ça. Vivre des moments intenses. Ce métier, c’est ma seconde vie et Gamma  ma seconde maman. On y passait nos journées. En dix ans, j’y ai tout appris. Et quand j’en suis parti, malheureux, eh bien, j’y suis revenu pour diffuser les reportages réalisés en free-lance ou en commande. »

Eric Bouvet ne craint pas d’affirmer qu’il y a risqué sa vie de multiples fois. « Oui, j’ai eu peur. Souvent. En Tchétchénie, en Somalie, en Afghanistan, au Liban, en Yougoslavie, en Afrique, en Ukraine, en Irak ». Risquant sa vie pour 5 world press, 2 Visas d’Or, le Prix Paris-Match, celui des correspondants de guerre à Bayeux. Mais ces récompenses n’ont aucune importance pour cet espiègle, ce forcené de la photo choc.

« Dans mon placard, à l’Agence, j’avais deux sacs : un pour l’hiver, un autre pour les pays chauds ! Prêt à bondir dans un avion quand vous me le demandiez, m’avoue-t-il avec son large sourire d’éternel jeune homme. Un jour je suis arrivé de Moscou où il faisait -15°. A peine arrivé, j’étais le jour même dans un avion pour Haïti où il faisait 30° !»

« C’est ce que j’ai aimé à Gamma, la diversité. On passait d’un conflit à une conférence de presse. Du close-up d’un artiste à la première de Johnny Halliday. Il fallait savoir tout faire, être prêt. Et faire n’importe quoi pour y arriver. Je me souviens qu’un jour, Gamma m’a envoyé je ne sais plus où. J’arrive à Roissy, enregistre ma valise qui part sur le tapis roulant pour la soute, et l’employé d’Air France me dit ‘ah, zut, je viens d’être informé que le vol est fermé !’ Je lui réponds que ma valise ne peut pas partir sans moi, que je suis photographe à Gamma. ‘Ah, mais c est formidable ça. Attendez, suivez-moi !’ Et il m’entraîne par une porte dérobée, saute dans une 4L et m’emmène jusqu’à l’avion sur le tarmac. La passerelle extérieure venait d’être retirée ! ‘c’est trop tard, hélas, soupire-t-il.’ Je bondis hors de la 4L et me précipite devant le nez du jet qui avait déjà fait quelques tours de roues et s’apprêtait à quitter son emplacement. J’agite mes bras. Désespérément. Le pilote me voit. Il freine. L’employé d’Air France qui m’avait aidé fait rouler la passerelle. La porte du Boeing 707 s’ouvre. Je monte, le commandant de bord qui m’accueille prend le micro et dit à ses passagers : ‘Vous pouvez tous applaudir ce jeune homme qui a réussi à prendre son avion !’. Aujourd’hui, une telle scène est impossible. Tout est trop contrôlé. Mais il fallait être démerde. Et nous l’étions. Tous les Gammaboys l’étaient !»

Gamma, Une histoire de photographes
Publié par La Martinière
59 euros

http://www.editionsdelamartiniere.fr/

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