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Bamako 2011: Christian Caujolle présente

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Il fait chaud sur Bamako, très chaud, et les 21° du matin semblent vraiment frais quand on a peine à s’habituer aux 35° de la journée. D’autant que le vent de sable, pourtant léger, vient envenimer la poussière ambiante et ajouter encore à la touffeur. Il y a pourtant deux jours, le matin, le brouillard noyait tout, près du fleuve immense sur lequel les pirogues des pêcheurs semblaient de délicates virgules estompées. Il n’en faisait pas moins chaud, même si cette brume persistante, dissipée comme un rêve ou un mirage le lendemain, a perturbé la circulation aérienne et encore retardé l’arrivée d’un Peter Hugo dont la venue depuis l’Afrique du Sud a été un véritable parcours du combattant. Conclu hélas par l’absence de ses bagages à l’arrivée, et entre autres du matériel photographique et de tirage destiné au workshop et au masterclass qu’il vient animer, à l’occasion des 9èmes Rencontres de Bamako, au Conservatoire des Arts et des Métiers Multimédia. Mais tout cela, comme tout, s’arrangera.

Il fait chaud sur Bamako, mais les milliers de motards, sans casque, pilotant leurs petits engins japonais sans prendre garde à quoi que ce soit se faufilent entre les voitures, les passants occupant toute la rue près du marché, les joggers inconscients et une concentration inhabituelle de chèvres, magnifiques, dont certaines semblent savoir que leur vie va s’interrompre le 7 novembre prochain, pour la grande fête de l’Aïd el Kebir. Elles remplaceront les moutons dans les familles les moins fortunées. Les chèvres, si elles étonnent par leur nombre, ne détonnent pas vraiment dans cette ville où les animaux sont souvent au rendez-vous. Outre les petits ânes gris qui tirent leur carriole en trottinant dignement et ignorent les fumées d’échappement, la capitale malienne cultive un goût prononcé, de rond point en rond point, pour d’imposantes sculptures en bronze dont les hippopotames ne sont pas les moins remarquables, avec l’intérieur de leur gueule peint en rouge. Et, partout, dans les petits parcs, dans les cours des bâtiments publics, buffles et surtout gazelles en béton peint semblent plantés là depuis toujours, et pour toujours. Insolites, devant le bâtiment moderne qu’une conception absurde transforme en invivable sauna du Mémorial Modibo Keita, près du Monument de la Paix où une immense colombe protège un petit globe terrestre, trois crocodiles en béton, perdus, gisent au fond d’une fontaine sans eau. Ce sont eux qui accueillent, involontairement, les visiteurs d’une partie des expositions de la Biennale, essentiellement répartie en cinq lieux. Au Mémorial, en cinq moments, on peut se faire une bonne idée des orientations de cette édition dont le sous-titre, « Pour un monde durable » semble plus opportuniste que photographique, mais rencontre une réalité bien présente, celle de la pollution, de l’exploitation incontrôlée des richesses naturelles, de la mise en déséquilibre de l’homme par rapport à la nature et dans le développement chaotique des villes qui génèrent leurs exclus, de tous âges. Dans les salles modernes, mais bien peu pratiques pour l’accrochage, l’angoisse monte par moments lorsque les murs en béton armé refusent obstinément que les gros clous acceptent de se fixer pour installer les cadres quand la chaleur refuse que le meilleur scotch double face adhère à la paroi. Mais tout cela, comme tout, s’arrangera. Et l’on pourra apprécier, dans leurs grands formats et cadres venus de Paris ( DUPON et PICTO partenaires, CIRCAD pour la mise en forme) les prises de position de Georges Osodi face au désastre écologique et humain de la pollution du delta du Niger par l’exploitation pétrolière, la violence photographiée avec élégance et sensibilité de « L’enfer du cuivre » au Ghana, quandNyaba Léon Ouedraogo s’immerge dans la plus grande des décharges de déchets électroniques ou la finesse tremblée, aux couleurs vibrantes, d’un monde qui se reflète dans les eaux usées de Kinshasa, charriant paludisme et fièvre typhoïde sous le regard de Kiripi Katembo, étonnamment calme dans sa dénonciation muette. Au même endroit, sous forme d’images fixes et de grandes projections, on trouvera également l’écho, indispensable, de l’actualité du « Printemps arabe », en particulier en Tunisie et en Egypte. Les photomontages ironiques de Nermine Hammam au Caire ou les collages participatifs du Artocratie, Inside Out de JR en Tunisie, tout comme les montages vidéo de Faten Gaddes et Khaled Hafez disent à quel point il n’est pas indispensable de se limiter aux documents d’actualité. Belle ouverture.

En allant d’un lieu à l’autre, en tentant de trouver des raccourcis pour déjouer les embouteillages qui n’épargnent même pas l’immense Pont des Martyrs enjambant le fleuve et où cohabitent taxis collectifs, motos et piétons, on passera parfois devant une fresque qui rend dérisoire les centaines de mètres de Coca-Cola blanc et rouge habillant les murs : en jaune éclatant et rouge, énorme, une publicité vante les bienfaits de Maggi qui affirme que « Chaque femme est une étoile ». Il faudra bien vingt minutes pour s’extraire de l’enchevêtrement de véhicules du rond point jouxtant le Musée du District, mais cela en valait la peine. A l’étage, tout en rond, un bel accrochage de David Goldblatt met face à face sa documentation sur Johannesburg et ses portraits, accompagnés de textes précis et copieux, des délinquants sortis de prison qu’il a photographiés sur le lieu de leur forfait. Quelques couleurs, impeccables de précision et de justesse, donnent un point de vue qui renforce encore le sentiment que l’histoire du pays de l’apartheid n’est pas réglé, loin s’en faut et que, à quatre-vingts ans, le grand maître du documentarisme engagé poursuit sa route avec une constance qui pousse au respect. Au rez-de-chaussée, dans une salle toute noire, les «Pêcheurs de nuit» de Abdoulaye Barry surgissent doucement de la pénombre dans des couleurs rares. Mais il faudra attendre le jour du vernissage pour voir vraiment, parce que l’interrupteur est caché derrière un cadre et n’est pour l’instant pas accessible. Mais tout cela, comme tout, s’arrangera. Encore que la visite à la lueur de loupiotes de téléphones portables puisse être un concept à réutiliser.

Il y a des expositions à l’Ina ( Nii Obodai pour un Ghana en noir et blanc très fin mais inégal), à l’Institut Français, Les chasseurs de Philippe Bordas, remarquables, mais qui ne seront accrochés qu’au dernier moment. Comme nous consacrerons l’intégralité de la semaine aux Rencontres de Bamako et présenterons tous les artistes, filons, avant que la circulation ne soit entièrement paralysée, vers le cœur stratégique du festival, le Musée National du Mali.

C’est là que Samuel Sidibé, directeur du Musée et Délégué Général de la biennale travaille. Inlassablement. Il doit tout surveiller, régler, y compris des problèmes de visa de hautes autorités françaises qui semblent s’y être mal prises tout en motivant un balayeur en continuant à répondre sur son portable. Et son bureau est une ruche. Une sorte de squatt et de ruche. On y croise aussi bien ses collaboratrices que Laura Serani et Michket Krifa, les directrices artistiques, que Catherine Philippot venant prendre un rendez-vous pour un journaliste, qu’un artiste arrivé à l’avance et venu saluer. Samuel répond à tous, courtois, affable, efficace et calme.

Le Musée, dans le parc qui a ouvert ses portes il y a un peu plus d’un an et dans lequel des architectures en terre, modèles réduits – mais à une échelle parfaite – présentent des lieux remarquables de l’architecture du pays va accueillir de grands tirages sur bâches montés sur des structures en bois, un accueil, des studios, des ateliers. Malgré la chaleur, malgré le sable, on construit, on déplace. Il faut que tout soit prêt pour recevoir les nombreux artistes, invités et journalistes d’une manifestation phare dont le budget est tout de même d’un million d’€uros. Parfois, c’est difficile, avec toute cette chaleur. Mais on reprend, et tout s’arrange.

Il fait plus frais dans les salles à air conditionné – mais moins réfrigérées que certaines salles de restaurant tendance igloo … – et les choses se mettent bien en place. A noter l’exposition patrimoniale avec Soungalo Malé (une révélation), Abderramane Sakaly et Malik Sidibé pour rappeler avec bonheur que la récupération de la mémoire visuelle se poursuit et que le questionnement de l’histoire reste d’actualité. Pour la première fois, Sindika Dokolo, africain, homme d’affaires et grand collectionneur, montre une partie de ses trésors, photo et vidéo, sélectionnés par Simon Njami. Un signe de maturité, incontestablement.

Mais le cœur du festival, c’est évidemment la grande exposition panafricaine, copieuse, diverse, dans un parcours bien structuré par le scénographe Franck Houndégla. 45 photographes, 10 vidéastes, issus de 27 pays, autrement dit une grande ambition. Qui a l’avantage de laisser place à la diversité des points de vue esthétiques tout en affirmant clairement des auteurs. Il apparaît évident que cette photographie est engagée, produite par nécessité, que si elle se préoccupe de la justesse de sa forme, elle ne recherche pas le décoratif. Les portraits questionnent l’identité, même s’ils sont intériorisés, les paysages – il y en a énormément – sont des points de vue, sur la dégradation de l’espace, sur sa construction, sur ses enjeux et ne se satisfont pas de simple beauté, les approches documentaires, nombreuses, sont tendues entre le constat radical et le cri, mais contrôlé, justement dénonciateur et sans effet. On en ressort avec le sentiment d’une Afrique qui se dit, même si elle est diverse, terriblement diverse. On en sort également avec l’impression d’une force de la photographie à l’œuvre et d’une dynamique opérant par pure nécessité. Ce n’est pas rien.

Avant que vous ne les retrouviez tous, évoquons en deux, pour des raisons différentes. François Xavier Gbre, venu de Côte d’Ivoire, et qui vient de s’installer à Bamako. C’est lui qui va accompagner visuellement La Lettre, être son œil. Il présente dans l’exposition de grands formats, à la chambre, en couleur, précis en diable, frontaux, imparables et jamais bavards. Radicaux, comme ses deux vues de la piscine désaffectée de Bamako dont il semblerait que, à part des clichés amateur, n’existent pas d’images. Non loin de là, les grands formats carrés de Daniel Naudet proposent de superbes portraits en pied d’animaux. Vraiment étonnants, magiques. Il y a plein d’animaux à Bamako, même en photos.

Christian Caujolle

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