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C/O Berlin : Daido Moriyama

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L’institution berlinoise présente une rétrospective dense et intense du photographe japonais. De ses années photo-journalistiques à ses images érotiques en passant par ses interrogations existentielles, l’exposition retrace six décennies maîtresses d’une pratique hors-du-commun.

Moriyama a une approche complexe de la photographie et plus largement de l’existence. Né en 1938, le jeune garçon originaire de Osaka n’a que sept ans lorsque la Seconde Guerre mondiale se termine et grandit dans ce Japon de l’après-guerre sous coupole américaine. Dans les années cinquante, il décide de se lancer dans la photographie et commence à explorer les rues armé d’un Canon 4SB. Sans le savoir vraiment, Moriyama documente déjà une société japonaise en profonde mutation, en chemin vers l’occidentalisation, avec ses images floues, grainées, au cadrage imparfait : le style Moriyama est né.

“Japan, A Photo Theater” nous plonge d’emblée dans cet univers monochrome, sombre et frénétique. Après avoir quitté son nid pour Tokyo dans les années soixante, Moriyama est commissionné quelques temps plus tard pour documenter la vie d’un célèbre théâtre expérimental de l’époque. On ressent dans ces portraits de clowns et d’acrobates une identité forte dans des points de vue symptomatiques d’une façon de voir le monde qui l’entoure avec une certaine désinvolture. S’en suivent ses premiers pas dans la presse à la fin des années soixante, à une période où les États-Unis connaissent de nombreux vents de contestation. Les accidents et toutes sortes d’événements lugubres deviennent alors les sujets de prédilection de Moriyama. Ce qui le fascine, c’est ce que tous ces faits disent de la condition humaine, de cette société japonaise qui crépite de l’intérieur. Une naufrage pour évoquer la lutte de la nature contre l’homme ou encore l’inquiète disparition de villageois pour incarner la destinée fatale des campagnes. De savoureuses chroniques photographiques publiées chaque mois dans le magazine Asahi Camera.

Durant les mêmes années, alors que le magazine japonais Provoke entend bouleverser la photographie, Moriyama rejoint pendant deux ans ce mouvement qui taquine les bonnes mœurs. Il y publie des séries hautement érotiques, comme cette femme nue qu’il photographie en long et en large, dans les moindres positions et détails, avec toujours ces contrastes poussés aux extrêmes et ce dialogue tumultueux entre ombre et lumière.

L’admirateur de Warhol et Klein signe rapidement lui-aussi des œuvres iconiques, et l’on pense tout de suite au Stray Dog, ce chien inquiétant qui pourrait sortir d’un roman de ​​Conan Doyle devenu à son tour un emblème pop. Une attirance qui se traduit d’ailleurs explicitement dans sa courte escale en couleur. Néons, latex, flamme et publicité : des travaux méconnus qui apparaissent comme un bulle éclairée dans cet océan monochromatique.

En 1972, Moriyama fait ses adieux à la photographie et signe l’expérimental Farewell Photography qui réunit des photographies, des morceaux d’articles ou encore des réflexions personnelles dans un ensemble hors-cadre, devenu culte ensuite. Ce n’est que dans les années 80 que l’artiste japonais revient à la photographie avec Light and Shadow : des gros plans saisis au détour de la ville – le crâne d’un passant, le quart de visage d’un enfant ou encore une bouteille de soda vide laissant apparaître l’herbe au travers. Moriyama dissèque tout ce que la société lui donne à voir et par le même temps, la photographie tout en explorant ses propres troubles émotionnels.

Jusqu’à présent, Daido Moriyama n’a jamais cessé d’interroger le médium photographique avec lequel il aura toujours entretenu une relation ambiguë, d’amour et de haine – surtout d’amour. À contre-courant de l’idée qu’il faille sans cesse se réinventer mais plutôt proie à inventer avec ce qui existe déjà – référence à Labyrinthe publiée en 2012 avec des archives des années soixante à 2000, notamment de ses voyages dans les villes les plus inspirantes du monde. Sensualité, matières, humains, animaux et brutalité : on y retrouve tous les ingrédients esthétiques résolument modernes de celui qui aura osé trépasser les normes et les bouscule toujours aujourd’hui, à 84 ans.

Noémie de Bellaigue

 

Daido Moriyama à C/O Berlin jusqu’au 7 septembre 2023.

C/O Berlin
Hardenbergstraße 22–24
10623 Berlin
https://co-berlin.org/

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