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Robert Capa : Capa au 37

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Au commencement, étaient les « habités » du 37 !

Alberto Giacometti, Ata Kando, Ré Soupault, Robert Capa, Emile Muller, Bernard Matussière … C’est par ce mot si juste qu’un jour, Henri Cartier-Bresson salua par écrit le travail de mémoire de ce dernier : « à Bernard, d’un autre habité de la rue Froidevaux et en souvenir de Capa. Très cordialement, Henri. » Pourquoi ? Le 37 est une île au milieu d’un océan de création.  Sis au cœur de Montparnasse, LE village artistique du XIVe arrondissement s’est développé autour de la Grande Guerre, avant et après, grâce aux peintres de la prestigieuse « École de Paris » avec ses pensionnaires de la Ruche (un peu plus loin, rue de Dantzig dans le XVe) ; École qui attira comme des mouches les étudiants de l’Académie de la Grande Chaumière venus du monde entier rejoindre « La Ville Lumière » (appelée ainsi depuis le XVIIe siècle, en raison de son éclairage public… pas de ses intellectuels !). Ce sont ces artistes devenus locataires dans les ateliers de ce quartier de choix, qui vont attirer écrivains, sculpteurs, graveurs, modèles, modistes, architectes, compositeurs, musiciens, chanteurs, cinéastes, éditeurs, poètes, journalistes…et photographes sous l’égide des Arts Déco (Exposition internationale de Paris de 1925). À cet âge d’or des artistes, tous se pressaient le soir venu aux terrasses des grandes brasseries du boulevard du Montparnasse – les authentiques phalanstères et « distilleries de l’esprit » de ce village, du Dôme au Select, de la Coupole à la Rotonde en passant par La Closerie des Lilas.

Pas besoin de préciser que les ateliers étaient très recherchés ! Une aubaine pour les promoteurs de l’époque. Le numéro 37 de la rue Froidevaux réunissait à cette adresse, dans la cour plus que sur la rue, moins d’une dizaine de studios d’artistes depuis le début du XXe siècle. Un petit familistère des beaux arts. « Un ramassis de fauchés, de chercheurs magnifiques de l’inutile, inventeurs et contributeurs de la modernité du XXe siècle » écrira un critique d’art américain de passage. Cet extravagant et bouillonnant entre-deux-guerres est aussi sûrement habité par cette avant-garde, que leurs ateliers tournés vers l’Est dont la lumière éclaire encore leurs œuvres… et notre présent.

 

Et puis, il y a les « allumés », les « fêlés » du 37 !

Des fondus d’histoire de l’art parnassien, gardiens d’une mémoire engloutie. Dans les ruines de la maison sur la cour, aujourd’hui détruite, de son maître d’apprentissage en photographie Emile Muller, Bernard Matussière a retrouvé les dépouilles de l’Atelier Robert CAPA. À vous et pour vous, visiteurs privilégiés, une partie de ces trésors méconnus sont présentés, à guichet fermé. Une grande première ! Sur une idée de la mairie du XIVe arrondissement, Alizé Le Maoult, photographe et commissaire est venue nous proposer cette exceptionnelle journée d’exposition, dans le cadre du Mois de la Photo à Paris. Grand merci à eux de cette belle et heureuse initiative.

En effet de mars 1937 à 1939, c’est ici que André Friedmann (Budapest, 1913 – Indochine, 1954) a préfiguré avec ses amis Chim, Taro, Stein, Weiss, Cerf, etc…  ce que deviendra Magnum Photos en 1947.

Comme l’a indiqué Patrick Modiano – autre « fêlé » du 37 –  le prix Nobel de littérature amoureux des Bottins téléphoniques, Robert CAPA figurait bien dans l’édition 1938 de l’annuaire parisien du XIVe. Son numéro était DANTON 75-21 et il ouvre « Chien de Printemps », écrit en 1993.

Avec Bernard Matussière, qui a l’extrême gentillesse de nous accueillir, photographe qui possède son propre studio de prise de vue dans cette cour, mais aussi Michel Lefebvre, journaliste au « Monde » et fou d’Espagne, nous avons écrit à deux reprises l’histoire de ce lieu. Dans « Robert CAPA. Traces d’une légende. (1933-1954) » qui constitue son unique biographie française, nous avons raconté la vie parisienne de ce Hongrois devenu Américain. Puis, dans le catalogue raisonné de « La Valise Mexicaine » au chapitre de son origine, forgée ici, au 37 rue Froidevaux, nous nous sommes attachés à expliquer les conditions de production de ce qui est devenu une œuvre en soi.

Bienvenue en archéologie du photojournalisme, petite branche fondamentale des Capas’s Studies !

Arrivé en exil gare de l’Est à Paris, à l’automne 1933, fuyant le fascisme à la veille de ses vingt ans – Endre Ernő

Friedmann ne possède qu’une mince valise et son Leica I à objectif fixe, qu’un ami lui a offert à Budapest. Mais son bagage est riche de son expérience photographique berlinoise à la coopérative Dephot ; de ses racines culturelles hongroises et d’un sens inné du contact, malgré l’obstacle des langues étrangères.

Quatre années après être descendu du train, alors anonyme et misérable, il franchit le portail du 37 rue Froidevaux sous le pseudonyme de Robert Capa (depuis avril 1936). Le voici devenu, à l’aune de sa couverture de la Guerre d’Espagne, « le meilleur photographe de guerre au monde » selon ses amis hongrois du « Picture Post » de Londres, et à même de créer sa toute première entreprise. Dans son petit studio du second étage, il monte de toutes pièces « L’Atelier Robert CAPA », avec laborantin et secrétaire ; mais aussi l’aide de son frère Cornell et de Ruth Cerf, l’amie de pension de Gerda TARO, sa compagne rencontrée à Paris en septembre 1934.

Originalité de cet énième studio photographique parisien : il n’est pas destiné à la prise de vue, c’est d’emblée une plaque tournante ! L’Atelier Robert CAPA s’incarne dans le développement et le tirage, tel un centre de distribution collectif destiné aux agences et à la presse illustrée (européennes, comme américaines) des photographies de Robert CAPA, David « Chim » SEYMOUR et Gerda TARO.

C’est au numéro 37 de la rue Froidevaux qu’a vu le jour la « Valise Mexicaine » … et qu’est née la légende CAPA.

NOUS SOMMES TOUS DES « HABITÉS » du 37

Bernard LEBRUN

Paris-Budapest, octobre 2019.

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