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Roger Mayne, figure de la photographie britannique de l’après-guerre

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Cette petite exposition à la Photographer’s Gallery de Londres montre des photographies de Roger Mayne parmi ses plus célèbres, dont ses images de rue dans Southam Street. L’Angleterre que décrit Mayne est un pays qui vit par bien des aspects une transition: de l’austérité et du dénuement de la guerre, aux immigrations de masse et à l’émergence d’une « culture jeune », concept qui nous est familier aujourd’hui, mais qui était très nouveau dans l’époque d’après-guerre.

Ses photographies de rue n’ont pas la composition géométrique de celles d’un Cartier-Bresson, mais elles parviennent brillamment à saisir l’atmosphère de l’époque. Mayne a pris notamment des photos d’enfants dans les rues de Londres, et d’autres villes, dans les années 1950 et 1960 – chose qui lui attirerait sûrement des ennuis s’il le faisait aujourd’hui. Ces clichés respirent l’innocence. Ce qui est incroyable, c’est bien l’insouciance de ces enfants, que le photographe parvient à surprendre dans leurs jeux et interactions, comme s’il n’était pas là. Il a dû lui falloir de longues heures d’attente, jusqu’à se rendre quasi-invisible aux yeux de ses sujets. C’est d’autant plus surprenant que Mayne utilisait un appareil Ikonta à soufflet, ce qui n’est pas le premier choix qui vient à l’esprit pour la photo de rue. C’est ainsi la preuve de ce que l’on peut obtenir quand on est passionné.

Ce qui apparaît clairement dans cette exposition, c’est que Mayne a fait des choix conscients pour échapper au style “graphique”. Il voulait surtout saisir des instants sur le vif, et c’est un choix artistique très marqué, car l’exposition prouve qu’il pouvait réussir des clichés graphiques s’il le désirait. Il donne au contraire un rendu très granuleux à ses images, ce qui leur a valu de figurer abondamment sur les couvertures de livres de poche Penguin consacrés aux sciences sociales, dans les années 1970. Les enfants deviennent rapidement de jeunes adultes, aussi est-ce tout naturel que Mayne se soit intéressé à l’émergence de la culture jeune. On remarquera notamment combien ses danseurs adolescents photographiés dans le quartier de Park Hill à Sheffield au début des années 1960 semblent innocents comparés à la norme actuelle. Et pourtant, cette culture adolescente a causé une grande appréhension au sein de la population de l’époque, ce qui se trouve brillamment symbolisé dans l’un des clichés les plus connus de Roger Mayne, Teddy Boy and Girl, Petticoat Lane 1956, duquel émane une atmosphère de menace planante. Plusieurs photos du quartier de Park Hill figurent dans l’exposition, mettant en avant la présence imposante des immeubles construits sur une colline au-dessus de la ville, un véritable emblème de l’optimisme de l’après-guerre concernant les logements sociaux, entreprise qui tourna au désastre social en l’espace de vingt ou trente ans. On perçoit déjà les signes précurseurs de ce qui se prépare, par exemple le verre brisé de la porte d’un hall d’immeuble. Aujourd’hui, ces logements sont réaménagés pour devenir des appartements privés. Paradoxalement, les images que Mayne a prises de l’émergence de la « culture jeune » paraissent bien plus anciennes que ses photos de messieurs de la City qui datent de la même époque.

L’exposition donne aussi à voir une belle sélection des photos de l’usine de cycles Raleigh à Nottingham, prises à peu près au moment où l’écrivain britannique Alan Sillitoe écrivait sur la vie de la classe ouvrière de cet endroit, au début des années 1960. Ici, Mayne a utilisé le style graphique qu’il évitait soigneusement pour sa photographie de rue. On retient surtout deux superbes portraits d’ouvriers entourés de roues de vélo et de jantes où l’utilisation de la lumière des lieux est magistrale. Il n’y a guère de doute sur les intentions artistiques du photographe : plusieurs lettres sont exposées, adressées au conseil des arts de Grande-Bretagne, et au critique d’art Kenneth Clarke, demandant que la photographie soit reconnue comme art. Les réponses, typiquement évasives, sont également reproduites. Ces écrits datent du début des années 1950, époque où en Angleterre la photographie était largement considérée comme une activité purement utilitaire, et non artistique. Roger Mayne était véritablement un pionnier dans son domaine.

L’exposition se conclut par une sélection de ses travaux couleur consacrés au thème des loisirs des Britanniques présentée sur cinq écrans, à l’aide de cinq carrousels de projection Kodak, au son d’une musique d’ambiance des années 1960 particulièrement bien adaptée. Cette installation montre que la photographie couleur de Mayne mérite d’être connue d’un plus large public. Espérons que quelqu’un, quelque part, aura l’idée de poursuivre dans cette direction. En tout cas, c’est tout à l’honneur de la Photographer’s Gallery de proposer cette exposition ouverte jusqu’au 11 juin.

Nick Davis

Nick Davis est auteur, photographe et enseignant à Swindon, en Angleterre.

 

Roger Mayne
Du 3 mars au 11 juin 2017
The Photographer’s Gallery
16-18 Ramillies St, Soho
London W1F 7LW
Royaume-Uni

http://thephotographersgallery.org.uk/

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