Qu’on nous pardonne cette légère digression par rapport à l’objet de Zineland, qui se penche cette semaine sur un livre de photographie au format plus classique. Mais le Dark Knees de Mark Cohen a lui-même tout d’une digression : comme il y a la race des nerveux il y a celles des promeneurs, des Robert Adams et des William Eggleston entre autres, arpentant jour après jour les mêmes voisinages d’une américaine périurbaine et anonyme. Mark Cohen en fait partie.
Dans ses images, les rues de Wilkes-Barre, petite ville de Pennsylvanie, prennent l’allure d’un carnaval des fous où une cuillère au sol a la même intensité dramatique que des bras d’enfants ou que trois pommes posées sur une grille de mots croisés ; aucune, à priori. Seulement voilà, en projetant son appareil à bout de bras, en ne cadrant pratiquement jamais de visage, en flashant ses sujets en plein jour, Mark Cohen fait basculer le spectateur dans l’angoisse du déséquilibre et de la sourde menace d’une insurrection du quotidien.
Comment croire plus de quelques secondes, en la fixant attentivement, à l’innocence affichée de cette carte à jouer tombée sur le macadam ? Il y a forcément une âme à ces objets animés, et un trouble chez celui qui jamais ne regarde ses sujets vivants dans les yeux et dresse l’inventaire utilitaire de ses dernières prises (« Main de garçon et fourmi », « deux filles en robes », « genoux sombres » « rideau devant la fenêtre », « doigt et buste ») comme un extraterrestre recensant les excentricités infra-ordinaires de la planète Classe Moyenne..
Une des qualités de ce magnifique livre de Xavier Barral c’est d’avoir appuyé le déséquilibre en imprimant les images de Mark Cohen dans le sens de la hauteur, comme si d’elles-mêmes, elle se refusaient à une narration classique et linéaire. Beaucoup plus, donc, qu’un complément à la belle exposition récente du Bal sur ce même corpus.
LIVRE
Dark Knees, Mark Cohen
Editions Xavier Barral
46 euros
Relié, 170 x 240 mm
188 pages
