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Gilles Caron, le « Robert Capa français »

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Gamma : une histoire de photographes, une histoire d’agence, l’une des plus belles. Un livre aux éditions de la Martinière célèbre son 50e anniversaire. Il est formidable. Les textes d’Hubert Henrotte et de Floris de Bonneville sont somptueux. Toutes les semaines, L’Œil de la Photographie publiera quelques unes des images de ce qui fut la plus belle époque du photojournalisme. Aujourd’hui : une sélection des meilleures images de Gilles Caron.

4 juin 1967. Gamma va connaître son premier grand scoop mondial. Gilles Caron vient d’être envoyé en Israël par Monique Kouznetzoff pour couvrir la présentation de la première collection de mode de Sylvie Vartan.

Voyant une activité militaire intense, Gilles se rend très vite compte que quelque chose d’énorme va se produire. Il ramène ses films de mode par le premier vol Tel Aviv-Paris et retourne en Israël aussitôt. On est le 5 juin, la guerre des Six Jours vient de commencer. Moshe Dayan a lancé ses chars vers le canal de Suez et traverse le Sinaï en une matinée. C’est le baptême du feu pour Gilles. Il est exclusif. Paris Match publiera la bagatelle de 18 pages, reprises par la presse du monde entier. Après le cessez-le-feu, il retournera plusieurs jours au Sinaï, et racontera : « Entre Gaza et El Kantara, j’ai rencontré des hommes blessés, des Égyptiens à demi-morts de soif, à qui j’avais donné à boire deux jours plus tôt. Ils croyaient avoir fait 50 kilomètres, mais en avaient parcouru 3 ou 4. A aucun, je n’ai osé dire la vérité, je n’ai pu que les signaler aux Israéliens que je croisais. »

Ce formidable scoop le marquera profondément. Et grâce à lui, Gamma va désormais jouer dans la cour des grands. Gilles ne va plus s’arrêter, chaque jour, il lui faut un reportage, il ne sera jamais rassasié. En octobre 1967, il part à Hong Kong, le temps d’obtenir son visa, et poursuivra par le Vietnam. Ses images donneront le frisson, surtout celles des combats de la colline 875. Ainsi, le 2 décembre, je lui écris : « Gilles, quand je vois ces photos… Tu es fou, tu prends trop de risques, je t’en supplie, arrête. » Mais je ne lui dis pas que ses films ont failli ne jamais arriver, et encore moins qu’ils sont arrivés trop tard. En effet, en raison d’un incident technique, l’avion est resté bloqué à Marseille, où il faisait escale. Le paquet de Gilles est arrivé après le bouclage de Match. La semaine suivante, la colline 875 était passée aux oubliettes. Coup très dur, trop dur pour Gilles qui nous dira : « 287 Américains venaient d’y être tués, 887 autres blessés, et 1.377 Vietnamiens étaient morts. Quand je suis arrivé en haut, j’étais tout éclaboussé de sang, de chairs, de trucs… Autour de moi, des types avaient explosé. »

Pendant ce temps, naissait la seconde fille de Gilles, Clémentine Caron. Il restera au Vietnam deux mois et rentrera à Paris à Noël pour la voir. Mais en France, il se lassera très vite des petits sujets de l’actualité française. Alors, Floris de Bonneville va l’envoyer au Biafra. Une brève dans Le Monde, il sent qu’il risque de se passer quelque chose de grave. L’avenir lui donnera raison. Cette guerre au Nigeria fera 1 million de morts. A l’antenne officieuse du Biafra à Paris, un certain M. Auerbach, qui recrute des mercenaires, reçoit Floris. Son fils Marc, qui est journaliste, y a disparu. Il accepte d’envoyer un reporter de Gamma, sous le prétexte de retrouver Marc, qui restera malheureusement introuvable.

Gilles accepte, mais devant le risque d’une telle aventure, exige que Floris vienne avec lui. Les photos de Gilles vont encore faire le tour du monde. Parmi elles, celle d’un homme à vélo, un cercueil posé sur le porte-bagages, et celle d’un autre Biafrais à moitié nu, des roquettes attachées sur la tête, ainsi que d’innombrables images d’enfants faméliques.

A son retour, soudain, Paris s’enflamme. Nous sommes en mai 1968. Dès le 2 mai, à la première réunion d’étudiants à Nanterre, Gilles a senti qu’une révolution était en marche. Il va photographier uniquement en noir et blanc, jour et nuit, les événements côté étudiants. D’une manifestation à l’autre, il ne dort quasiment pas, et finira épuisé. Il est partout et « mitraille » de près, de face, de dos. Sa photo de Daniel Cohn-Bendit provoquant un CRS va connaître un destin incroyable, elle sera diffusée partout, et Cohn-Bendit avouera : « C’est Gilles Caron qui m’a définitivement fixé à l’histoire et fait de moi un mythe. »

Gilles continue à couvrir les affrontements. Sa photo d’un étudiant pourchassé de nuit par un CRS, du Vieux-Colombier, sera l’une des plus violentes. Autre image marquante, celle du 30 mai, où l’on voit au premier plan la tombe du soldat inconnu, avec sa flamme qui symbolise le sursaut gaulliste, André Malraux et Michel Debré debout devant elle. Gilles est seul face à l’événement. Lui seul a capté de cette manière cet instant fugitif de l’histoire. 70% des parutions dans la presse seront signées de lui, alors qu’il y avait des centaines de photographes…

Le 15 août 1969, j’apprends qu’il est parti en Irlande du Nord. C’est une décision qu’il a prise tout seul. Dans Le Monde, il a découvert qu’il risquait d’y avoir d’importantes manifestations à l’occasion des fêtes catholiques à Belfast et à Londonderry. Il ne s’est pas trompé. Les manifestations tournent à l’émeute sanglante. Même les journaux anglais vont publier ses photos.

Gilles retournera encore deux fois au Biafra. Début 1970, il va mener à bien son dernier grand reportage. Le journaliste rédacteur Robert Pledge veut couvrir la rébellion toubou qui fait rage au Tchad. Gilles l’accompagne et réussit à convaincre Raymond Depardon, avec sa caméra cette fois, et le journaliste de télévision Michel Honorin de se joindre à eux. Ils vont passer quatre semaines en captivité au Tchad, après être tombés dans une embuscade tendue par l’armée régulière tchadienne. Cet incident va sonner comme un avertissement. Gilles s’en ouvre alors à Raymond : « J’ai eu la baraka jusqu’à présent, mais il faut que j’arrête. J’ai pris trop de risques. Cette fois, j’ai bien cru qu’on allait y passer. »

Mais cette drogue de la guerre était trop forte. « Il était le Robert Capa français, » dira de lui Henri Cartier-Bresson. Un sacré compliment. Ses photos emblématiques ont fait le tour du monde. En à peine trois ans. Jamais le nom d’un photographe n’aura circulé aussi vite. Gilles informe Robert Pledge qu’il va partir au Cambodge, mais demande de ne pas en parler. Ce sera vraiment la dernière fois. « Je resterai à Phnom Penh, précise-t-il, je n’en sortirai pas, je ne prendrai aucun risque. »

Le prince Sihanouk vient d’être balayé par un coup d’État, le général Lon Nol a pris le pouvoir. Aussitôt, le Viêt-công et les troupes nord-vietnamiennes envahissent le territoire. Nixon donne le feu vert à l’armée américaine pour intervenir. Une nouvelle guerre s’engage. Gilles ne tiendra pas sa promesse. Sa passion du métier est trop forte. En arrivant au Bourget pour prendre son avion, le destin lui offre pourtant une ultime chance. Le vol est complet, et aucune réservation n’a été effectuée pour lui puisque son départ est confidentiel. Mais Gilles fait un tel scandale que la compagnie nie par l’accepter. En première classe. Il partira. Et n’en reviendra pas.

Dès son arrivée, il quitte la capitale et prend la route de Saïgon, tenue par les redoutables Khmers rouges, qui massacrent tout ce qui bouge. Il disparaîtra sans qu’on ne sache quoi que ce soit. Gilles n’a pas emporté sa carte de presse, ce qui est une véritable folie en pleine guerre. Huit jours après sa disparition, une équipe de télévision découvre sa voiture sur la route n° 1, contrôlée par les Khmers rouges. Elle se met à la filmer quand, soudain, les oiseaux se sont tus. « Ça ne sent pas bon », se dit l’équipe, qui fait demi-tour aussitôt. Ils sont suivis par deux motos, celles de deux journalistes américains dont Sean Flynn, le fils du célèbre acteur Errol Flynn. Au deuxième virage, plus de motos, les deux Américains feront partie des dix-sept reporters disparus au Cambodge.

Sur place, les journalistes enquêtent sans résultat. Ils ont probablement été stoppés, capturés, interrogés et menacés… Mais Gilles sera libéré, il va revenir, forcément revenir… Personne ne parvenait à croire à une disparition définitive, c’était inimaginable. À Gamma, c’est le choc. Pire chose ne pouvait nous arriver. Les mois qui suivirent allaient être glaciaux.

Hubert Henrotte

 

Gamma, Une histoire de photographes
Publié par La Martinière
59 euros

http://www.editionsdelamartiniere.fr/

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