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Éditions Louis Vuitton : Le Paris ironique de Feng Li

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Synonyme d’art de voyager depuis 1854, Louis Vuitton continue d’ajouter des titres à sa collection « Fashion Eye ». Chaque livre évoque une ville, une région ou un pays, vu à travers les yeux d’un photographe. Avec Paris, le photographe chinois Feng Li livre une vision sans fard de Paris, jouant des clichés et stéréotypes touristiques de la capitale.

Chacun sait que le Paris des petites rues et des cours poussiéreuses de Léon Atget n’existe plus. De la vision de Brassaï restent peut-être les brumes hivernales qui mordent la pierre de Saint-Maximin des immeubles monotones, ou les grandes enfilades de lumières perçues sur les hauteurs et qui dessinent encore nos boulevards, nos avenues. Du Paris de Jean-Loup Sieff, racontée dans cette même collection de Fashion Eye, que reste-t-il ? La grâce illusoire du charme, de l’élégance de ses femmes, quelques cafés où l’on s’ennuie.

Paris n’est pas mort, ou morte c’est selon. La ville vit avec son époque, tiraillée entre le poids de ses pierres, les habitudes de ses bistrots et l’impératif de son époque. Au grand dam des chevaliers de l’immuable, elle change et se transforme, elle se vend aux touristes ou vit dans ses marges, aux périphéries populaires. Et si la littérature fut un temps son griot naturel, elle a désormais pour oracle le cinéma, les séries et la photographie. L’image. Pour la travestir comme le voudraient de grosses productions américaines jouant sur ses clichés ; pour la raconter crue, vraie et dure comme le voudrait nos séries policières. Pour la noyer dans le flot ininterrompu et anonyme, comme le voudrait Instagram. Et parfois, dans ces images ressort une vision cohérente, de la justesse comme de la distance. Voici le Paris de Feng Li.

Feng Li officie comme photographe officiel au bureau de la propagande de Chengdu, capitale de la province du Sichuan. En marge des rencontres politiques, des empoignades convenues et des photos de groupe, il désaxe son appareil sur ses concitoyens et les montre dans leurs quotidiens. Ses travaux personnels, rassemblés en 2017 dans White Night (Jiazahi Press, 2017), sortent du cadre convenu et montrent ses concitoyens à la fête, à l’abandon, dans des poses rocambolesques appuyées par une lumière crue. Ses images révèlent une société délurée, pénétrées d’une dérision et d’une forme de folie à rebours des idées reçues de l’Occident.

Son livre le conduit à Paris, pour quatre mois, en résidence à la Cité des Arts en octobre 2019. Paris à cette époque implose et déborde. Grève à la SNCF, grève à Orly, grève des pompiers, révolte sourde contre la réforme des retraits et résurgences du mouvement des Giles Jaunes. Paris est une grande artère des manifestations, que Feng Li s’amuse à enregistrer. Il joue du contraste entre rues immuables ou patrimoine usité et accoutrements, déguisements et étrangetés des manifestants.

Autre curiosité dans ce regard, l’importance de la couleur dans une ville surqualifiée de grise, terne, morose et triste. Feng Li y trouve au contraire l’étrangeté de sa couleur : celle des repères de la voirie sur le bitume qui rappellerait les lignes de Sol LeWitt. Celle des tenues africaines, des textiles plastiques et doudounes synthétiques, des pâtisseries alléchantes. Celle encore plus symbolique du drapeau français, curieusement touffue et satinée des tenues de soirée, que l’on trémousse dans les cabarets, et autres bas-fonds misérables.

Avec cet œil-là, Paris devient une ville amusante tout en se départissant de sa singularité. Le photographe a plutôt cœur à découdre le mythe et son romantisme. Les Tuileries (re) deviennent un lieu d’exhibitionnisme. La tour Eiffel un vulgaire carton qui ne fait plus illusion. Il n’y a pas de bâtiments, pas de paysages, mais bien plutôt la platitude de la rue. Les passants sont pris dans des giratoires d’informations et le photographe regarde aussi bien son sujet de dos que de face. Une manière de montrer son anonymat, de rappeler la platitude de la vision du quotidien, tout en soulignant que l’étonnement du photographe, de celui qui sait voir, vient aussi de cette même ordinaire.

Le livre est composé des clichés parisiens entremêlés de ceux pris antérieurement par Feng Li. Paris reste pour autant prédominante. Quelques photos éparses soulèvent l’interrogation — que disent-elles ? ont-elles un sens ici, une forme d’ironie ou de message indécelable au lecteur — sans pour autant troubler la lecture générale de cette série.

Paris mise à plat dans ce rose bonbon des fêtes foraines… Paris crue dans son asphalte du soir… Paris dans la couleur des divertissements et la mécanique des plaisirs. Le tableau n’a certes pas l’élégance fantasmagorique du Paris romantique, mais ce Paris existe-t-il encore ? Il a plutôt le caractère étrange de l’ordinaire. Et de cette vision de Feng Li ressort l’affirmation d’un langage de l’image pénétrée par l’humour et l’ironie. Un langage délicieux et irrévérencieux.

 

Feng Li — Paris
Éditions Louis Vuitton, 2021
Collection « Fashion Eye », dirigé par Julien Guerrier
Édité par Patrick Rémy.
Graphisme de Lords of Design
Bilingue français-anglais, 96 pages.
Disponible en librairie ou en ligne

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