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Sam Stourdzé, le nouveau directeur des Rencontres d’Arles

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A peine quelques jours après sa prise de fonction, le nouveau directeur artistique des Rencontres d’Arles, Sam Stourdzé, donne l’impression de ne pas avoir tout à fait atterri. Nous prenons le temps de découvrir ce qui continuera d’être au cœur du projet arlésien, la  “rencontre” dont il nous dit qu’elle est cruciale pour la pérennité du festival. S’il semble aguerri au rythme des discours policés, il livrera néanmoins des envies et des desseins forts pour l’avenir de la photographie, qu’il pense davantage en terme d’image. Ce qui semble a priori contradictoire se fait plus précis par la suite. En effet, le sourire badin, ce cinéphile invétéré affirme ne pas vouloir s’inscrire nécessairement dans la rupture ou dans la continuité, mais bien en orchestrateur des “artistes”et de la diversité de leurs pratiques. « Il serait plus facile, avoue-t-il, de brandir des pancartes en annonçant un changement révolutionnaire. » Mais cet enfant de la photo prend le temps d’expliquer : les choses ne sont pas si simples.  On découvre un fervent défenseur du territoire arlésien, un culturophage animé par des vœux pédagogiques surpassant les frontières régionales. Il se méfie des postures et rappelle la fonction “sociale” du festival : « C’est un lieu où l’on personnifie beaucoup, vous savez », insiste-t-il. Explorer toutes les formes possibles de l’exposition, constituer un vaste laboratoire, décloisonner les disciplines pour les faire dialoguer, telles seront les priorités, avec en fil rouge, de l’image en mouvement et du son. Son but : « Aller débusquer la photographie là où on ne l’attend pas. »

Comblé au musée de l’Elysée de Lausanne, qu’il a dirigé durant près de cinq ans, Sam Stourdzé admet qu’il n’aurait jamais quitté ce lieu idyllique s’il n’avait été question pour lui de participer au mythe que représente les Rencontres d’Arles à ses yeux. Son défi : transposer son expérience muséale à l’échelle d’un festival pour « dépasser le territoire du musée et se déplacer vers celui de la ville ». Il ajoute : « Ce fut moi, mais ça aurait très bien pu être quelqu’un d’autre. On se connaît tous. Il y avait vraiment des gens de qualité parmi les postulants ! » Dans cette nouvelle aventure, il se dit investi d’une « responsabilité » :  continuer à offrir au festival le rayonnement dont il jouit maintenant depuis de nombreuses années, mais aussi veiller à ce qu’il ne « disparaisse » pas. Car il le pense fort et fragile à la fois, notamment parce qu’il n’est pas totalement institutionnalisé. « J’avais également envie de défendre une nouvelle approche de la photographie qui n’est pas incompatible avec le fait de revenir à des fondamentaux. Qu’il s’agisse de pratiques contemporaines ou d’approches plus historiques, ce qui m’intéresse c‘est de pouvoir les revisiter, les unes comme les autres. » La rétrospective Stephen Shore prévue pour la prochaine édition, par exemple, s’inscrit dans cette idée : « Le fait que Stephen Shore soit un incontournable ne suffit pas. En revanche, savoir qu’il n’y a jamais eu de rétrospective le concernant aux Etats-Unis, ni en Europe, revenir à ses débuts à la Factory et aux multiples influences qu’il a pu susciter, c’est cela qui permet de poser un nouveau regard sur son œuvre. »

Il faut dire que pour avoir le rôle, le jeune prodige n’a jamais démérité. Dès l’âge de 25 ans, il commence une activité de commissaire d’exposition indépendant. Vocation qu’il épouse avec une réelle conviction. Quinze ans plus tard, cet ancien pensionnaire de la Villa Médicis à Rome compte déjà à son actif d’importantes expositions, dont Chaplin et les images, ou encore Fellini, La grande parade, respectivement présentées au Jeu de Paume à Paris en 2006 et 2011. De 1996 à 2010, il crée et dirige la société NBC Photographie, puis NBC Editions, lui permettant de développer une activité de production d’expositions et d’édition. Il fut membre du Conseil d’orientation de la Fondation Henri Cartier-Bresson, pour laquelle il organise rencontres et conférences de 2005 à 2010. Puis membre du Collège de l’Institut de recherche et d’innovation (IRI) du Centre Pompidou (2007-2009), ainsi que du Conseil d’administration de la Société française de photographie (2000-2012). Parmi ses activités “satellites”,  il participe également à l’orientation des Rendez-vous de l’histoire de Blois (1999-20003), dirige la collection de photographies aux éditions Léo Scheer (2001-2004), fait du conseil auprès des collectionneurs, et particulièrement auprès du producteur Claude Berry, qui cherche alors à développer un espace capable d’accueillir sa collection. Il enseigne parfois, rédige textes critiques et monographies, lance la revue ELSE en 2011, le magazine « de l’autre photographie ». Mais créer des expositions continue d’être son principal moteur. « Ma chapelle, dit-il, c’est l’exposition, c’est l’image. Et ma vocation, c’est de réaffirmer qu’une exposition est avant tout une démonstration visuelle conçue avec l’aide de gens capables de la penser et d’artistes venus la nourrir. »

Sam Stourdzé s’amuse quand on lui demande à quel clan il appartient et répond, ironique, une pointe de malice au coin des lèvres : « Je suis sans famille. » Il explique aussi être l’une des rares personnalités du monde de la photo à ne pas être passée par l’agence Magnum avant de se retrouver à la tête d’une institution. « Mais cela me paraît naturel, ajoute-t-il,  l’agence est l’un des acteurs majeurs du paysage de la photographie et les photographes qu’elle représente, parmi les grands noms qu’on lui connait. Simplement, ma trajectoire est différente, et mon histoire toute autre. » Conscient que son passage ne représentera qu’une petite partie de l’histoire du festival, c’est davantage en dépositaire de celle-ci qu’il se voit. Humble, ce n’est pas en terrain conquis qu’il envisage d’accomplir sa mission. Car le festival est, selon lui, une caisse de résonnance, un trait d’union entre les artistes, leurs pratiques et le public. Loin des us et coutumes d’un musée, des enjeux commerciaux d’une foire, Arles, c’est avant tout, pour lui l’occasion « d’arpenter la ville et vivre une expérience globale à travers elle ». Mais c’est aussi l’opportunité de laisser aux artistes la liberté de prendre des risques et de constituer la mise en place d’un vaste laboratoire d’idées et de formes. « La photographie, énonce-t-il, a besoin d’être dans ce flux permanent et d’évoluer avec en tête, l’idée de se réinventer en permanence. C’est fascinant le renouveau qu’elle a pu connaître ces dernières années. Et avec 50 expositions au total, vous avez intérêt à vous renouveler et à être bien entouré ! »

Celui qui dit ne pas avoir de discours établi sait pourtant fort bien ce qu’il entend faire. « Mon but ultime, dit-il, c’est de proposer des choses surprenantes et excitantes autour de la photographie, de l’image et des questions de représentations. A travers les enjeux de la photographie, défendre une approche qui, juxtaposée à une histoire esthétique, puisse être complétée d’une histoire culturelle au sens large. Mon mot d’ordre, c’est de décloisonner. Que la photographie reste ce qu’elle est mais qu’à travers elle, se superposent des résonnances avec le cinéma, la musique, l’art et la pensée de façon générale. » Mais pas question pour lui d’opérer seul. Il faut des interlocuteurs avec lesquels échanger et interagir. « Et c’est cette écriture-là que je veux mettre en place », affirme-t-il. Pour lui, l’expérimentation du commissariat d’exposition doit se nourrir de cette transversalité : imaginer des trinômes, comme il l’explique, constitués par exemple d’un curateur, de l’artiste lui même et d’une personnalité issue du monde des idées. « C’est un vocabulaire, une écriture, un langage, que de monter des expositions. Godard disait : pour faire des films, il faut faire, faire et faire. Et bien, il en va de même pour le commissariat d’exposition. »

Celui qui aime plus volontiers parler “d’artistes” que de “photographes” et dit ne pas se voir comme un « justicier de la photographie » souhaite intervenir en amont auprès d’eux. « Arles est un formidable vivier de photographes, mais si l’on n’aide pas ces derniers à trouver des moyens de production qu’ils obtenaient auparavant ailleurs, nous aurons échoué quelque part. Nous avons un vrai rôle à jouer en ce sens. Maintenir cette belle plateforme de diffusion que sont les Rencontres, mais développer en parallèle un pôle de production est tout aussi essentiel. » Mais s’il devient indispensable d’aider la création contemporaine à s’épanouir, à nourrir la diversité des regards, il doit en être de même pour le public qui la découvre. Quand on lui demande laquelle de ces deux tâches devra primer sur l’autre, entre celle de directeur administratif et celle de directeur artistique, Sam Stourdzé répond « qu’il ne veut pas avoir à choisir de casquette ». Car « au-delà de fédérer autour d’un projet un certain nombre d’acteurs, de partenaires publiques ou privés, le festival est à un acteur culturel, certes, mais aussi un acteur social. Moi, affirme-t-il, je travaille pour les deux. Pour les artistes et le public. Il y a une vraie nécessité d’expliquer notre action, de s’accaparer des outils pédagogiques afin que sur les 100 000 visiteurs par an, ceux pour qui ce sera peut être leur seule exposition de photographie de l’année, puissent en ressortir en ayant vécu une réelle expérience ». Car le festival s’inscrit dans un territoire dont Arles s’est fait une spécificité : « Il a un rôle à jouer auprès de toutes ces communautés qui constituent la ville. Une histoire à raconter, un message à faire passer. » Dix mille élèves provenant de la commune ou de la région reçoivent déjà une formation de lecture à l’image. Il précise : « Je suis frappé de constater la gamme d’outils existants nous permettant d’être critique à l’égard de l’écrit et d’être si dépourvus lorsqu’il s’agit de l’image. Notre époque a littéralement basculé d’une société de l’écrit vers une société du visuel. Il me paraît alors plus que légitime de poursuivre cet apprentissage afin que le plus grand monde puisse la lire de façon autonome. »

Or, tout ceci, dit-il, ne peut exister qu’avec l’aide d’une équipe de “combat”. Cela, Sam Stourdzé l’a bien en tête. Il s’agit « d’une formidable machine en accordéon », qu’il apprend à connaître et qui se déploie au fur et à mesure que l’été approche. Pour l’heure, pas de remaniements en vue. Il écoute, prend le temps de connaître ceux grâce auxquels tout s’incarne. Et se dit “porte-parole” d’un projet défini collectivement. Pour le reste, et plus précisément au sujet de la récente polémique concernant l’avenir des lieux attribués aux Rencontres, il préconise de rétablir des rapports de confiance entre le Festival et la Fondation Luma, mais aussi bien au-delà. « On peut mettre en place une relation nettement plus étendue et davantage en synergie avec l’ensemble des acteurs liés à la ville, et ouvrir ainsi le champ à tous les participants. Et ce sera grâce à cela, qu’ensemble, nous continuerons les dix prochaines années, à réinventer cette ville.» Il ajoute : « Vous savez, je n’ai pas non plus besoin de 50 lieux ressemblant à un musée, sinon je serai resté au Musée de l’Elysée… »

Sam Stourdzé a raison de souligner que sont bien nommées les Rencontres de la photographie. En effet, il semblerait bien que ce soit sous le signe de l’échange qu’il entend conduire ce festival. Dans la lignée de ce qu’il a toujours imaginé pour lui. Pour preuve, sa première fois à Arles : « J’étais jeune stagiaire dans une galerie à l’époque. J’avais conduit un camion qui descendait spécialement pour l’occasion à Arles. Arrivé à destination, éreinté, on m’avait conduit place du forum. J’étais assis en train de boire un pastis entouré de cinq ou six personnes quand je m’aperçus que mes voisins de table n’étaient autres que Ralph Gibson et Helmut Newton. J’étais émerveillé, j’avais 20 ans. Bien sûr, je n’ai pas dit un mot ce soir-là, mais je reste convaincu que cela a participé à la construction de ma vocation. (…) Ce que je souhaite, c’est que le festival continue d’être cette occasion exceptionnelle de côtoyer les grands noms de la photographie, grâce à son échelle humaine mais aussi, grâce à tout ce qui se trame hors expositions. Et c’est pourquoi, pour répondre aux suggestions recueillies par votre sondage, je ne crois pas en la dématérialisation de ce festival. Car rien ne peut remplacer une rencontre qui a lieu en direct. »

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